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« En Centrafrique, les groupes armés prolifèrent grâce à une impunité totale »
Publié le vendredi 25 aout 2017  |  Centrafrique Libre
Centrafrique
© Autre presse par DR
Centrafrique : des leaders de groupes armés attendus à Rome
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Quatorze factions armées, une myriade de milices locales, des intrusions de mercenaires venus des pays limitrophes, une armée informelle « milicianisée ». En août, soit moins d’un an après le retrait officiel de l’opération militaire française « Sangaris », plus de 80 % du territoire de la République centrafricaine est sous le contrôle ou l’influence de milices armées.

Depuis dix mois, la situation sécuritaire et humanitaire est désastreuse. Ces derniers jours, les villes de Bangassou, Gambo et Béma, situées dans l’est du pays, sont le théâtre de massacres et de violences sectaires. Si les chefs des groupes armés portent une lourde responsabilité, ils ne sont pourtant pas les seuls responsables de cette escalade des violences. Des acteurs politiques et leurs réseaux de soutiens, plus discrets mais avides de pouvoir et d’enrichissement personnel, agissent dans l’ombre en soutenant et perpétuant ces crimes.

Ce système politique, fondé sur l’instrumentalisation de la violence, alimente les trafics, menace la stabilité de la région et maintient la population de tout un pays dans un désarroi profond. Pour sortir de la crise, il apparaît urgent de délégitimer les acteurs de la violence qui participent pourtant aux processus de paix, de renforcer la mise en œuvre des mécanismes judiciaires et de sanctions ciblées, de s’attaquer aux réseaux de trafics, pour ouvrir la voie vers un dialogue de paix.

Prolifération de groupes armés

A l’heure où les Nations unies alertent l’opinion internationale sur l’existence de « signes avant-coureurs » d’un génocide et d’un nettoyage ethnique, le bilan des trois années de la mission de l’ONU en Centrafrique s’avère plus que mitigé. Un récent rapport d’enquête des Nations unies le confirme, indiquant que « peu de progrès ont été accomplis pour apporter des solutions aux causes profondes de la crise ».

Pire, depuis 2014, le nombre de groupes armés prolifère à un rythme effrayant et leur pouvoir de nuisance continue de s’accroître. Confirmées en février dans un rapport du secrétaire général des Nations unies, les gesticulations des chefs des groupes armés s’expliquent par une volonté de renforcer leur pouvoir de négociation dans les pourparlers, qui incluent notamment la quête d’une amnistie générale.

Face aux blocages, et depuis dix mois déjà, les chefs de trois groupes armés issus des ex-Séléka (le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique, de Nourredine Adam ; le Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique, de Zakaria Damane ; le Mouvement patriotique centrafricain, de Mahamat Al-Khatim) et d’un groupe issu du mouvement anti-balaka (dirigé par Maxime Mokom) ont formé une coalition opportuniste, et sont passés à une stratégie plus meurtrière et plus violente encore. Celle-ci consiste en une intensification des violences sectaires, l’extension de leur zone de contrôle, des attaques ciblées contre le personnel humanitaire et onusien et contre les groupes qui refusent de les rallier, et une intensification de la prédation économique.

Instrumentalisation d’un patriotisme de façade

En quinze ans, la situation sécuritaire du pays s’est largement détériorée. Un phénomène d’un genre nouveau a vu le jour : la professionnalisation de la violence armée avec la prolifération de groupes politico-militaires, qui adoptent des tactiques agressives pour faire valoir leurs revendications. Ces groupes armés nouvelle génération incarnent un secteur en pleine expansion puisqu’ils sont les premiers « pourvoyeurs d’emplois » d’une jeunesse rurale désœuvrée.

Pour légitimer leur existence et peser dans les négociations politiques, leurs chefs instrumentalisent un patriotisme de façade et s’approprient les mots patriotes, justice, paix, unité, démocratie, etc. Ils articulent aussi une idéologie qui leur permet de légitimer leurs exactions et mieux justifier leurs revendications politiques.

Aujourd’hui, le jeu politique centrafricain est entièrement accaparé par ces groupes politico-militaires et par des acteurs politiques nationaux et régionaux pour qui la violence est une arme politique. Les partis politiques sont devenus des acteurs de seconde zone qui s’allient pourtant avec les groupes armés lorsque leurs intérêts convergent.

Dans la capitale du pays, Bangui, la tension est palpable et le climat politique est délétère. Depuis longtemps, le pays vit au rythme des menaces, réelles ou fictives, de coups d’Etat. Pour comprendre cette dynamique, il faut rappeler qu’en Centrafrique, le changement de régime a plus souvent été le résultat d’un coup d’Etat militaire que d’un processus électoral. François Bozizé, en 2003, et Michel Djotodia, en 2013, ont été propulsés au sommet de l’Etat grâce à l’action concertée de combattants armés et de soutiens extérieurs. Cette tradition du changement de régime par la force s’est aujourd’hui enracinée dans la culture politique du pays.

Myriade de groupes politico-militaires

Dans ce système, certains acteurs politiques, motivés par des intérêts politiques et financiers privés, n’hésitent pas à faire appel à la myriade de groupes politico-militaires pour faire avancer leurs ambitions personnelles. Deux exemples illustrent ce système.

François Bozizé, le président chassé du pouvoir par un coup d’Etat en 2013, continue d’instrumentaliser les réseaux affiliés à son parti politique, le Kwa Na Kwa, et à l’aile anti-balaka dirigé par son neveu, Maxime Mokom. L’homme influence ces réseaux et ses appuis extérieurs pour tenter un retour au pouvoir.

Durant la transition politique de 2014-2015, des sources crédibles confirment que certains hommes politiques installés à des postes de responsabilité durant la transition politique de 2014-2015 n’auraient pas hésité à soutenir les milices armées pour créer les troubles dans la capitale, Bangui, et dans le reste du pays. D’après ces mêmes sources, l’objectif était simple : empêcher l’organisation d’élections pour obtenir une prorogation de la transition et se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible.

Dans le climat politique actuel, ce système perdure toujours et prolifère grâce à une impunité totale. Faut-il renforcer la force onusienne pour stabiliser la Centrafrique ? Sans doute, mais sans un mandat robuste qui viserait à aller aux racines des violences, cette stratégie pourrait bien être vaine.

Pour pouvoir engager un dialogue constructif, la communauté internationale devrait privilégier certaines mesures prioritaires, à savoir l’annonce avec fermeté que tout régime arrivé par la force n’obtiendra pas de reconnaissance régionale et internationale. Les mécanismes judiciaires et de sanctions financières devraient être renforcés et rapidement mis en œuvre en ciblant les acteurs de la violence, ainsi que leurs réseaux de soutien. En Centrafrique, la violence ne devrait plus être un business profitable.

Nathalia Dukhan est chercheuse et analyste pour l’ONG américaine Enough Project sur la Centrafrique. Sorces: Le Monde
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