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Centrafrique : pourquoi faut-il encore parler de la Seleka ?
Publié le vendredi 20 mai 2016  |  LNC
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© Reuters par Siegfried Modola
Des combattants de l`ex-Seleka dans les rues de Bangui
Lundi 27 janvier 2014
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Le déroulement pacifique des élections et l’instauration du gouvernement Touadera n’ont pas fait disparaître les groupes armés qui occupent le nord et l’est de la Centrafrique. Plus de trois ans après le début du conflit, bien que fragmentée, affaiblie et criminalisée, la Seleka a encore un potentiel déstabilisateur. Ses milliers de combattants pourraient mettre sérieusement en danger le processus de sortie de la crise s’ils ne reçoivent pas un traitement socioéconomique adéquat.

La Seleka qui a amené Michel Djotodia au pouvoir en 2013 n’a jamais été un groupe armé cohésif ayant des objectifs communs et une ligne de commandement claire. Dès ses débuts en 2012, le mouvement était composé de dirigeants présents depuis longtemps sur la scène des rébellions centrafricaines, et bénéficiant d’importants appuis externes (notamment de la part du Tchad), de quelques milliers de combattants déçus par le président Bozizé, et d’une forte composante de mercenaires de la région et de jeunes centrafricains marginalisés.

Dès 2013, des bandes armées ont occupé et ravagé la Centrafrique : tandis que Djotodia nommait ses ministres et désignait l’État-major, la Seleka était déjà divisée en plusieurs milices formées de quelques dizaines à quelques centaines d’hommes répondant à leur propre commandant. Au début de 2014, après la chute de Djotodia, la Seleka a repris de facto sa forme originelle, c’est-à-dire des groupes armés indépendants à base ethnique dont le but est le contrôle et l’exploitation du territoire centrafricain. Le retrait des troupes de la Seleka au nord et à l’est de la RCA coupe le pays en deux et définit une ligne que les autorités de transition[1] ne peuvent franchir que sous la protection des forces internationales. Depuis cette période, la partition du territoire entre factions s’est figée. La situation de conflit latent qui en dérive et qui affecte une large partie du pays contredit le message de normalisation provenant de la capitale.

Dans les zones sous son contrôle, la Seleka a mis en place sa propre économie de subsistance qui se fonde sur la taxation constante de la population, l’exploitation des ressources naturelles et les activités criminelles. Néanmoins, au cours des années, le contrôle des chefs sur leur zone d’influence n’est devenu qu’une pure apparence. Au fur et à mesure que les ressources à piller devenaient limitées et que l’euphorie de la rébellion laissait place à la fatigue, la distance entre les chefs du mouvement et la base combattante se creusait de plus en plus. Certains éléments, notamment ceux ayant une formation militaire de base, ont profité de la situation pour s’enrichir par le biais de commerces illégaux de ressources naturelles ou de troupeaux ; d’autres, la majorité, ont été de plus en plus libres de persécuter aussi bien la population sédentaire que les nomades pour trouver des moyens de subsistance. Les actions musclées des forces internationales avant le Forum de Bangui en mai 2015, d’un côté, et la politique de « villes sans armes » mise en place pendant la période électorale de l’autre, ont progressivement repoussé ces combattants – avec leurs armes – vers les axes du nord et de l’est du pays où ils peuvent commettre librement leurs exactions.

De 2013 à 2015, l’évolution de la Seleka s’est donc caractérisée par la partition militaire du territoire entre factions ethniques, l’exploitation de ce territoire par une multitude d’hommes armés et la distance croissante entre les chefs et les combattants. Suite à l’échec du processus de désarmement prévu par les accords de paix de 2008 et à une augmentation exponentielle de leur nombre et de la létalité des armes en circulation, la Centrafrique se retrouve avec des milliers de combattants sans alternative si ce n’est celle de poursuivre les combats. Ce sont donc des éléments facilement mobilisables par quiconque leur offre une perspective de bénéfice facile et une position de pouvoir dans la société.

Loin d’avoir disparue, la Seleka est en suspens et son évolution récente constitue un important facteur de risque pour la future stabilisation du pays. En effet, comprenant que bloquer le processus électoral aurait constitué une déclaration de guerre à l’ONU et à la France, les chefs de la Seleka ont décidé d’attendre la fin des élections. Ce n’est pas un hasard si depuis la fin de l’année passée les principaux chefs ont choisi une ville du centre du pays comme Kaga Bandoro pour y établir leur quartier général: les seigneurs de guerre ont abandonné leurs fiefs pour s’installer dans des bureaux officiels et être plus facilement en contact avec les représentants internationaux. La contrepartie de ce désenclavement a été la dispersion de la base du groupe. Au début de 2016, la présence d’hommes armés dans les fiefs de la Seleka était pratiquement inexistante. L’exemple de Kabo, ville à l’extrême nord de la préfecture de l’Ouham, en est une illustration : c’est un des premiers endroits où a pris pied la rébellion et un carrefour clé sur la route vers le Tchad, qui est devenu littéralement un no man’s land car personne n’a pris le relai après le départ de la Seleka, ni les forces internationales, ni l’Etat. L’augmentation du banditisme et des « coupeurs de route » se fait aux dépens de la population civile qui vit dans les villages situés sur les axes, des nomades avec leur bétail et de l’accès humanitaire.

Cette image du pays est complètement éclipsée par les grandes cérémonies de la capitale pour l’investiture de Faustin Touadera à la présidence et par la nomination du gouvernement. Mais nul doute que la priorité numéro un des nouvelles autorités est de résoudre le problème de la Seleka.

Le président Touadera doit éviter deux scénarios pour sortir le pays de la crise. Le premier consiste en l’adoption d’une attitude complètement «Bangui-centrique» qui ne tiendrait pas du tout compte des demandes des groupes armés relatives à la réforme du système de sécurité (RSS) et au programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR). Dans ce cas, certaines factions pourraient refuser les propositions du gouvernement. Pire encore, la déception à l’égard des promesses non tenues d’intégration dans l’armée pourrait entrainer une réunification des factions de la Seleka afin d’intimider le gouvernement. Même s’il est difficile d’imaginer une offensive militaire forte contre Bangui sans un appui externe, reprendre certaines villes clés du Nord s’avèrerait suffisant – une option qui est à la portée de la Seleka, avec le prochain départ de la force française Sangaris.

Le deuxième scénario à éviter est celui de la répétition de l’ancienne façon de faire le DDR en Centrafrique : inviter les chefs de la Seleka à Bangui pour les associer aux mécanismes administratifs que le gouvernement créera. Dans ce cas, on risque de revenir à l’époque des comités de pilotage sans fin, de la corruption et de la délégitimisation des seigneurs de guerre. Ces derniers s’enrichiront à Bangui et perdront le contact avec leur base dispersée dans le pays qui continuera à pratiquer le banditisme pour survivre. Dans ce scénario, il y aurait une prolongation du statu quo, dont le prix serait payé par les civils jusqu’à la prochaine rébellion.

Dans ces circonstances, la tâche du président Touadera semble immense. La façon dont il décidera de traiter les dossiers les plus sensibles, notamment la RSS et le DDR, sera cruciale : il devra reconquérir le monopole de l’usage de la force et, en même temps, il devra donner de vraies alternatives de réinsertion aux combattants et les faire sortir définitivement du cercle vicieux de la violence. Ceci permettra de faire la différence avec la gestion désastreuse des précédentes périodes d’après-conflit qu’a connu la Centrafrique par le passé et dont les exigences de DDR n’ont pas été atteintes – notamment les options socioéconomiques adéquates pour les éléments des groupes armés. C’est seulement en apportant une véritable solution au problème que pose la Seleka qu’il sera possible de mettre fin à la crise la plus profonde de l’histoire du pays.
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