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Centrafrique : « Rétablir l’Etat pour aider le pays à sortir de la violence »
Publié le lundi 8 decembre 2014  |  La Croix
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Entretien avec Jacques Semelin, psychologue et historien, spécialiste des violences extrêmes, de retour de Centrafrique.

La Croix : Face à cette violence extrême en Centrafrique, comment les victimes peuvent-elles se reconstruire?

Jacques Semelin : En théorie, il y a plusieurs voies possibles. J’en distinguerai au moins quatre. Il y a d’abord la prise de parole. Parler pour sortir de la violence, se libérer de la honte ou de la souffrance. Ceci implique la mobilisation de thérapeutes engagés dans un travail individuel ou en groupe. Pour qui a connu le viol, vu ses parents assassinés, assisté à des horreurs, pouvoir en parler et exprimer ses émotions dans un contexte bienveillant, c’est avoir la possibilité de surmonter en partie ses traumatismes. Cela dit, des personnes n’y parviennent pas et préfèrent se murer dans le silence.

>Retrouvez notre dossier sur la Centrafrique

La deuxième voie, plus pragmatique, est de jouer la carte de l’oubli en mobilisant la société dans la reconstruction, le commerce, les affaires. On fait table rase du passé et l’on se projette sur le monde à construire. On tente de mettre entre parenthèses les conflits ethniques ou religieux pour faire travailler ensemble des acteurs de ces différents groupes. La Banque mondiale a soutenu ainsi différents projets, par exemple au Burundi.

Et la troisième voie ?

J. S. : Celle de la justice. On en a déjà expérimenté diverses formes dites de « justice transitionnelle » (à la fois pénale et réparatrice). Avec plus ou moins de succès. Il arrive aussi que cet exercice de la justice soit impossible parce que les acteurs n’en veulent pas. C’est pourquoi il y a encore une quatrième voie : dans le cadre d’un accord politique de retour à la paix, les adversaires d’hier s’exonèrent mutuellement de leurs crimes, comme par exemple au Mozambique. On a néanmoins connu dans ce pays des rites de réinsertion originaux, fondés sur une tradition locale, en particulier pour des enfants-soldats. Au terme d’une cérémonie conduite par un sorcier, les « esprits mauvais » quittent le jeune guerrier. Il peut alors réintégrer sa communauté.

En RCA, que faudrait-il faire ?

J. S. : C’est bien difficile à dire… Ce ne sont pas tant les horreurs qui se sont perpétrées dans ce pays qui représentent le plus grand obstacle à la paix. Elles le sont en soi, c’est certain, car elles alimentent le désir de vengeance. Mais le plus frappant et quasi désespérant en RCA, c’est le manque de perspective que nous pouvons envisager pour ce pays. La sécurité y est loin d’être rétablie. Les Centrafricains sont toujours exposés aux groupes armés, aux raids des uns et à la vengeance des autres, aux voyous et aux prédateurs. Et il n’y a pas d’État, pas d’institution sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour sortir de cette crise. L’impunité, la corruption et l’injustice règnent en maître. Il faudrait rétablir l’État pour aider les victimes de la violence à se reconstruire.

Dans ce contexte, l’université et les religions ne sont-elles pas appelées à tenir une place de premier plan ?

J. S. : On peut imaginer en effet qu’elles soient le cadre dans lequel les Centrafricains puissent prendre la parole. Je pense à Paul Ricœur et sa théorie du récit commun. L’université, les églises, les mosquées pourraient être des lieux où chacun pourrait raconter son histoire, exposer sa mémoire. Et entendre celles des autres. Cela me semble capital pour ce pays.

Et la jeunesse ?

J.S. : C’est le grand enjeu de la Centrafrique. Quelle place donner à ces jeunes ? Comment les insérer dans la société, dans le monde du travail ? Comment les aider à se libérer de toutes ces images, ces films qu’ils ont vus dans les ciné-vidéos, sur les réseaux sociaux, sur les téléphones portables ? L’enjeu est immense. Il y a des initiatives prises en ce sens, comme par Vincent Mambachaka dans le centre Linga Tere. Connu pour être un lieu branché où sont exposés des artistes, où l’on vient écouter des groupes à la mode, boire une bière, participer à une émission de radio. Et tourner des films, des sujets courts où l’on parle de cette violence, du comment en sortir. Des sujets qui sont ensuite envoyés sur les réseaux sociaux.

Si la solution ne vient pas de l’État, ne peut-elle pas jaillir de la société ?

J.S. : Linga Tere est un exemple. Il y en a d’autres qui ne sont pas nécessairement visibles. Les familles mixtes par exemple (comprenant à la fois des chrétiens et des musulmans) sont des lieux où se jouent aussi l’apaisement des tensions, la prise en compte de la souffrance de l’autre, la volonté de vivre ensemble malgré les atrocités.

Recueilli par Laurent Larcher
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