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Bangui: l’introuvable vérité sur les viols d’enfants
Publié le vendredi 8 avril 2016  |  Journal de Bangui
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© Autre presse par DR
Des soldats français de l`opération Sangaris à Bangui en février 2014.
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Témoins qui se dédisent, contradictions… un an après les accusations visant des soldats français, la justice hexagonale tourne en rond

Les faits dénoncés sont terrifiants et l’enquête particulièrement complexe, mêlant témoignages d’enfants déplacés, la Grande Muette, et l’opacité des Nations unies, dans un pays déchiré par une guerre civile. Des accusations de violences sexuelles à l’encontre de militaires français déployés en Centrafrique dans le cadre de l’opération Sangaris ont à nouveau été révélées la semaine dernière. Le 30 mars, l’ONG internationale Aids-Free World a annoncé que l’Unicef avait recueilli les témoignages de 98 jeunes filles affirmant avoir été violées par des soldats de forces internationales en Centrafrique entre 2013 et 2015. Horreur dans l’horreur, trois filles - dont l’âge n’est pas précisé - ont aussi raconté avoir été "ligotées et déshabillées à l’intérieur d’une base militaire puis forcées à avoir des relations sexuelles avec un chien". Leur bourreau serait un officier de Sangaris, ont-elles témoigné. Donc un soldat français.

L’information a très vite été commentée au plus haut niveau de l’Etat: "On ne peut pas et je ne peux pas accepter qu’il y ait la moindre tache sur la réputation de nos armées, c’est-à-dire de la France", a lancé François Hollande le 1er avril depuis Washington. Le même jour, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour agressions sexuelles sur la base d’autres informations transmises le 29 mars par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Cette procédure s’ajoute à une autre, déjà en cours, pour des faits similaires: des viols sur mineurs qu’auraient commis des militaires français en Centrafrique en échange de rations de nourriture.

Dysfonctionnements

Trois juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris essaient depuis presque un an de vérifier les affirmations des témoins. Jusqu’ici sans succès, selon les éléments du dossier dont Libération a eu connaissance. En préambule d’une synthèse réalisée le 3 janvier, l’adjudant de la brigade de recherches prévôtale (enquêteurs de la gendarmerie) écrit: "Nos investigations mettent en lumière des dysfonctionnements ou des particularités permettant de douter de la parfaite fiabilité du rapport transmis par les services onusiens aux autorités françaises." C’est sur la base de ce rapport que tout a péniblement débuté.

Au printemps 2015, le quotidien britannique The Guardian révèle qu’un haut fonctionnaire des Nations unies, le Suédois Anders Kompass, a été suspendu pour avoir alerté les autorités françaises sur des accusations de violences sexuelles par des troupes de Sangaris. Neuf mois plus tôt, Kompass avait adressé au ministère français de la Défense et au chef d’état-major des armées une note confidentielle de six pages. Sans l’avoir expurgée des noms y figurant, ce que l’organisation internationale lui fera cher payer. La note comprend les témoignages de six enfants, âgés de 9 à 13 ans, quatre victimes et deux témoins. Gallianne Palayret, une Française de 34 ans en poste aux Nations unies à Bangui, les a recueillis après avoir été prévenue par le membre d’une ONG locale (lire notre article). Les faits dénoncés se seraient déroulés entre décembre 2013 et avril 2014 dans le camp de déplacés de M’Poko, contigu à l’aéroport de Bangui.

Depuis que l’ONU lui a accordé le statut de lanceur d’alerte, Gallianne Palayret peut s’exprimer dans les médias. Elle a ainsi raconté comment l’un des enfants décrivait le viol qu’il avait subi: "Un petit garçon m’a expliqué qu’un militaire lui avait demandé de le masturber puis lui avait fait "pipi dans la bouche"." Les mots choisis lui font penser qu’un tel récit ne peut avoir été inventé. D’autant que les descriptions des enfants fournissent de nombreux détails sur les militaires qu’ils accusent: un tatouage, une cicatrice, un nom… Ces précisions seront précieuses pour l’enquête française. Cinq militaires d’un régiment de l’est de la France, déployé en Centrafrique, ont ainsi été identifiés et entendus par la justice en décembre. Tous ont fait l’objet de perquisitions et de placements sur écoutes après les auditions, libres pour quatre d’entre eux et sous le régime de garde à vue pour le dernier. Celui-ci correspondrait à «Batman», un surnom cité par des enfants dans le rapport onusien. Interrogés par les enquêteurs français, plusieurs victimes «sont revenues sur les déclarations initiales» incriminant Batman, note la brigade de recherche dans sa synthèse, mais un autre enfant a reconnu sur une photo le soldat qui l’aurait abusé.

Tatouage

Dans le matériel informatique du militaire, les enquêteurs indiquent avoir trouvé 8 vidéos sur 857 pouvant "être interprétées comme de la "matière" pédophile", tout en précisant que [i "le faible volume […] ne peut pas caractériser en l’état l’expression d’une déviance de type pédophile"]. Lors de sa garde à vue, l’homme du rang a nié les faits et assuré qu’[i "il aurait eu une réaction violente [s’il avait] assisté à des relations sexuelles entre un militaire et un enfant"]. Un autre dira la même chose lors de son interrogatoire. "Il est inconcevable qu’il puisse y avoir eu des relations sexuelles avec un mineur", affirme-t-il lors de son audition. S’il a bien un tatouage et porte un prénom mis en cause dans le rapport de l’ONU, l’endroit du tatouage ne correspond pas et la victime est revenue, devant les gendarmes français, sur ses accusations.

"Les investigations réalisées jusqu’à ce jour permettent surtout de déceler du côté de l’accusation un certain nombre d’invraisemblances, de contradictions et de distorsions, sans pour autant permettre de rassembler la moindre preuve à charge à l’encontre des militaires français", conclut la note de synthèse, en s’interrogeant sur une éventuelle machination montée contre les soldats français.

Le contexte de l’époque pourrait lui aussi expliquer la volatilité de ces témoignages d’enfants. Au moment des faits, une centaine de milliers de Banguissois avaient fui les violences en se réfugiant à côté de l’aéroport, réputé plus sûr. Ils vivent dans une «extrême précarité» selon un humanitaire français alors présent sur place. Des Casques bleus d’autres contingents (Maroc, Géorgie, Egypte, Gabon) ont eux aussi été accusés de violences sexuelles en Centrafrique, comme d’autres forces de maintien de la paix ailleurs, avant eux. Un «cancer dans notre système», pour le secrétaire général de l’ONU.
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