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Destitution: Ce qu’il faut savoir pour ne pas échouer

Publié le mardi 9 octobre 2018  |  africaininfo
RCA
© Autre presse par DR
RCA : rapport sur les mouvements de populations – août 2016
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La destitution dans la Constitution : ce qu’il faut savoir [petit cours de droit constitutionnel sur la manière de chasser démocratiquement nos gouvernants]

Par Prof. Jean-François AKANDJI-KOMBÉ

Ces derniers temps, la République Centrafricaine résonne d’un mot qui en effraye certains, font jubiler d’autres, tandis qu’il est tout simplement mystérieux pour le plus grand nombre.

Il n’est que temps de lever le mystère.

Chacun pourra alors parler, agir et juger en pleine connaissance de cause.

Lever le mystère en répondant simplement, à partir de la Constitution centrafricaine du 30 mars 2016, aux questions suivantes :

Qu’est-ce que la destitution ?
Qui peut être destitué ?
Quels motifs peuvent justifier la destitution ?
Qui peut engager la procédure de destitution ?
Qui prononce la destitution ?
Quelles suites pour la destitution ?
I- Qu’est-ce que la destitution

La destitution est un évènement qui met fin au mandat avant son terme prévu. Ce n’est pas le seul évènement qui ait un tel pouvoir. Produisent le même effet la mort du titulaire du mandat, sa démission (volontaire), ou encore son empêchement définitif, pour des raisons de santé par exemple.

Par rapport aux autres manières d’abréger le mandat, la destitution est cependant la seule qui ne soit pas commandée par des causes naturelles, la seule où la cessation du mandat intervient à l’initiative de tiers.

La destitution est donc à considérer comme un procédé par lequel une autorité est contrainte par d’autres personnes ou institutions à quitter le pouvoir avant le terme de son mandat.

Dernière précision, de taille : la destitution est un mode de cessation contrainte prévu par la Constitution ; mais, surtout, elle est le seul mode de cessation contrainte de l’exercice du pouvoir autorisé, le seul mode qui soit démocratique parce que, précisément, il est prévu par la Constitution.

En effet, toute autre manière de chasser du pouvoir un des dirigeants concernés par la destitution est à considérer comme « non démocratique » au sens de l’article 28 de la Constitution du 30 septembre 2016. Cet article prévoit que :

« L’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé non démocratiqueconstitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes aura déclaré la guerre au peuple centrafricain.

Toute personne physique ou morale qui organise des actions de soutien, diffuse ou fait diffuser des déclarations pour soutenir un coup d’Etat, une rébellion ou une tentative de prise de pouvoir par mutinerie ou par tout autre moyen, est considérée comme co-auteur.

Les auteurs, co-auteurs et complices des actes visés aux alinéas 1 et 2 sont interdits d’exercer toute fonction publique dans les Institutions de l’Etat ».

Constituerait ainsi un « procédé non démocratique » d’accession au pouvoir le fait de recourir à un procédé non prévu par la Constitution, mais aussi le fait de recourir à un tel procédé sans respecter les termes de la Constitution et/ou de ses actes d’application (voir plus loin).

II- Qui peut être destitué ?

La Constitution du 30 mars 2016 mentionne la destitution à propos de deux autorités :

Le Président de la République(article 47, à combiner avec l’article 124) ;
Le Président de l’Assemblée Nationale(article 70).
III- Quelles raisons peuvent justifier la destitution ?

Ces raisons sont essentielles. Pour que la destitution puisse mériter constitutionnellement son nom, et donc pour qu’elle puisse être considérée comme un « procédé démocratique », il faut qu’elle soit justifiée par les raisons que la Constitution et ses actes d’application prévoient.Et par ces raisons seulement.

Les raisons prévues varient suivant qu’il s’agit du Président de la République ou du Président de l’Assemblée Nationale.

Quelles sont-elles ?

III-a) Pour le Président de la République

La destitution du Président de la République prévue par l’article 47 de la Constitution est prévue comme étant la conséquence d’une condamnation de celui-ci. On est donc renvoyé aux cas où le Président de la République peut être condamné, c’est-à-dire, concrètement, aux dispositions relatives à la Haute Cour de Justice.

Parmi ces dispositions, celles de l’article 124 énumèrent expressément les raisons pour lesquelles une procédure serait ouverte devant la Haute Cour de Justice contre le Chef de l’Etat.

La liste de ces raisons est la suivante :

La violation du serment ;
Les homicides politiques ;
L’affairisme ;
La constitution ou l’entretien de milice ;
Le refus de doter les forces de défense et de sécurité de moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission ;
La violation de l’art. 23 ci-dessus ;
La non mise en place des institutions de la République dans le délai constitutionnel ;
Toute action contraire aux intérêts supérieurs de la nation.
La particularité de cette liste est qu’elle n’est pas fermée. Il faut comprendre par là que les raisons qui sont énumérées ci-dessus peuvent être amplifiées ou complétées.

Cela est possible d’abord par ce que les dispositions de la Constitution qui ouvrent cette liste comportent le mot « notamment » : « sont notamment considérés comme crime de haute trahison : … ».

Cela est possible ensuite parce que certains des motifs énumérés recouvrent plusieurs motifs possibles. Ils peuvent, en somme, se démultiplier.

C’est le cas par exemple pour la violation du serment. Selon l’article 38 de la Constitution ce serment est le suivant : « Je jure devant Dieu et devant la Nation d’observer scrupuleusement la Constitution, de garantir l’indépendance et la pérennité de la République, de sauvegarder l’intégrité du territoire, de préserver la paix, de consolider l’unité nationale, d’assurer le bien être du peuple centrafricain, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge sans aucune considération d’ordre ethnique régional ou confessionnel, de ne jamais exercer les pouvoirs qui me sont dévolus par la Constitution à des fins personnelles ni de réviser le nombre et la durée de mon mandat et de n’être guidé en tout que par l’intérêt national et la dignité du peuple centrafricain ». Ainsi, le manquement au serment peut se décliner en un manquement à chacun des engagements pris dans ce texte, de la préservation de l’indépendance du pays à l’engagement de ne pas utiliser le pouvoir à des fins personnelles, en passant par les autres engagements.
C’est le cas aussi lorsque, dans la liste qui précède, il est renvoyé à l’article 23 de la Constitution. Cet article prévoit que « Toute personne habitant le territoire national a le devoir de respecter, en toutes circonstances, la Constitution, les lois et règlements de la République ».Le renvoi à cet article signifie d’une part, que le Président de la République a la responsabilité de faire respecter la Constitution par toute personne habitant le territoire national et, d’autre part et en conséquence, que les violations de la Constitution commises par quiconque (et que le Président de la République ne s’emploie pas à faire cesser) constituent autant de cas de haute trahison, susceptibles d’entraîner une procédure débouchant sur la destitution.
III-b) Pour le Président de l’Assemblée Nationale

L’article 70de la Constitution prévoit expressément la destitution du Président de l’Assemblée Nationale « pour manquement aux devoirs de sa charge ». La Constitution n’en dit pas plus. Il revenait dès lors à la Loi organique de préciser cette notion de « manquement aux devoirs de sa charge », et donc de dire ce qui peut être considéré comme un tel manquement.

La Loi organique en question a été adoptée. C’est le Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale qui, soit-dit en passant, a été adoptée à l’unanimité des Députés, et a été déclarée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle. L’article 12 de cette Loi organique est consacré à la procédure de destitution et énumère les motifs permettant d’engager cette procédure, c’est-à-dire les faits qui, commis par le Président de l’Assemblée Nationale, peuvent être considérés comme « manquements au devoir de sa charge ».

Ils sont les suivants :

le fait de s’opposer de quelque manière que ce soit à ce que le Bureau de l’Assemblée Nationale rende compte aux Députés de ses activités et de sa gestion, conformément à l’article 130 de la présente loi Organique portant Règlement Intérieur de ladite Institution ;
la rétention délibérée du rapport d’une Commission Spéciale ou ad ‘hoc à l’Assemblée ;
la non transmission de la résolution de mise en accusation du Président de la République au Procureur Général Près la Haute Cour de Justice, conformément aux alinéas 2 et 3 combinés de l’article 125 de la Constitution du 30 mars 2016 ;
la non transmission de la décision de mise en accusation des Députés, conformément aux dispositions de l’article 123 de la Constitution du 30 mars 2016.
A noter qu’à la différence de la liste de motifs prévalant pour le Président de la République, celle-ci est une liste fermée. Le mot « notamment » ne figurant pas en tête de cette énumération-ci, d’autres cas ne peuvent pas être ajoutés aux quatre qui sont mentionnés.

IV- Qui peut engager la procédure de destitution ?

Dans les deux cas, Président de la République et Président de l’Assemblée Nationale, ce sont les députés qui peuvent engager la procédure de destitution.

Le nombre de députés requis est indiqué par la Constitution elle-même :

la moitié (50%) des Députés pour le Président de la République (articles 123 et 125 de la Constitution). Pour mettre en accusation cette autorité devant la Haute Cour de Justice.
Un tiers (1/3) des Députés pour le Président de l’Assemblée Nationale.
V- Qui prononce la destitution ?

V-a) Pour le Président de la République

La destitution est prononcée par la Cour constitutionnelle (article 47, alinéa 5 de la Constitution).

Précision. Comme indiqué plus haut, la destitution est ici une conséquence de la condamnation du Président de la République pour haute trahison. Cette conséquence est automatique. La Cour constitutionnelle n’a donc pas en la matière de pouvoir de décision. Elle se contente de constater que le Président, parce qu’il a été condamné, n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions. La Nation en est informée par message radio, lu par le Président de la Cour constitutionnelle.

V-b) Pour le Président de l’Assemblée Nationale

La destitution est prononcée par les Députés.

Elle doit être votée à la majorité des deux tiers (2/3) des Députés composant l’Assemblée Nationale (article 70, alinéa 2 de la Constitution).

VI- Quelles suites à la destitution?

La destitution est suivie du choix d’une nouvelle personne pour assumer les fonctions. Cette désignation se fait par voie d’élection. Election nationale pour le Président de la République, élection par ses pairs Députés pour le Président de l’Assemblée Nationale.

Le délai pour procéder à l’élection :

entre 45 et 90 jours pour le Président de la République suivant la destitution (article 47, alinéa 7 de la Constitution) ;
dans les 3 jours francs suivant la destitution (article 70, alinéa 3 de la Constitution).
CONCLUSION

Les individus passent au pouvoir. La République continue et doit continuer de vivre. Pour ce faire, veiller à ce que ces individus quittent le pouvoir dans les conditions et les formes prévues par la Constitution.

Prof. Jean-François AKANDJI-KOMBÉ
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