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Lu pour vous : En Centrafrique, les accusations contre l’armée française se multiplient
Publié le dimanche 19 juillet 2015  |  Centrafrique Presse Info
L’armée
© Autre presse par DR
L’armée française
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Deux mois après la révélation de viols commis par des soldats français en Centrafrique, Mediapart a pu étayer la validité des accusations et le fait que les abus sexuels continuent aujourd'hui avec différents contingents. Ces crimes se déroulent dans le contexte d'un pays où les Occidentaux se croient souvent tout permis.

Quand on s’intéresse à la République centrafricaine, il devient vite difficile de ne pas songer à la fameuse maxime du dictateur mexicain Porfirio Diaz sur sa propre nation, et d’avoir envie de la paraphraser : «Pauvre Centrafrique, si loin de tout et si proche des Français… »

Depuis les années 1970, le pays est littéralement en chute libre, géré par des satrapes qui se chassent coup d’État après coup d’État, bien souvent avec la bénédiction de l’ancienne puissance coloniale ; l’économie, même celle du diamant, tourne au ralenti ; les infrastructures se détériorent, rendant de nombreux pans du territoire inaccessibles ; les frontières sont des passoires dont profitent les puissants voisins (Tchad, Soudan, Congo…) ou des milices transnationales comme l’Armée de résistance du Seigneur de Joseph Kony. En 2013, un groupe rebelle à majorité musulmane, la Séléka, s’est emparé du pouvoir et a soufflé sur les braises du confessionnalisme au point de susciter la crainte d’un génocide. Cette angoisse, sincère, d’un nouveau Rwanda en miniature a brièvement mobilisé la communauté internationale et provoqué l’intervention en urgence de l’armée française début décembre 2013 : ce fût l’opération Sangaris, approuvée par l’ONU et soutenue par la plupart des puissances occidentales et africaines.

Depuis cette date, la seule chose positive que l’on puisse honnêtement affirmer est que la situation n’est pas devenue pire. Pas pire. S’agissant de la Centrafrique, les capitales étrangères et les institutions internationales se contentent de ce bilan… La France en premier lieu.

La révélation, fin avril 2015 par le journal britannique Guardian, d’un rapport de l’ONU dénonçant des abus sexuels commis par des soldats français de la force Sangaris entre décembre 2013 et juin 2014, est venue sortir tout le monde de sa torpeur. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, est rapidement monté au créneau en assénant dans le Journal du dimanche : «Si les faits sont avérés, je ne mesurerai pas ma colère, parce que lorsque le soldat français est en mission, il est la France. Si d'aventure un seul d'entre eux a commis de tels actes, qu'il se dénonce immédiatement. » [[lire_aussi]]

La formule était curieusement alambiquée, car non seulement le ministère de la défense était au courant du rapport interne de l’ONU décrivant ces violences sexuelles depuis au moins huit mois, mais les enquêtes diligentées par la justice française et l’armée ne laissent guère de doutes. Selon de nombreux témoignages recueillis et recoupés par Mediapart à Paris, à Bangui, à Genève et à New York, les abus sexuels commis par des soldats français ont bel et bien eu lieu, entre décembre 2013 et juin 2014 en Centrafrique, des officiers étaient au courant, et il y en eut d’autres que ceux contenus dans le rapport.

Par ailleurs, les viols et le recours à la prostitution de mineures de la part des contingents internationaux, pas nécessairement français, continuent à la date d’aujourd’hui. Enfin, le comportement de nombreux représentants hexagonaux sur place étant tout sauf irréprochable, il est probable que cette affaire de viols a été volontairement balayée sous le tapis, pour ne pas exposer d’autres dérives.

Cette histoire démarre entre février et mars 2014 quand des enfants du camp de M’Poko à Bangui, un vaste rassemblement de près de 100 000 réfugiés qui jouxte la base de l’armée française sur l’aéroport, se plaignent d’abus sexuels commis par des soldats tricolores, auprès d’une ONG locale qui assiste les gamins des rues. Ces dénonciations remontent lentement jusqu’à l’antenne des Nations unies chargée des droits humains (OHCHR), qui s’empare du sujet fin avril. Aux mois de mai et juin, une experte de la section justice et droits humains de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), spécialisée dans la protection de l’enfance et accompagnée, selon les cas, d’un ou deux représentants de l’UNICEF, interroge six jeunes garçons âgés de 9 à 13 ans.

Leurs témoignages sont précis, détaillés et concordants (voir ci-contre le rapport de l’ONU sur leurs interviews, où nous avons noirci toutes les identifications des enfants, de leur famille, et des personnels humanitaires). Les six garçons, certains orphelins, d’autres vivant avec leur famille sur le camp, décrivent des situations souvent identiques : ils réclament de la nourriture aux soldats français stationnés au check-point à l’entrée de la base, ces derniers les font venir dans un abri juste à côté, et leur demandent une fellation. Les militaires leur font parfois visionner une vidéo porno sur leur téléphone portable pour leur montrer ce qu’ils attendent d’eux, et dans au moins un des cas, un gamin est sodomisé.

À chaque fois, cela se termine de la même manière : les enfants reçoivent des rations militaires, un peu d’argent et la consigne de se taire. La lecture de ces témoignages est crue et montre une réalité de domination particulièrement malfaisante.

Dans ce document, les victimes identifient également une douzaine d’agresseurs soit avec des détails physiques (grain de beauté, tatouage, couleur de peau…), soit avec leur surnom (Batman, Nico, Jean…), et même dans un cas leur fonction (sniper sur le toit de l’aéroport). Surtout, il ressort de ces témoignages que les garçons servaient également de rabatteurs de prostituées pour les soldats. «Quand cette histoire a été révélée, ce qui a surpris les Banguissois c’est qu’il s’agissait de jeunes garçons, alors que les jeunes filles violées sont monnaie courante », raconte le directeur d’une ONG qui fait la navette entre Bangui et l’Europe. « Nous avons récemment recueilli le témoignage de plusieurs jeunes filles entre 12 et 15 ans qui disent avoir été violées par des soldats européens, sans être capables de dire s’il s’agissait de Français ou de ceux de l’EUFOR. »

Le gouvernement français ne remet pas en cause le fond de l’histoire

Pour la directrice juridique d’une grande ONG internationale, qui a passé plusieurs mois à Bangui en 2015, «ces jeunes garçons sont avant tout des rabatteurs de prostituées. Ils se sont sentis humiliés quand ils ont été violés et c’est probablement pour cela qu’ils ont dénoncé les soldats. Mais la réalité, c’est que ce sont principalement des jeunes filles qui sont victimes : un tiers de celles qui viennent nous voir pour des violences sexuelles sont des mineures.

C’est malheureusement un cas classique de "sexe contre nourriture", que l’on voit fréquemment dans ces situations. »

Une journaliste française, qui s’est rendue plusieurs fois au camp de M’Poko au premier semestre 2014, se souvient que «des gamins vendaient des rations militaires françaises dans la rue, ce qui est fréquent dans ce genre de cadre, mais il y avait des rumeurs persistantes, que je n’ai jamais entendues ailleurs, sur le fait que les rations étaient achetées. Cela revenait sans arrêt dans les conversations ». Par ailleurs, souligne-t-elle, «les relations entre les soldats français et la population du camp se sont très vite détériorées, en quelques semaines seulement. Il y avait bien sûr le contexte politique tendu entre les Sélékas et leurs opposants anti-balakas, dont les Français étaient jugés trop proches, mais aussi des questions personnelles entre les réfugiés et les militaires tricolores qui étaient fréquemment traités de "voleurs de diamants". L’ambiance était franchement malsaine».

L’UNICEF a confirmé à Mediapart n’avoir effectué que six entretiens, mais au moins trois sources différentes, à Genève et à New York, à l’ONU et dans des ONG opérant en Centrafrique, affirment qu’il existe d’autres cas d’abus sexuels qui ne figurent pas dans le rapport onusien. «Il y a plus d’enfants concernés que ceux du rapport », indique une des sources. «Des soldats géorgiens de l’EUFOR sont également impliqués lorsqu’ils ont pris la relève des Français au contrôle du check-point à l’entrée de la base. »

Quand l’affaire des viols a été révélée fin avril 2015, un certain nombre de voix (dans l’armée française, mais aussi dans la presse) ont mis en doute la véracité des témoignages, en attribuant les récits des garçons centrafricains à la «rumeur de camps de réfugiés».

Mais c’est une donnée que les personnels spécialisés de l’OHCHR et de l’UNICEF connaissent très bien, notamment la question du «témoin contaminé» (un individu qui répète ce qu’il a entendu et non pas ce qui lui est vraiment arrivé). L’UNICEF assure que les personnes qui ont mené les entretiens étaient parfaitement formées et, de plus, deux fonctionnaires internationaux qui connaissent bien la spécialiste de l’OHCHR ayant conduit les interviews garantissent son grand professionnalisme (jointe par Mediapart, elle n’a pas souhaité nous répondre, attendant le résultat d’une enquête interne de l’organisation).

Par ailleurs, et c’est le point principal, le gouvernement français, en dépit des précautions oratoires de Jean-Yves Le Drian (« Si les faits sont avérés ») ne remet pas en cause le fond de l’histoire.

Un spécialiste français des questions de défense qui a suivi cette affaire, lui-même officier, indique : « Personne dans l’état-major ne dit "Ce n’est pas possible", et tout le monde dit "Ça peut arriver". »

Toutefois, pour lui, il n’y a pas eu de tentative d’étouffer l’affaire au plus haut niveau : «Il est possible que plusieurs bataillons soient concernés et qu’un ou deux soldats par bataillon soient responsables de ces abus, ce qui diluerait cette affaire et l’aurait rendue invisible. Il est possible aussi qu’un officier ait décidé de ne pas faire remonter les abus qu’il aurait appris. »

Il est difficile de croire qu’entre la date des premiers abus (décembre 2013), la période où ils parviennent aux ONG (février-mars 2014), puis à l’ONU (avril 2014) et les entretiens avec les enfants (mai-juin 2014), le commandement militaire français sur place n’ait rien su. Officiellement, les Français découvrent les faits lorsque Anders Kompass, le directeur des opérations de l’OHCHR, transmet le rapport avec les interviews des enfants à l’ambassadeur français à Genève, qui le fait remonter à Paris.

Pourtant, un expert des droits de l’homme travaillant pour une ONG française, qui s’est rendu à plusieurs reprises en Centrafrique, est parvenu à confirmer cette histoire auprès de plusieurs sources : «Un soldat français échangeait de la nourriture contre des fellations avec un gamin. Un jour, il y a été un peu trop fort avec le gamin, qui a eu très mal et l’a dit à sa mère. Celle-ci l’a battu puis a été se plaindre auprès des ONG (c’est probablement le récit de l’interview n° 3 dans le rapport de l’ONU). Le chef de section du soldat l’a appris et lui a cassé la gueule. Cela a été tellement violent qu’il a fallu rapatrier le soldat en France. »

Autrement dit, au moins un officier français aurait été au courant d’un abus sexuel. A-t-il pu le garder pour lui au vu des circonstances, ou l’a-t-il fait remonter dans la hiérarchie ?

Deux autres sources, l’une dans une institution internationale en Centrafrique, et l’autre à l’OHCHR à Genève, affirment à Mediapart que le commandement français à Bangui était au courant de ces abus bien avant le rapport onusien. Elles portent ces accusations sur la base de discussions avec des fonctionnaires internationaux, mais ne sont pas en mesure d’en apporter la preuve.

«Les militaires français ne savaient pas où ils étaient !»

De toute manière, il y a forcément une défaillance de l’armée française selon la directrice juridique de la grande ONG internationale : «Le rôle d’un commandant, c’est de se tenir au courant, pas juste d’être informé par ses troupes. Il y aura toujours des brebis galeuses partout, et c’est pour cela qu’il faut des procédures de prévention et un dispositif de lanceur d’alerte.» Et elle ajoute : « Le vrai problème, c’est que cela continue aujourd’hui, qu’il s’agisse des Français ou d’autres contingents de soldats. »

Chose rare, l’ONU elle-même a rendu publics au mois de juin 2015 d’autres cas d’abus de casques bleus sur des mineurs en Centrafrique, dont certains auraient donné lieu à des grossesses. La nationalité des soldats n’a pas été révélée. C’est une affaire qui s’ajoute au lourd passif des casques bleus en la matière. La tradition du silence est lourde et le ministère de la défense français n’est pas en reste : sachant qu’il a été informé, au plus tard, du rapport de l’ONU sur les abus en juillet 2014, il a choisi de se taire pendant huit mois, attendant l’article du Guardian pour lancer une enquête pénale.

Selon un proche de l’état-major français, l’armée dit ne pas réussir à identifier la douzaine de soldats décrits dans le rapport, notamment parce que certains d’entre eux auraient quitté les armes (il y a un taux de rotation de 20 % par an au niveau des simples soldats). Pourtant, une source militaire a du mal à croire à cette version : «L’armée tient des registres très précis de qui était sur le check-point et quand. Il suffit de passer tous ces noms au crible. » Et, selon un fonctionnaire international à Bangui qui a eu connaissance de l’affaire très tôt : «Plusieurs soldats français identifiés dans le rapport sont restés en Centrafrique jusqu’à la fin 2014.» C’est-à-dire bien après que les autorités françaises ont reçu le rapport de l’ONU.

Si la Centrafrique n’a pas l’apanage de ces histoires de viols et de « sexe contre nourriture», il y a néanmoins quelque chose de spécifique à la manière dont l’opération Sangaris a été menée et à la manière dont la France (et, dans une moindre mesure, les autres Occidentaux) se comporte dans ce pays. «Les Français en République centrafricaine ne cessent de faire des accommodements avec la réalité », juge Roland Marchal, chercheur au CERI qui connaît bien le pays. « Il y a en permanence cette idée que l’on fait déjà beaucoup pour ces gens qui ne le méritent pas. »

L’opération Sangaris a été décidée très vite, soustendue par l’idée qu’il fallait intervenir rapidement pour prévenir un génocide. Pour l’officier spécialiste des questions de défense, «c’est une opération dont les difficultés ont été sous-estimées par le responsable opérationnel à Paris, le général Didier Castres. L’officier placé à la tête de l’opération, Francisco Soriano, est considéré comme un bon mec, mais il est devenu général sur le tard et il n’est pas de la trempe dont on fait un chef d’état-major ». Selon plusieurs journalistes et humanitaires qui ont suivi le déploiement des forces françaises en décembre 2013 et janvier 2014, les conditions sont très rudes : à la fois sur le terrain (campements sommaires, beaucoup de cas de paludisme), mais aussi dans les ordres qui sont donnés. Les soldats ne doivent pas intervenir lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes en danger. Ils assistent donc à des scènes de massacre et à des exactions en devant se contenter de tirer en l’air.

«Les militaires français ne savaient pas où ils étaient ! Ils étaient très ennuyés dans leurs interventions », explique un photoreporter français qui a suivi l’armée à cette période-là. «Ils ont désarmé les Sélékas en laissant la bride libre aux anti-balakas, avant de se rendre compte au bout de quelque temps que c’était une erreur car les seconds en ont profité. » « Les ordres étaient confus, la chaîne de commandement flottante. Le moral des soldats était très bas et leur frustration intense », se souvient un humanitaire qui les a accompagnés à Bangui et en brousse. Un autre humanitaire basé à Bangui, moins indulgent, décrit les soldats français comme « de petits caïds sans aucun respect pour la population locale. Beaucoup d’entre eux sont là pour toucher une solde confortable des opérations extérieures et ils se moquent complètement des difficultés du pays ou de leur mission… ».

Dès décembre 2013, le camp de réfugiés de M’Poko a grossi très vite, dépassant les capacités des humanitaires. Les soldats français se sont retrouvés pris entre les deux parties du camp : les musulmans, soupçonnés d’appartenir à la Séléka, et les antibalakas, désireux de les chasser. « Très vite, il y a eu beaucoup de violence, dont des meurtres, et beaucoup de trafics à M’Poko », rapporte un autre photoreporter. Le nombre de soldats français victimes de stress post-traumatique après avoir été déployés en Centrafrique est l’un des plus élevés de toutes les opérations extérieures françaises récentes, touchant 12 % des militaires, selon un rapport de début 2015.

Ces circonstances difficiles d’une opération hâtivement préparée n’expliquent en rien les abus sexuels, mais elles permettent d’appréhender le contexte d’un pays où l’État n’est qu’un lointain souvenir et où, loin de tout, de nombreuses barrières tombent. En 2008, un diplomate français qui quittait Bangui avait envoyé à ses collègues un texte d’humour noir racontant sa vie de «troisième secrétaire à l’ambassade de France au Nyamangwa», dans lequel il relatait une journée de ses péripéties dans un pays en rébellion permanente, où rien ne fonctionnait et où les diplomates et les expatriés français se laissaient aller.

Ce texte (reproduit sous l’onglet Prolonger) est devenu un récit « collector » au Quai d’Orsay, mais il n’a visiblement pas servi à faire changer la manière dont la France se comporte au Nyamangwa-Centrafrique.

Ces dérives rappellent le pire des comportements coloniaux

Charles Malinas, l’ambassadeur nommé par Laurent Fabius et François Hollande au tout début de l’opération Sangaris, est lapidairement balayé du qualificatif «d’abruti qui n’a aucune expérience de l’Afrique » par l'un des spécialistes français du pays.

C’est, de fait, son premier poste d’ambassadeur et sa première expérience africaine. Il est par ailleurs précédé d'une réputation peu flatteuse. Un ancien directeur du Quai d’Orsay qui a suivi de loin en loin sa carrière dit de lui : « C’est un sale type. Il a débuté dans le cabinet de Roland Dumas, dans le pire des milieux affairistes et tordus. Il était l’âme damnée du cabinet. » Comment a-t-il atterri à Bangui, dans un pays au bord de la guerre avec une intervention militaire tricolore en cours ? « On envoie les pires en RCA, ceux qu’on ne peut pas mettre ailleurs et dont on veut se débarrasser », conclut cet ancien haut diplomate, ordinairement plus indulgent avec ses pairs.

Quant au numéro deux de l’ambassade de France, il est régulièrement aperçu dans Bangui, sans se cacher, avec des prostituées à ses bras (quatre personnes ont confirmé ce fait à Mediapart, dont deux fois sans qu’on ait eu à poser la question). Même s’il n’y a rien d’illégal à ce comportement, tant que les jeunes filles sont majeures, cela fait grincer les dents des différents humanitaires français et fonctionnaires internationaux qui le croisent.

Les dérives sont parfois tellement prononcées qu’un spécialiste des droits de l’homme en mission à Bangui s’est senti obligé de rapporter, il y a quelques mois, au
Quai d’Orsay et au ministère de la justice français le comportement d’un groupe de magistrats hexagonaux en mission en Centrafrique, dans le cadre d’un projet européen d’assistance à la justice centrafricaine : « Ils sollicitaient sexuellement de nombreuses femmes, de l’expatriée blanche trentenaire à la gamine centrafricaine mineure. En France, cela tomberait sous le coup du harcèlement ou du crime sexuel, mais en Centrafrique, ils ont un sentiment total d’impunité. Après que j’ai fait un rapport oral aux deux ministères, ils ont poursuivi leur mission. »

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Ce laisser-aller et ces dérives qui rappellent le pire des comportements coloniaux sont malheureusement monnaie courante en Centrafrique, qui évoque souvent une parodie de pays plus qu’une nation souveraine.

Deux sources, l’une dans l’humanitaire, l’autre dans une institution internationale, ont raconté à Mediapart qu’il y avait certainement «eu une tentative d’étouffer, ou en tout cas de taire, l’affaire des viols par les soldats, afin de ne pas ouvrir la boîte de Pandore sur toutes les autres pratiques nauséabondes en Centrafrique de la part des internationaux : trafic de diamants, usage de drogues, parties fines avec des mineures, etc. ».

Amer, le chercheur Roland Marchal estime que « la communauté internationale a tellement intégré le fait que la Centrafrique était une catastrophe depuis très longtemps qu’elle pense ne plus rien pouvoir changer. C’est le fatalisme complet…». Un fatalisme qui conduit l’armée française et le ministère de la défense d’un côté, et l’ONU de l’autre côté, à tenter de garder secret un rapport sur des abus sexuels commis par des soldats, voire d’en minorer la portée et les implications. Un fatalisme qui pousse un actuel directeur du Quai d’Orsay, rencontré au mois de mai 2015, à hausser les épaules quand on lui parle de Centrafrique, après avoir été particulièrement loquace sur tous les thèmes abordés préalablement, Syrie, Ukraine, Iran : «La Centrafrique ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On n’y peut rien…» Et d’aborder avec gourmandise un autre sujet. Pauvre Centrafrique, si loin de tout, si proche des Français…

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Cette enquête a été rédigée par Thomas Cantaloube, avec la collaboration de Célhia de Lavarène à New York, d’Agathe Duparc à Genève et de Lénaïg Bredoux à Paris.

Pour cette enquête, Mediapart a interviewé plusieurs dizaines de personnes. Étant donné la sensibilité de cette histoire, la plupart n’ont accepté de témoigner qu’à condition de rester anonymes. Leurs déclarations ont scrupuleusement été vérifiées auprès d’autres sources et de documents en notre possession.
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