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Centrafrique : "Le poids d’un parti politique se mesure par ses résultats électoraux sur une longue période" dixit Martin Ziguélé
Publié le mardi 13 juin 2017  |  Sango ti Kodro
Martin
© Autre presse par DR
Martin Ziguélé, président du ​Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC)​, leader de l’opposition
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Homme politique centrafricain de premier plan et par ailleurs Président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé a accepté de se confier à cœur ouvert, à la rédaction du journal d’actualité centrafricaine en ligne Sango Ti Kodro (STK) afin d’évoquer ensemble des sujets concernant à la fois son parcours personnel, les activités de son parti, les préoccupations d’ordre politique, économique et social de son pays, la république centrafricaine.

STK - Parler de soi n’est pas souvent un exercice très apprécié. Malgré tout, voudriez-vous brièvement vous présenter pour nos lecteurs ?

Martin Ziguélé : Je suis citoyen centrafricain, âgé de 59 ans, marié et père de six enfants: trois garçons et trois filles, tous majeurs. Sur le plan professionnel, je suis assureur de formation et de métier, et je continue activement dans ce secteur par le biais du conseil aux dirigeants des compagnies d’assurances, mais aussi en assumant des missions d’administrateur dans trois compagnies d’assurances au Burkina, au Cameroun et au Tchad. Sur le plan politique, je suis Président du Parti MLPC (Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain), et actuellement Député de la circonscription de Bocaranga 3 dans le nord-ouest de la RCA et Président de la Commission Finance, Economie et Plan à l'Assemblée Nationale.Comme vous le savez, je fus Premier Ministre et ancien Ministre des finances. Je fus aussi pendant quelques mois Ministre intérimaire de la Défense.

2- Vous êtes un homme politique d’envergure nationale, ayant occupé de très hautes fonctions ? Que signifie pour vous faire de la politique ?

Martin Ziguélé : C'est sur les bancs de l'Université que j'ai commencé à m'éveiller à la politique. On était sous Bokassa et, le climat politique était glacial et dangereux. Avec les évènements de janvier 1979 qui étaient d'abord un mouvement de jeunes contre la dictature, j'ai décidé de franchir le rubicond et de m'impliquer ouvertement en politique. En résumé, je me suis engagé en politique pour demander la restauration de la République et pour la défense des valeurs républicaines.

3-Vous présidez actuellement aux destinées du MLPC, parti créée par l’ancien Président Ange-Félix Patassé en février 1979 à Paris avec qui, vous étiez resté proche jusqu’à sa mort en avril 2011 à Douala au Cameroun. Quel est votre parcours au sein de ce parti où vous avez apparemment gravi tous les échelons pour en devenir Président aujourd’hui ?

Martin Ziguélé : C'est en septembre 1979 que j'ai adhéré au MLPC quand je venais juste de finir mes études, et que je commençais à peine à travailler. J'étais d'abord au niveau de la cellule du quartier de SICA 3 à Bangui, puis en 1988 j'étais en poste à Lomé où j'ai retrouvé le Président Patassé qui y était en exil depuis 1982. J'étais pratiquement tous les jours avec lui, et j'étais à la fois son "secrétaire" et son confident. Il m'a beaucoup appris sur la RCA, sur la politique centrafricaine, les hommes, etc. Au premier Congrès du Parti en 1995, après la victoire du Parti aux élections présidentielles de 1993, j'étais proposé au Conseil Politique National - organe suprême du Parti entre deux Congrès - mais j'ai décliné à cause de mes obligations de réserve liées à mon statut de fonctionnaire international. Mais malgré cela j'ai toujours milité et aidé le Parti. C'est après le coup d'Etat de François Bozizé le 15 mars 2003 que je suis entré au Conseil Politique National, puis j'ai été élu à la Présidence du Parti en juin 2006, et confirmé en juin 2007.

4- La République centrafricaine compte près de 70 partis politiques légalement reconnus par le ministère de l’intérieur. Que représente concrètement votre parti en termes de poids politique par rapport à d’autres ?

Martin Ziguélé : Le poids d'un parti politique se mesure par ses résultats électoraux sur une longue période. Le MLPC a été créé en 1979, et il a gagné les élections pluralistes en 1993, et c'était la première fois dans l'histoire de la RCA qu'un parti politique issu du peuple ait gagné des élections pluralistes. Depuis 1993 jusqu'à ce jour, nous avons toujours eu des représentants à l'Assemblée nationale sauf en 2011 où nous avons refusé de cautionner la mascarade électorale de janvier 2011.

5-Vous avez perdu lors des dernières élections présidentielles qui ont porté l’actuel Président, Faustin-Archange Touadéra à la tête du pays. Avec le recul, êtes-vous capable de dire aujourd’hui ce qui n’a pas vraiment marché ? Comprenez-vous pourquoi les électeurs ont choisi de vous éliminer dès le premier tour ?

Martin Ziguélé : Les élections ne sont pas une science exacte, et des élections de sortie de crise encore moins, dans un pays où l'administration n'avait pas la maîtrise du territoire et où les groupes armés étaient partout présents. Nous étions 30 candidats, dont plusieurs de la grande famille MLPC divisée, donc nos chances étaient déjà doublement réduites. Il faut ajouter à cela la campagne médiatique hystérique menée contre moi, le "Tout Sauf Ziguélé", sous le prétexte que j'étais complice sinon l'auteur de l'arrivée des Sélékas au pouvoir et qu'en plus je serais le candidat de la France. Bien sûr en interne au MLPC nous avons sous-estimé cette campagne médiatique haineuse menée par les mêmes cercles qui, depuis 2005 inventent cycliquement des accusations contre moi.

6-Au second tour, vous avez appelé à voter pour l’actuel Chef de l’Etat. Etait-ce un choix judicieux au cas où vous envisageriez de vous présenter aux présidentielles de 2021 ? Pourquoi ce choix ?

Martin Ziguélé : C'est sur décision unanime du Bureau Politique du MLPC que nous avons choisi de soutenir le candidat Touadéra qui a été ensuite élu. Ce soutien a été renouvelé lors de notre Conclave les 17 et 18 décembre 2016 à Bangui. Pour le reste, les élections sont terminées et maintenant ce qui est important c'est de travailler pour le redressement de notre pays.

7- Soutenez-vous sans réserve les mesures prises par le gouvernement actuel du nouveau président élu ou bien vous êtes un allié loyal qui jouit également de sa liberté de parole ?

Martin Ziguélé : Nous sommes le seul parti politique à avoir signé entre les deux tours un Accord politique avec le candidat Faustin Archange Touadéra. Nous sommes naturellement loyaux puisque nous soutenons les actions du gouvernement quand elles vont dans le sens du relèvement de notre pays et de la consolidation de la paix et de la cohésion sociale. En même temps, nous sommes libres de nos paroles et de nos actions.

8- Quels sont les défis à relever qui nécessitent du gouvernement des efforts considérables et le soutien des partenaires étrangers ?

Martin Ziguélé : Notre pays a connu entre 2012 et 2015 la crise la plus grave et la plus destructrice de son histoire. Par conséquent le premier défi est le retour de la paix et de la sécurité, ainsi que de l'administration de l'Etat sur toute l'étendue du territoire national. C'est le premier défi et, il structure l'ensemble de la vie du pays. Cela passe par le lancement effectif du Programme DDRR (Désarmement- Démobilisation-Réinsertion et Rapatriement) et celui de la réforme du Système de Sécurité. Le second défi est celui de la reconstruction et du relèvement du pays. Le PIB avait plongé de plus de 30% en 2013, et des efforts importants sont nécessaires pour impulser une croissance robuste, dans un contexte quasi-récessif en Afrique centrale. Le troisième défi est celui de la réconciliation national et la cohésion sociale avec le retour dans leur pays des déplacés et des réfugiés.

9-La RCA traverse une situation d’instabilité chronique depuis quelques années. Que faut-il faire pour favoriser le retour définitif de la paix ?

Martin Ziguélé : Je l'ai déjà souligné, le retour à la paix passe d'abord par le succès du processus du DDRR et de la réforme du secteur de la Sécurité, afin que le monopole de la violence revienne à l'Etat. Ensuite l'Etat dans toutes ses composantes régaliennes doit se rapprocher physiquement du citoyen. Enfin la paix qui dure est celle des cœurs, d'où la nécessité de promouvoir la réconciliation nationale sans sauter la case "justice". Une réconciliation nationale sans justice est une cation éphémère comme l’histoire de notre pays le démontre amplement.

10- Au-delà du rôle positif de l’opération Sangaris dans votre pays, des graves accusations d’agressions sexuelles commises par quelques militaires ont terni l’image des militaires français. Quel regard portez-vous sur cette affaire ? Faites-vous confiance à la justice française pour faire toute la lumière, en toute impartialité sur cette affaire ?

Martin Ziguélé : Lorsque la justice d’un pays, quel qu’il soit, est saisie d’une affaire, le principe républicain commande de laisser la justice continuer à investiguer puis à faire son travail. C’est lorsqu’une décision sera rendue, que nous donnerons notre impression au vu des faits constatés, des réalités et des évidences actées par la justice.

11-Quelle est votre opinion sur la politique africaine de la France, en général et vis-à-vis de la Centrafrique, en particulier ?

Martin Ziguélé : Pendant des décennies, les intellectuels africains ont perdu beaucoup d'encre et de salive pour analyser, jauger, juger et critiquer la politique africaine de la France, et bien sûr c'est le cas aussi en RCA. C'est un exercice sans doute intellectuellement séduisant et sans doute nécessaire, mais je préfère de loin le pragmatisme des pays anglophones en matière de relations internationales qui ont compris que pour exister il faut peser. Pour peser et compter, il faut avoir une économie à base diversifiée et une gestion transparente de la vie publique. Si nous ne travaillons pas dans ce sens, toutes nos complaintes ne changeront rien à la realpolitik et au rapport de forces qui sont les lois d'airain des relations internationales.

12-Le contrôle de la monnaie constitue l’un des attributs de la souveraineté d’un Etat. Quatorze pays de la zone Cemac et Umoa ont le FCFA en partage. Des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer la dépendance de cette monnaie au Trésor français, pendant d’autres n’y voient que du bien. Qu’en pensez-vous ?

Martin Ziguélé : En tant que démocrate et citoyen africain engagé, j'estime naturellement que le débat sur le franc CFA est légitime mais je pense par ailleurs que nous devons toujours être lucides par rapport à nos propres réalités. En effet, les regroupements sous régionaux en matière d’intégration n’ont pas les mêmes performances dans les deux parties concernées de l’Afrique, et cela ne milite pas en faveur du décrochage du franc CFA de l’euro, afin de permettre son flottement. Je suis un partisan de l’ajustement réel, c’est-à-dire une diversification de notre base économique, entre autres par une multiplication des partenariats, y compris sud-sud. Les réflexions doivent se poursuivre et des étapes intermédiaires ou alternatives doivent être explorées.

13-Les africains sont nombreux à immigrer en Europe pour fuir la misère et la dictature qui sévissent dans certains pays. Quelles sont vos préconisations en matière de lutte contre les départs massifs des africains vers le vieux continent ?

Martin Ziguélé : Vous soulevez là un problème douloureux, qui est en même temps un thermomètre de la santé économique et sociale de nos pays. Personne ne peut aller volontairement à la mort ou devant un grave danger. Si des jeunes africains continuent à braver toutes les barrières pour immigrer en Europe ou ailleurs dans le monde, c’est parce que nos modèles économiques ne leur laissent pas, à l’heure actuelle, des opportunités. La jeunesse constitue une vraie bombe à retardement pour nos pays car, de leur véritable insertion économique et sociale dépendra la stabilité de l’Afrique et même des continents voisins.

14-De plus en plus, la contestation des élections se généralise en Afrique, faute des scrutins équitables et transparents. Les Présidents sortants ne s’inscrivent jamais dans le sens de l’alternance. Comment peut-on sortir de ces pratiques contraires à l’exercice démocratique dans un pays ?

Martin Ziguélé : Le mal que vous citez est réel mais il n’est heureusement pas étendu à toute l’Afrique, et il n’est pas systématique non plus, puisque dans plusieurs pays d’Afrique australe, orientale et occidentale, nous en sommes à la troisième ou quatrième alternance au sommet de l’Etat après des élections propres. Il est donc incontestable qu’aujourd’hui en Afrique il y a plus d’élections réussies et débouchant sur une alternance au pouvoir que dans la décennie précédente. Votre crainte est fondée pour certains pays mais je suis un afro-optimiste il ne faut pas désespérer, la démocratie et l’alternance ne peuvent que progresser, car c’est l’histoire qui nous l’enseigne. Comparez l’Amérique latine il y a juste une trentaine d’années et celle d’aujourd’hui, et faites le même exercice pour l’Asie du sud-est. Les réalités socio-historiques qui sont aujourd’hui des facteurs de blocage se lèveront car rien ne résiste au temps.

15-Les institutions internationales comme l’Union Africaine et l’ONU sont minées par des contradictions internes qui les empêchent de jouer convenablement leurs rôles. Que préconiseriez-vous comme ajustements ?

Martin Ziguélé :Très vaste sujet, et en citoyen africain, je pense que l’Union Africaine a fait une mue organisationnelle importante il y a quelques années. De même, elle est plus proactive que dans les décennies passées. Nous ne pouvons qu’encourager ce mouvement car les défis restent nombreux en Afrique sur tous les fronts : sécurité, intégration économique, emploi des jeunes, etc. Je pense qu’il faut adopter les propositions de l’ancien Président de la Banque Africaine de Développement sur un système de financement autonome de l’UA pour lui donner les moyens de son action, car nous le savons tous l’argent est le nerf de la guerre. S’agissant de l’ONU, un nouveau Secrétaire général vient d’être nommé. Il faut attendre ses premières décisions pour aviser par rapport aux nombreuses attentes des pays en crise comme la RCA.

16-Le Président Hissein Habré était de nouveau devant la barre, le 09 janvier 2017 à Dakar. En quoi ce procès sert d’exemple aux dictateurs du continent ?
Martin Ziguélé : La tenue de ce procès sur le sol africain est en soi une grande victoire, et un événement majeur. Je pense d’abord aux victimes de ce régime sanguinaire, dont plusieurs sont mortes de manière cruelle et pire encore, seules et déshumanisées dans le secret anonymat des cachots. Aujourd’hui la justice a rappelé leurs noms au monde entier et leurs familles peuvent enfin faire leurs deuils. Ce procès est aussi un appel au respect absolu des droits humains et de la dignité humaine, et servira d’exemple parce qu’il est la preuve que l’impunité est rejetée partout dans le monde y compris en Afrique.

17-La sous-région Afrique centrale traverse une zone de turbulence liée aux multiples problèmes sécuritaires, économiques, financiers et sociaux. Quelles sont les causes endogènes et exogènes responsables de cette situation ?

Martin Ziguélé : Les causes des problèmes que vous citez sont connues : elles tiennent pour partie à notre histoire politique et sociale depuis l’indépendance, à notre environnement géographique, et aussi dans la manière de gérer nos affaires publiques. Les peuples ont également leurs responsabilités, que chacun peut diversement apprécier. L’Afrique centrale est plutôt une région généreusement dotée par la nature sur le plan du potentiel économique, et des marges de progression sont réelles sur tous les plans pour que ces atouts contribuent à l’amélioration de la situation économique, sociale et politique de nos pays. C’est le rôle du politique de transformer cette vision en réalité, et inversement celui des peuples d’être citoyens.

18-Comment voyez-vous l’avenir de votre pays et du continent africain en général ?

Martin Ziguélé : Je vous l’ai déjà dit, je suis optimiste sans être naïf. L’Afrique en général et la RCA en particulier est une terre d’opportunité, mais l’histoire, une fois encore, nous apprend que les richesses potentielles ou exploitées ne suffisent pas. Il faut intégrer définitivement dans nos gênes la bonne gouvernance, et le sens de l’intérêt général.

19-Avez-vous un dernier message à délivrer aux centrafricains et aux africains pour terminer ?

Martin Ziguélé : Je vous remercie de m’avoir donné cette opportunité de m’adresser à vos lecteurs, à qui je souhaite, comme à vous-même, mes vœux les meilleurs pour cette nouvelle année. Le message que j’adresse aux Centrafricains est une citation de Karl Marx « L’humanité ne se pose que des problèmes qu’elle peut résoudre ». Nos problèmes en Afrique et plus particulièrement en RCA ne sont pas insolubles : il nous faut nous accepter les uns les autres sur cette terre de Barthélémy Boganda dont le slogan est « Zo kwé Zo » c’est-à-dire en notre langue nationale Sango « Tout être humain est une personne humaine ». La réconciliation, la justice et l'union nous permettront de soulever des montagnes.


Propos recueillis par Aristide TOSSA
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