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Situation Socio-politique, Makhily Gassama, intellectuel sénégalais : « La Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus accueillants et les plus tolérants de notre continent »

Publié le dimanche 27 octobre 2019  |  Sud Quotidien (DAKAR)
Makhily
© Autre presse par DR
Makhily Gassama, intellectuel sénégalais
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Alors que la Côte d’Ivoire peine encore à se relever de la crise pré et post-électorale de 2010-2011, le climat politique est préoccupant à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, «au point de menacer gravement et durablement la cohésion sociale». Pour susciter des propositions constructives pour une sortie de crise, la romancière ivoirienne Véronique Tadjo et un groupe d’Intellectuels africains, dont l’ancien ministre et homme de culture sénégalais, Makhily Gassama, ont initié un Concours littéraire intitulé : ‘’Penser la Côte d’Ivoire en 2020’’*. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, M. Gassama revient sur ce qui a motivé une telle implication et la possibilité de dupliquer cette initiative dans d’autres pays en Afrique, notamment ceux qui vont organiser une élection présidentielle en 2020. Pour l’ancien ministre de la Culture, « il est temps que dans toute l’Afrique les intellectuels s’impliquent dans la gouvernance de nos Etats ». En intégralité, cet entretien lu pour vous.



Ancien ministre et homme de culture sénégalais, vous faites partie des initiateurs, à l’approche de l’élection présidentielle ivoirienne et en raison du climat politique délétère, d’un concours littéraire : ‘’Penser la Côte d’Ivoire en 2020’’…÷ki !. Qu’est-ce qui motive une telle implication ?



Je fais partie d’une génération dont les géniteurs n’avaient jamais toléré l’existence des frontières économiques entre nos pays ou plus exactement entre nos territoires. Leurs familles étaient éclatées de part et d’autre des frontières. Nous nous délections des innombrables récits de scènes de cruautés que nos braves dioulas, commerçants intrépides, infligeaient aux douaniers tout au long des frontières. Le douanier, que nous appelons aujourd’hui le «soldat de l’économie», était incontestablement l’agent de l’Etat le plus honni des populations : à leurs yeux, il était proprement anti-panafricaniste avant la lettre. Une anecdote était racontée dans nos pays sur le métier de ce «soldat de l’économie» : sur les liasses de billets de sa paye mensuelle, le «Grand Blanc», à l’époque coloniale, déposait inlassablement, paraît-il, une boîte d’allumettes pour lui faire entrevoir les flammes de l’Enfer. Symbole cruel dans les mains de l’employeur sadique ! Nulle part, en Afrique, un serviteur de l’Etat n’a été l’objet d’une littérature aussi féroce. Que peut-on arguer de cet état permanent de conflits ouverts entre le citoyen et le «soldat de l’économie» ? C’est que l’Africain, qui a des parents proches dans les différents pays qui partagent naturellement le même espace géographique que son pays, est né panafricaniste. C’est notre élite politique qui s’entête, dans tous les domaines du développement humain, à perpétuer les pratiques colonialistes, à raffiner le complexe d’infériorité, chez ses concitoyens en perpétuelle situation de dépendance, ce qui fait de nos pays des vassaux des anciens pays colonisateurs et de leurs citoyens des rebuts des sociétés dites modernes. Et - comble de malheur ! - ni nos politologues, ni nos sociologues, ni nos universités, pourtant aussi compétents que ceux de l’Occident, ne semblent s’intéresser à ces questions qui déterminent indubitablement les conditions de développement de nos pays. L’OUA, aujourd’hui l’UA, n’a jamais véritablement associé politiquement nos populations à ses prétendues préoccupations d’union des pays africains : si elle avait osé, le paysage politique de l’Afrique aurait radicalement changé !

Le peuple de Côte d’Ivoire et son élite politique d’alors ont compris, dès l’apparition du «soleil des Indépendances», que leur pays devrait s’ouvrir à tous les pays africains d’autant plus que cet espace qu’il occupe constitue une des parties de l’Afrique les plus riches économiquement. La Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus accueillants et les plus tolérants de notre continent. La migration y a prospéré mieux qu’ailleurs en Afrique. Si ce pays a mal, c’est toute l’Afrique qui a mal, c’est tous les Africains sans exception qui doivent se sentir concernés. Surtout les intellectuels dont le principal devoir – et ce devoir est sacré ! - est de traquer le mal où il se trouve dans le continent et de lutter sans retenue, toujours avec lucidité, pour le bien-être de nos populations.

Voilà pourquoi j’étais aux côtés de mon amie, la talentueuse romancière, Véronique Tadjo, depuis les premières crises qui avaient meurtri le pays ; voilà pourquoi je suis encore à ses côtés avec d’autres intellectuels en renom pour appeler l’élite politique à une élection apaisée, civilisée, dans notre pays commun : la Côte d’Ivoire. La responsabilité de l’élite politique ivoirienne est énorme dans les crises qui secouent ce pays qu’on croyait naturellement paisible. Il ne faut pas que la fascination du pouvoir politique fasse oublier à cette élite les verdicts implacables de l’Histoire.



Quel impact une telle approche peut-elle avoir auprès des populations et des hommes et responsables politiques ?



En Afrique, les principaux acteurs de déstabilisation de nos pays et de son arriération ne sont pas les populations, mais nos élites, particulièrement l’élite politique. Ce sont paradoxalement ceux et celles dont la formation, dans les écoles occidentales, a été lourdement supportée par des ressources péniblement acquises par nos populations, qui, une fois formés, constituent les vraies sources de leurs misères. Ces élites politique, économique, intellectuelle (les journalistes appartiennent à celle-là), ont réussi à dresser les ethnies ou des communautés religieuses ou autres, les unes contre les autres, à créer des foyers de tension dans tout le continent et à ainsi allumer le feu partout. Les jugements de l’Histoire seront sans appel.

A l’approche de l’élection présidentielle, c’est donc, en vérité, moins la population ivoirienne qui nous fait peur, que l’élite politique. C’est surtout à elle qu’il faut s’adresser. C’est elle la tête pensante et le bras armé de cette élection, comme toutes les élections en Afrique. Je pense qu’elle sera sensible à cet appel des intellectuels et fera siennes les œuvres qui seront primées à l’issue de ce concours.



Peut-on s’attendre à ce que pareille initiative soit expérimentée ailleurs si l’on sait que, dans nombre de pays africains, l’élection présidentielle fait craindre des troubles politiques pouvant menacer gravement et durablement la cohésion sociale au lieu d’être perçue comme un formidable moment qui rythme la vie démocratique ?



L’image est belle, juste, voire envoutante ; vous dites que l’élection présidentielle aurait dû être «un formidable moment qui rythme la vie démocratique». Oui, ça aurait pu être une belle fête, la fête de la démocratie, celle de l’équilibre, de la justice. Elle ne l’est pas et le sera difficilement à cause d’une infime minorité : les prétendues élites. L’élite intellectuelle aurait dû assumer pleinement ses responsabilités quelles que soient les circonstances, surtout quand ces circonstances ne sont pas favorables à un développement harmonieux de nos pays.

J’ai l’habitude de dire et d’écrire que l’intellectuel est le seul citoyen, aux yeux de ses compatriotes, qui doit non seulement s’acquitter honorablement de ses tâches professionnelles, mais en sus de cela, de son devoir d’éclaireur dans la société, un devoir qu’il s’est imposé et que le peuple reconnaît et finit par exiger. La romancière Véronique Tadjo a bien assimilé cette leçon. Nos intellectuels, s’ils doivent inspirer et éclairer l’action des politiques, doivent renoncer à toutes compromissions, à tout «griotisme» ; il y va de la santé physique et morale de nos pays. Leurs aînés, en plein régime colonial, avait refusé de se taire : ils avaient osé parler avec clarté pour fustiger le mal. Gloire à eux, gloire aux irréductibles défenseurs de notre dignité ! Comment ceux des «Indépendances» peuvent-ils s’accommoder à la gestion calamiteuse de nos biens communs non pas par des étrangers, mais par les propres fils de nos pays ? Nos intellectuels se taisent souvent devant le mal comme s’étaient tus les penseurs allemands devant la naissance et la poussée fulgurante du nazisme. S’ils avaient pris la parole à temps, le nazisme n’aurait pas existé nous dit le philosophe allemand Karl Raimund Popper. De grands signes annonciateurs du renouveau convergent et se bousculent pour nous révéler que notre monde est à un tournant décisif ou plutôt à un de ces grands détours qui l’ont profondément changé à travers l’Histoire. Il a bien l’air d’être en gésine. Il est temps que dans toute l’Afrique les intellectuels s’impliquent dans la gouvernance de nos Etats avec les moyens qui sont les leurs, mènent des actions collectives au grand jour, surtout dans la tenue de l’élection présidentielle. Ils ne seront pas aimés des politiques ; peu importe car il s’agit de s’imposer à eux pour servir l’Afrique. Il devient dangereux de laisser la gestion de la chose publique aux seuls politiques. Chacun doit jouer sa partition : le groupe de Véronique Tadjo est en train de jouer la sienne pour l’élection présidentielle de 2020 de son pays. Qu’il en soit désormais ainsi dans tous nos pays !



Source : Sud Quotidien (DAKAR)
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