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Exploitation et abus sexuels en R.C.A : lettre ouverte à Jane Holl Lute, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes
Publié le mardi 8 mars 2016  |  RJDH-Centrafrique
Jane
© Autre presse par DR (Photo d`archive utilisée juste a titre d`illustration et ne correspond pas forcément avec le contenu de l`article)
Jane Holl Lute,conseillère spéciale de l’ONU.
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A l’attention de Jane Holl Lute,

Coordinatrice Spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies, en charge d’améliorer la réponse des Nations Unies à l’exploitation et aux abus sexuels

Bangui, le 8 mars 2016

Chère Jane Holl Lute,

Les Organisations Non-Gouvernementales Internationales (ONGI) membres du Comité de Coordination des ONGI1 (CCO) en République centrafricaine souhaitent vous féliciter pour votre nomination en tant que Coordinatrice spéciale en charge de l’amélioration de la réponse des Nations Unies à l’exploitation et aux abus sexuels (EAS).

La République centrafricaine (RCA) est un Etat fragile, frappé par la pauvreté et la guerre. Cette fragilité a laissé une population extrêmement vulnérable et dans un grand besoin d’aide internationale pour assurer que leurs besoins de base soient satisfaits et restaurer la paix.

Bien que le mandat de la mission déployée soit de protéger les civils affectés par la crise, la RCA compte le plus grand nombre de cas rapportés d’EAS commis par des forces internationales au sein des missions du Département de Maintien de la Paix (DPKO) des Nations Unies en 2015. Sur les 69 allégations d’abus sexuels enregistrées en 2015, 22 ont été confirmées en RCA. Depuis le déploiement de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) en septembre 2014, un total de 42 cas d’EAS commis par des éléments de la force a été rapporté.

Bien que des mesures aient été prises et des déclarations faites au plus haut niveau des Nations Unies pour que ces actes de violence cessent, sur le terrain, des actions restent à entreprendre pour assurer que la communauté internationale soit enfin pleinement redevable2 à l’égard des victimes d’EAS commis par certains éléments des forces, et leur assure ainsi une meilleure protection..

Des garanties doivent être adoptées et mises en œuvre pour protéger les droits des victimes – dont la plupart sont des jeunes filles mineures –, leurs familles et les témoins de ces actes de violence, y compris le droit à un conseil ou une représentation légale, le droit à la confidentialité et au respect de la vie privée, le droit au consentement éclairé et à l’information.

Dans la pratique, les victimes d’EAS sont rarement informées de leurs droits, et sont contraintes de témoigner même lorsque cela pourrait fortement affecter leurs vies, en les stigmatisant au sein de leurs communautés. De nombreuses agences des Nations Unies et organisations se sentant poussées à prendre des mesures pour identifier et traiter ces cas, des victimes se retrouvent interrogées par de multiples acteurs, qui ne leur fournissent aucune forme d’assistance. Cette multiplication des entretiens peut se révéler contreproductive, voire même dangereuse, en particulier pour les jeunes victimes.

Le premier objectif de toute agence ou organisation intervenant dans les cas d’EAS devrait être de garantir l’accès à la justice et aux services. Cela devrait être fait d’une manière qui minimise les effets négatifs que ces procédures peuvent avoir sur les victimes et leurs familles.

En outre, depuis la fin 2015, un certain nombre d’Etats Membres a envoyé des équipes d’enquêteurs en RCA après que des allégations ont été soulevées à l’égard d’éléments de leurs forces nationales. Toutefois, ces enquêteurs opèrent sans aucune supervision d’un organisme indépendant. De plus, ces équipes n’ont pas toujours été préalablement formées et ne disposent pas toujours de la capacité d’appliquer les standards de base internationalement reconnus pour interroger les victimes de violences sexuelles, même si ceci devrait constituer une exigence. De même, peu ou pas d’efforts sont faits pour informer les victimes des procédures qui se déroulent dans le pays d’origine de l’auteur des faits présumés, ainsi que de leur conclusion finale.

Nous pensons qu’il est de la plus haute importance de réviser les procédures et les accords actuels avec les Etats qui contribuent au déploiement de forces de maintien de la paix. Il s’agit en effet d’assurer que les standards institués par le droit international soient respectés dans la gestion des cas d’EAS commis par des éléments de ces forces, que ce soit en termes de protection, ou d’attitude pleinement redevable des Etats à l’égard des victimes, et ce tout du long de la procédure..

Nous recommandons vivement que :

Un organisme indépendant accompagne et surveille toutes les équipes nationales enquêtant sur des cas et/ou plaintes d’EAS ;
Les équipes d’enquête soient dûment habilitées et formées avant d’être déployées pour interroger des victimes et/ou témoins supposés. Ces équipes devraient avoir une bonne compréhension des risques liés à l’enquête sur des cas d’EAS. De plus, elles devraient constamment assurer que les victimes et témoins soient impliqués de façon volontaire dans les procédures d’enquête, et qu’ils aient été correctement informés de leurs droits. Les équipes d’enquête devraient toujours autoriser la présence d’un avocat lorsque les victimes et témoins sont interrogés ;
Des travailleurs sociaux formés doivent être impliqués dans les cas où les victimes et témoins sont des enfants.

De plus, afin de prévenir que de tels cas d’exploitation et abus sexuels ne perdurent, nous recommandons que :

Des formations sur le Code de conduite et la prévention des EAS soient organisées non seulement pour les officiers militaires, mais aussi pour tous les personnels de la Mission intégrée en partance pour des affectations civiles ou militaires ;
Le Code de conduite et les documents relatifs à la prévention des EAS soient disponibles en français et en anglais, mais aussi traduits dans toutes les langues nationales des différents contingents militaires de la Mission intégrée ;
Les sanctions en cas d’accusation d’EAS doivent se fonder sur une politique de tolérance zéro, être, dans la mesure du possible, immédiates, et inclure la suspension, la révocation voire la levée de l’immunité lorsque nécessaire ;
Chaque Etat mettant des troupes à disposition des forces de maintien de la paix des Nations Unies s’engage à consigner, sans aucun accès à la population, tout soldat suspecté d’EAS jusqu’à la clôture de l’enquête ;
Des points focaux pour la prévention des EAS sont identifiés et formés dans chaque contingent et département de la Mission intégrée, afin qu’ils puissent engager leurs pairs dans le respect du code de conduite, fournir des informations et relayer les allégations d’EAS à leurs supérieurs ;
Un mécanisme de plainte soit créé et officiellement communiqué à chaque membre de la Mission intégrée, et une campagne de communication adaptée pour le grand public soit développée ;
L’efficacité du système de vérification des antécédents et de l’habilitation soit améliorée et appliquée à tous les personnels de la Mission intégrée –qu’ils soient civils ou militaires ;
Une approche plus stricte envers les Etats qui ne respectent pas les standards des Nations Unies en matière de prévention des EAS et de comportement éthique de leur personnel militaire soit mise en œuvre ;
Une représentation accrue du personnel féminin dans les contingents au sein de la MINUSCA soit préconisée ; et que
Un nombre accru d’assistants de liaison communautaire se voit donner un rôle proactif pour diffuser largement des informations sur le mandat de la Mission et l’interdiction des EAS.

Le Comité de Coordination des ONGI en RCA accueille votre nomination comme une étape importante vers l’application de mesures qui contribueront à prévenir les cas d’EAS. Nous sommes convaincus que la tâche ne se limite pas au personnel des missions intégrées et que des efforts identiques, complémentaires et simultanés dans cette optique de prévention doivent également se faire plus largement au sein de la communauté humanitaire. Tout le monde doit en effet s’engager à des actions concrètes pour prévenir les EAS.

Nous sommes convaincus que les Nations Unies sont prêtes et capables d’améliorer leurs capacités de protection et de s’affirmer redevables à l’égard des victimes d’EAS commis par les forces internationales, et nous voulons vous assurer que la communauté humanitaire en RCA est, et continuera d’être, activement impliquée dans l’assistance aux victimes de tels actes.

ONGI signataires :

Comité de Coordination des ONGI (CCO) a été créé en avril 2014. Il regroupe actuellement 42 membres : Action Contre la Faim (ACF), Agence d’Aide à la Coopération Technique et au Développement (ACTED), Alliance For International Medical Action (ALIMA), Aviation Sans Frontières France (ASF-F), Avocats Sans Frontières Belgique (ASF-B), Cap Anamur, Catholic Relief Services (CRS), Centre pour le Dialogue Humanitaire (CHD), The Community Humanitarian Emergency Board Internation (COHEB), Concern Worldwide (CWW), Cooperazione Internazionale (COOPI), Catholic Organisation for Relief and Development Aid (CORDAID), Dan Church Aid (DCA), Danish Refugee Council (DRC), DirectAid (AMA), Emergency, Finn Church Aid (FCA), Groupe de recherche et d’Appui aux Interventions Intégrées de Nutrition en Santé (GRAINES), Handicap International (HI), International Medical Corps (IMC), InterSOS, International NGO Safety Organisation (INSO), International Rescue Committe (IRC), Jesuit Refugee Service (JRS), Lutherian World Federation (LWF), Médecins du Monde France (MDM), Mercy Corps (MC), Norwegian Refugee Council (NRC), OXFAM, Plan International, Première Urgence – Aide Médicale Internationale (PU-AMI), Save the Children (SCI), Search for a Common Ground (SFCG), Solidarités International (SI), Tearfund, Triangle Génération Humanitaire (TGH), WarChild-UK (WC-UK), WeltHungerHilfe (WHH), World Vision International (WVI) membres actifs mais aussi Médecins Sans Frontière Suisse (MSF-CH), la Croix-Rouge Française (CRF) et le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), membres observateurs.

2 En anglais, l’expression « accountability to survivors » est utilisée, traduite dans le langage courant par « redevabilité à l’égard des victimes ».Ce mot n’ayant toujours pas été intégré dans les dictionnaires de la langue française, nous avons préféré éviter son utilisation dans cet écrit.
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