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Lu pour vous : Comment les diamants ont financé la guerre en Centrafrique
Publié le mardi 27 octobre 2015  |  Centrafrique Presse Info
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© Autre presse par DR
Les "diamants du sang"
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Le précieux filon a financé les groupes armés en République centrafricaine. Or cette filière est en voie de réhabilitation sur le marché international.

Faut-il laisser les sociétés œuvrant sur le marché des diamants reprendre leurs affaires avec la République centrafricaine? La question est posée par plusieurs ONG alors que le pays, sous surveillance de l’ONU après un conflit sanglant financé en partie par l’exploitation du diamant, vit encore dans l’insécurité. Les tensions intercommunautaires subsistent, les élections voulues par l’ONU ont dû être repoussées. Or le Processus de Kimberley, l’instance de contrôle du commerce international de diamants, travaille à la réhabilitation de la filière centrafricaine, après deux ans et demi d’embargo. Sur la base d’un modèle encore jamais vu: la levée devrait se faire de manière partielle, avec un feu vert pour les zones considérées comme «exemptes d’activités de groupes armés». La décision a été prise en juillet, elle est encore loin de pouvoir être appliquée. Mais le cas centrafricain met une nouvelle fois en exergue le rôle des pierres précieuses dans le financement des conflits en Afrique et les limites des instruments internationaux de contrôle de la filière du diamant.

Mines saisies et impôts

Deux mois après le renversement du président François Bozizé par la rébellion musulmane en mai 2013, le Processus de Kimberley interdisait toute importation de diamants en provenance de Centrafrique. Cette décision devait empêcher que des diamants de la guerre ne finissent sur les marchés internationaux, mais ses effets ont été très relatifs, comme le démontrent plusieurs enquêtes de terrain.

Amnesty International, qui vient de publier un long rapport, rappelle que le Processus de Kimberley n’a aucun impact sur les marchés intérieurs des pays producteurs de diamants. Or, en République centrafricaine, les rebelles de la Séléka et les anti-balaka, les milices chrétiennes, ont largement profité de ce filon, indispensable au financement de leur lutte. Par la violence, les deux camps ont pris le contrôle de sites d’extraction. Aux milliers de petits artisans vivotant de l’extraction au péril de leur vie, ils ont imposé des taxes en échange de leur «protection», et aux petits intermédiaires, des impôts sur le commerce. «Durant leur offensive, les forces de la Séléka ont pris le contrôle de toutes les zones d’extraction de diamants de l’est», souligne l’International Peace Information Service (IPIS), qui a cartographié la mainmise sur les mines de tout le pays. Malgré l’embargo international, certaines régions sous leur joug ont vu l’activité minière augmenter, grâce à des préfinancements, selon l’ONG.

Contrebande

Les bureaux d’achat sis à Bangui, eux, ont continué à acheter du minerai durant le conflit, sans toujours regarder d’où il provenait. «Deux des principaux bureaux d’achat de diamants en République centrafricaine ont acheté à eux deux pour plusieurs millions de dollars de diamants pendant le conflit, notamment des diamants provenant de zones où l’on savait pertinemment que la Séléka et les anti-balaka extorquaient de l’argent aux mineurs et aux négociants», affirme Amnesty International. C’est dire les montants qui ont pu tomber dans les mains des groupes armés.

Malgré l’embargo, les exportations ont continué via les filières de contrebande passant par le Cameroun, la République démocratique du Congo et le Soudan. Cette contrebande existait avant 2013, mais elle s’est accentuée durant le conflit et l’embargo. Selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU de novembre 2014, 140.000 carats supplémentaires ont été sortis en fraude du pays depuis la mi-2013, soit l’équivalent de 24 millions de dollars en dix-huit mois. Où sont-ils? Nul ne le sait. Seule certitude, les dispositifs de surveillance ne semblent pas avoir bien fonctionné ou ont en tout cas été largement contournés. Mis à part quelques lots saisis, qui ont valu à des sociétés d’être placées sur liste noire de l’ONU, le marché international n’a pas repéré de diamants provenant de Centrafrique…
Lutter contre la contrebande, c’est précisément l’argument qu’ont avancé les autorités de transition centrafricaines pour demander à l’ONU de lever l’interdiction d’exportation des diamants. Une source de revenus que Bangui considère comme indispensable pour reconstruire la stabilité du pays: le secteur diamantaire pèse pour 20% du budget de l’Etat, il faisait vivre avant le conflit 25% de la population.

En juillet, le Processus de Kimberley donnait donc son accord pour une levée partielle de cet embargo, en autorisant le commerce dans les zones considérées comme exemptes d’activités de groupes armés. La décision s’accompagne d’un protocole qui prévoit la surveil¬lance des sites par les services du gouvernement, tout cela sous supervision internationale.

On est encore loin de sa mise en place, mais les ONG doutent que ce dispositif puisse garantir un marché exempt de diamants du sang. «Même avec les mesures de traçabilité et de sécurité définies dans ce cadre, on voit difficilement comment il sera possible d’empêcher que des diamants provenant de zones non conformes ne soient pas mélangés avec des diamants de zones conformes», souligne Amnesty International, qui ne s’oppose pas à la levée de l’embargo, mais s’inquiète des moyens de surveillance engagés. Selon les projets qui se dessinent sous le Processus de Kimberley, la levée de l’embargo devrait concerner l’ouest du pays, tandis que le centre et l’est, encore sous influence de la Séléka, resteraient sous prohibition.

Or, sans une réelle surveillance de toute la filière, déficiente aujourd’hui, il y a le risque de raviver les tensions communautaires, le diamant étant un rouage de financement des groupes armés, mais aussi l’objet même des conflits. «La levée de la suspension du commerce va profiter aux groupes anti-balaka dans l’ouest du pays, au vu de leur assise toujours effective dans cette région. Cela va doper le commerce», explique depuis Londres Joanne Mariner, chercheuse chez Amnesty International. Elle s’inquiète aussi des lots restés bloqués à Bangui. «La levée de l’embargo va permettre à ces pierres achetées durant le conflit et ayant potentiellement nourri les groupes armés d’arriver sur le marché international.» Amnesty réclame leur saisie.

Les mains sur les yeux

Les ONG pointent cet instrument de contrôle, très insuffisant, qu’est le Processus de Kimberley. «En 2010 déjà, nous avions alerté le gouvernement de Bangui de l’exploitation par les groupes armés de la filière des diamants dans l’est du pays, explique Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale au sein de l’International Crisis Group. Or ce constat avait été nié par les autorités, qui ont avancé qu’un accord avait été passé avec ces groupes armés et que ces zones ne pouvaient donc être considérées comme des zones de conflit. Cette réponse était une argutie juridique comme la crise centrafricaine l’a montré plus tard. Mais qu’a fait le Processus de Kimberley? Il a suivi le gouvernement centrafricain et n’a pas pris de mesures. C’est peut-être cette absence de mesures à cette époque qui a permis aux groupes armés du nord-est de monter en puissance et de prendre le pouvoir à Bangui en mars 2013. La véritable faillite du Processus de Kimberley se mesure à sa volonté de ne pas prendre des sanctions préventives et de réagir une fois qu’il est trop tard.»

L’International Crisis Group estime dans un rapport que le processus de démobilisation, de désarmement et de réinsertion mis en place par l’ONU en Centrafrique ne pourra fonctionner sans une action résolue de lutte contre les trafics de minerai. «La Minusca (ndlr: la mission de paix de l’ONU en Centrafrique) devrait reprendre le contrôle des principaux sites de production d’or et de diamants en déployant des forces internationales et des fonctionnaires centrafricains», prône-t-il. Une position qui s’inscrit dans un constat général: depuis des années, l’Etat centrafricain, en totale déliquescence, a laissé s’installer la prédation de ses richesses et aller à vau-l’eau l’économie formelle. Tout est à reconstruire, à commencer par les structures de l’Etat, pour que la population centrafricaine bénéficie un jour de justes profits de la filière du diamant. (TDG)
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