Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Centrafrique    Publicité
aBangui.com NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Le Tchad sous la menace d’une explosion sociale
Publié le jeudi 22 decembre 2016  |  Centrafrique Presse Info
Idriss
© Autre presse par DR
Idriss Deby Itno, chef de l’Etat tchadien et président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC)
Comment




La baisse des cours du pétrole a vidé les caisses de l’Etat. Depuis des mois, enseignants, étudiants et personnels de santé sont en grève.

Une fois n’est pas coutume : Idriss Déby, dont l’aura repose sur son sens de la tactique militaire, pourrait se prévaloir des encouragements d’organisations de défense des droits de l’homme et d’associations féministes. Les députés tchadiens ont voté, lundi 12 décembre, l’abrogation de la peine de mort, sauf pour les actes de terrorisme, interdit les mariages précoces des jeunes filles mineures et fait passer l’homosexualité de crime à délit. Mahamat Ali, étudiant en première année à l’université de N’Djaména, se fiche pas mal de ces mesures progressistes qui semblent destinées avant tout à séduire les partenaires occidentaux du Tchad au moment où son pays traverse une violente crise sociale.

Les principaux tourments du seul président que le jeune homme ait connu – Idriss Déby est au pouvoir depuis vingt-six ans – ne viennent pas cette fois des colonnes de pick-up rebelles fonçant sur la capitale depuis le Darfour ou les montagnes du Tibesti. Ni des insurgés islamistes de Boko Haram qui s’infiltrent par le lac Tchad. Le danger vient aujourd’hui de l’état des finances publiques.

Depuis trois mois, les enseignants, les étudiants et les personnels de santé sont en grève. Seuls les magistrats viennent de suspendre pour un mois leur mot d’ordre. Le débrayage a commencé en septembre, lorsque le gouvernement a annoncé de sévères mesures d’austérité pour juguler la crise financière due, dit-il, à la chute des cours du brut et à l’effort de guerre contre les groupes djihadistes. Sèchement, les indemnités des fonctionnaires ont été réduites de moitié et les bourses des étudiants ont cessé d’être versées. L’objectif gouvernemental est de diminuer de 31 % les dépenses de l’Etat.

« Malédiction de l’or noir »

Depuis lors, Mahamat Ali ne reçoit plus un sou de l’Etat et, comme tous les élèves du pays, « ne [fait] rien puisqu’il n’y a rien à faire et que tout est à plat ». Le chef de division d’une administration confie que sa situation, comme celle des comptes publics, est « alarmante ». « Nous en sommes à trois mois d’arriérés. Normalement, je touche 600 000 francs CFA [912 euros] par mois, qui couvrent le tiers des dépenses de la famille. Depuis septembre, mon salaire mensuel est amputé de 200 000 francs CFA [304 euros] », dit-il sous couvert d’anonymat.

La colère est d’autant plus grande que, « pendant la période faste des revenus pétroliers, le gouvernement a refusé d’augmenter les salaires, dénonce l’opposant Gali Ngothé Gatta. Face au mécontentement général, le pouvoir n’a aucune proposition, aucune solution, car les comptes sont à sec. Cette situation peut mener à une explosion sociale que le gouvernement aura du mal à contenir, sauf par la répression ». Depuis le début de la fronde sociale, les voix contestataires sont soumises à la pression des forces de l’ordre.

Pivot sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne, principal allié militaire de la France dans la région – le quartier général de l’opération « Barkhane » est installé à N’Djaména –, le Tchad a vu ces dernières années ses échanges commerciaux, notamment de bétail, perturbés par l’insécurité aux frontières. Ses interventions militaires extérieures ont renforcé le poids d’Idriss Déby sur la scène internationale mais ont grevé les comptes publics, même si celle au Mali est financée par les Nations unies.

Désormais, c’est de la « malédiction de l’or noir » que souffre le Tchad. « Les investissements sont montés en flèche au début des années 2000 sous l’effet du développement du secteur pétrolier [la production a débuté en 2003]. (…) Au cours de la période 2004-2015, le Tchad a perçu le montant impressionnant de 13 milliards de dollars en recettes pétrolières », indique le Fonds monétaire international (FMI) dans un rapport d’août. Mais les cours se sont effondrés et les revenus tirés du pétrole, qui culminaient à 2 milliards de dollars en 2011, n’étaient plus que de 200 millions en 2015, selon le FMI.

Nouveaux riches

De surcroît, les finances de l’Etat sont étranglées par un accord avec la multinationale Glencore. Pour racheter en 2014 les parts de Chevron dans les gisements de Doba, le pouvoir a contracté auprès du géant anglo-suisse des matières premières un prêt de 1,45 milliard de dollars. Glencore devait se rembourser en quatre ans en exportant pour son propre compte les barils tchadiens. Mais, là encore, la chute du prix du brut a bouleversé les plans. « Cette dette a été rééchelonnée jusqu’en 2022, indique le chercheur Ousmane Houzibé. Résultat : le pays ne bénéficie toujours pas des dividendes de la Société des hydrocarbures du Tchad dans le consortium de Doba, puisqu’ils sont directement cédés à Glencore en remboursement. »

Or cette dette n’est pas le seul gouffre des finances tchadiennes. « La vraie question, c’est la gouvernance, dit une source officielle sous couvert d’anonymat. Ces dernières années, on a ouvert des chantiers un peu partout, sans planification. Aujourd’hui, tout est à l’arrêt. Les voyages intempestifs du chef de l’Etat avec toute sa cour coûtent excessivement cher. Quant aux régies de l’Etat [douanes et impôts], le président y a placé ses parents qui ne reversent pas les prélèvements sur le compte du Trésor. »

Le boom pétrolier a fait naître au Tchad une classe de nouveaux riches, mais ce sont aujourd’hui les populations qui payent le prix de la chute des cours. A Paris, certains décideurs s’inquiètent pour la stabilité de ce pays stratégique. Mais remettre en cause l’alliance avec Idriss Déby n’est pas envisageable, il est trop précieux pour être ouvertement critiqué et les bailleurs internationaux devraient lui apporter au plus vite une bouffée d’oxygène.

Cyril Bensimon
Commentaires


Comment