Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Centrafrique    Publicité
aBangui.com NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article
Politique

Centrafrique : « l’élection de la dernière chance » : Interview de Jean Jacques Demafouth
Publié le lundi 30 mars 2015  |  LNC
Jean-Jacques
© Autre presse par DR
Jean-Jacques Demafouth, conseiller à la présidence en charge de la sécurité et des relations avec Sangaris et la MINUSCA.
Comment




Bangui, les autorités centrafricaines de la transition ont le regard porté vers la tenue, encore incertaine, de l’élection présidentielle prévue à la fin de cette année. Une soixantaine de candidats sont en lice pour cette échéance qui mettra un terme à cette transition menée par la présidente Catherine Samba-Panza.

D’ici là, nombreux sont les défis à relever et tout est à faire ou presque, selon Jean-Jacques Demafouth, le conseiller à la présidence en charge de la sécurité et des relations avec Sangaris et la Minusca (Mission des Nations Unies en République centrafricaine). À commencer par la réconciliation. C’est ainsi que le Forum de Bangui réunira, courant avril, des représentants de la société civile, des groupes armés, des religieux, et des partis politiques pour débattre de l’avenir du pays.

De passage à Paris, Jean-Jacques Demafouth a plaidé auprès des autorités françaises le maintien de l’opération Sangaris qui a prévu une réduction de ses effectifs, et un soutien renforcé de la France. Entretien.

Pourquoi souhaitez-vous le maintien de l’opération Sangaris ?

Nous sommes bien conscients que l’opération Sangaris lancée le 5 décembre 2013 ne devait durer que six mois. Or, cela fait plus d’un an que les militaires français de Sangaris sont en République centrafricaine (RCA). Nous avions espéré que Sangaris puisse résoudre les maux du pays, mais la crise se révèle plus profonde.

Si aujourd’hui nous traversons une accalmie que je comparerai à de la braise sous de la cendre, le pays est exsangue et nous avons toujours plus besoin de sécurité pour mener à bien cette transition. Le président François Hollande a indiqué que Sangaris restera en RCA jusqu’à l’automne. Ce que nous saluons, mais nous souhaitons un retrait progressif, à un rythme d’escargot.

Quelle autre forme d’aide réclamez-vous à la France ?

Nous avons besoin d’un soutien financier clair de la France. Nous voulons que Paris soutienne le budget de la RCA et incite d’autres bailleurs à faire de même. Nous avons encore besoin de prés de 10 milliards de FCFA pour boucler notre budget. Et ce, sans compter l’organisation de l’élection présidentielle ainsi que le Forum de Bangui. L’Union européenne qui nous aide financièrement compte d’ailleurs la France parmi ses contributeurs, toutefois cela n’est malheureusement pas suffisant. J’ai demandé aux autorités françaises une aide supplémentaire modeste pour l’organisation du Forum de Bangui ainsi que pour le processus électoral.

Le 24 janvier 2014 au nord de Bangui. Un commerçant chrétien se tourne vers des soldats de Sangaris. Crédits : AFP
Où en sont les préparatifs du Forum de Bangui ?

Nous avons fini le 11 mars la phase des « consultations populaires ». Celles-ci se sont déroulées, depuis le 19 janvier, dans tout le pays et ont réuni toutes les composantes de la société centrafricaine, y compris des groupes politico-militaires, pour dialoguer, échanger. Une première dans le pays ! Chaque région a ainsi pu exprimer ses besoins, ses craintes, ses préoccupations. De la sécurité à la scolarité des jeunes, en passant par la sécurité, nous avons tout noté et nous sommes actuellement en train d’analyser ces comptes rendus pour en dégager des grands thèmes qui seront abordés lors du Forum de Bangui prévu en avril.

Près de 500 délégués sont attendus, à raison d’une quinzaine par région, mais aussi des leaders de la diaspora et de partis politiques ainsi que des dignitaires religieux. Là encore, les forces françaises nous ont aidés à organiser ces consultations notamment dans des zones reculées. Et nous avons un besoin patent de Sangaris pour sécuriser ce Forum que d’aucuns veulent empêcher.

Cette étape de la réconciliation précède la tenue de l’élection présidentielle. En l’état, la Centrafrique est-elle capable d’organiser des élections ?

À la suite du Forum de Bangui, nous allons démarrer la phase de préparation électorale. Selon l’Agence nationale des élections, trois mois au minimum sont nécessaires pour faire ce recensement en vue de la constitution du fichier électoral.

« S’il faut attendre que tout le pays soit apaisé et sous contrôle, nous ne ferons jamais d’élection »
Alors oui, en effet, nous ne contrôlons pas tout le territoire et cette élection sera sans doute partielle. Mais dans chacune des grandes villes des seize préfectures, il y aura des bureaux de vote sécurisés. S’il faut attendre que tout le pays soit apaisé et sous contrôle, nous ne ferons jamais d’élection. Notre devoir, c’est que tous les candidats – une soixantaine actuellement – puissent faire campagne dans la paix. Nous tenons à ce que cette élection se déroule vite, si possible avant décembre, pour que la transition s’achève et qu’on transmette le pouvoir à un président élu, donc légitime.

Comment faire un recensement alors que certaines zones du pays échappent au contrôle de l’Etat ?

Je pense que si nous sommes parvenus à mener à bien les « consultations populaires », nous pouvons faire un recensement. Il est vrai que de nombreux Centrafricains sont des déplacés et qu’il sera complexe de tous les identifier. Mais nous avons déjà commencé. Et nous ferons ce que nous pouvons pour qu’ils puissent avoir leur carte d’électeur.

Pour ce qui est du fichier électoral, nous partons de zéro ou presque. Nous comptons récupérer l’ancien fichier électoral qui servira de base. C’est indéniablement un défi. Mais il faut le relever, et avancer quitte à faire une élection imparfaite. C’est l’élection de la dernière chance.

Nous n’avons ni armée, ni gendarmerie, ni police. Nous disposons d’environ 3 500 gendarmes et 2 800 policiers à Bangui. Mais le problème, c’est qu’ils ne sont pas armés. Tous les stocks d’armes laissés par l’ancien régime ont été pillés par les groups armés. Donc nous hommes en uniforme utilisent parfois des armes récupérées sur les marchés locaux. J’ai plaidé auprès des autorités françaises pour que l’armement saisi par les troupes internationales soit remis à nos forces armées en reconstitution. Et nous souhaitons une levée de l’embargo au moins sur les formations afin de pouvoir entraîner nos militaires et policiers.

Redoutez-vous une montée de l’islamisme et de l’influence de Boko Haram en Centrafrique ?

« Nous constatons actuellement l’arrivée en Centrafrique de prédicateurs radicaux venus de pays voisins »
Nous ne savons rien ou si peu de ce qui se passe à nos frontières avec le Soudan et le Tchad sous contrôle de l’ex-Séléka. Boko Haram peut opérer dans ces zones, ce qui nous préoccupe d’autant plus que nous savons que des liens existent.

Le numéro 2 de l’ex-Séléka, Noureddine Adam, est ou a été en contact avec des éléments de Boko Haram et d’Al-Qaida. Nous constatons actuellement l’arrivée en Centrafrique de prédicateurs radicaux venus de pays voisins. La jeunesse désœuvrée centrafricaine constitue une proie facile pour les mouvements djihadistes. Autant d’éléments d’inquiétude.

C’est pour cela que nous sommes allés en février au sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), pour lancer un appel afin que la RCA ne soit pas oubliée dans la lutte contre Boko Haram.

Quid du rôle de François Bozizé, actuellement à Kampala, et de la déstabilisation orchestrée par certains de ses fils ?

Bozizé, c’est le mal de la politique centrafricaine. Je l’ai bien connu, d’abord comme officier général puis comme chef d’Etat major lorsque j’étais ministre de la défense. Sa gestion du pouvoir a été honteuse, et il doit des excuses aux Centrafricains. Il ne faut pas oublier que lorsque les rebelles de la Séléka se sont emparés de Bangui en mars 2013, Bozizé a abandonné son pays qu’il a confié, par un décret, à la France.

« Les autorités de transition présidées par Catherine Samba-Panza collaborent avec le bureau du procureur de la CPI pour que les enquêtes aboutissent vite »
Sa manipulation des groupes armés tels que les milices anti-balaka ont aggravé le désordre et ont précipité le pays dans le chaos. Il ose ensuite se rendre en février à Nairobi pour négocier la paix avec son tombeur et successeur, Michel Djotodia. Les autorités de transition présidées par Catherine Samba-Panza soutiennent la Cour pénale internationale et collaborent avec le bureau du procureur pour que les enquêtes aboutissent vite.

Cette rencontre à Nairobi entre Bozizé et Djotodia a été orchestrée par le président congolais Denis Sassou Nguesso, comment percevez-vous l’évolution de sa médiation ?

Nous avons été surpris de ne pas avoir été ni associé ni informé de cette rencontre à Nairobi. Or, nous aurions souhaité être présents. D’autant que le processus de Brazzaville, où a été signé en juillet un accord de cessation des hostilités, a été salué par la communauté internationale qui a par ailleurs condamné cette rencontre de Nairobi entre Bozizé et Djotodia.

Nous sommes reconnaissants au président Denis Sassou Nguesso, médiateur de la crise centrafricaine, pour son implication et ses efforts pour parvenir à une réconciliation. Mais il est important que ce travail de dialogue implique le gouvernement.

La neutralité du président Denis Sassou Nguesso, dont la proximité avec l’ancien ministre centrafricain Karim Méckassoua est publique, n’est-elle pas contestable ?

Il a probablement un penchant pour un candidat. Personnellement, je n’ai jamais entendu le président congolais faire état d’un soutien affiché. On sait bien, en effet, que Karim Méckassoua fait les va-et-vient entre Bangui et Brazzaville. Entre proximité et soutien politique, il y a un pas qui, je l’espère, ne sera pas franchi.
Commentaires


Comment