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Centrafrique, le choix hasardeux des accords de Khartoum

Publié le mardi 4 fevrier 2020  |  Corbeau News Centrafrique
Smaïl
© Autre presse par DR
Smaïl Chergui, Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l`Union africaine (UA)
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Douze mois après, la paix n’est pas au rendez-vous
Sous l’influence de diplomates russes et avec l’entremise de son factotum directeur de cabinet et futur premier ministre Firmin Ngrebada, le président Touadéra avait validé le choix de Khartoum, imposé par les rebelles de l’ex-Seleka.
Ce choix de Khartoum était souhaité également par l’Algérien Smaïl Chergui, commissaire du Comité paix et sécurité de l’Union africaine et acquiescé par le Français Jean-Pierre Lacroix, chef des Opérations de maintien de la paix de l’ONU.
La main tendue à Omar el-Bechir
Dans une capitale soudanaise en proie à une révolte populaire de plus en plus violente, Omar el-Bechir était tout heureux de rompre son isolement pour accueillir ces pourparlers de paix. Très curieusement, le « conclave » de Khartoum s’est déroulé dans une ville en état de siège avec un chef de l’État soudanais sous sanctions internationales et passible de la Cour pénale internationale, ce qui n’empêchera pas les représentants de l’Union africaine et de l’ONU de le remercier pour son hospitalité…Quelques semaines plus tard, le 11 avril 2019, Omar Al-Bechir était arrêté puis emprisonné.
On voit bien que le choix de la capitale soudanaise avec un hôte jouant un improbable rôle de bons offices de paix n’était déjà pas de bonne augure pour ce huitième accord centrafricain.
Quant au président Touadéra, son fâcheux rapprochement avec le Soudan d’Omar el-Bechir devenait désormais compromettant et ne lui facilitera pas ultérieurement l’adhésion de très nombreux Centrafricains. Il lui reprochent un accord négocié dans un pays arabo-musulman, d’où sont originaires les sanguinaires djandjawids darfouriens et qui abrite de nombreux sanctuaires des groupes rebelles de l’ex-Seleka, beaucoup plus familiers à Khartoum que dans toute autre capitale africaine.
Le défaut de consensus national
Même si quelques représentants de la société civile et de rares partis politiques, soutenant le régime, avaient été invités à Khartoum, ils ne furent pas associés aux négociations. Ils avaient simplement accepté de cautionner un accord que beaucoup jugeront, plus tard, comme imprudent. A l’instar de l’ancien Premier ministre, Martin Ziguélé, présent à Khartoum, certains réclameront même des actions militaires robustes contre certains groupes armés signataires de l’Accord mais qui poursuivent, sans vergogne, leurs exactions.
L’accord signé à Bangui du 6 février 2019 n’a ni associé les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ni fait l’objet d’une publication in extenso en ce qui concerne certains documents annexes. L’Assemblée nationale n’ a pu jouer le rôle qui aurait dû être le sien, même si il n’y avait pas lieu d’une ratification, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un traité international.
En Centrafrique, l’Accord du 6 février 2019 a très vite été perçu comme une forme de partenariat entre le président Touadéra et des chefs rebelles ayant appartenu à l’ex-Seleka, dans la perspective des élections présidentielles et législatives de 2020-2021. L’ opposition républicaine, sans cesse grandissante et principalement regroupée dans la plateforme E Zongo Biani rejette cet accord qu’elle qualifie de léonin, car favorisant les groupes armés sans contreparties visibles.
Evidemment, pour la communauté internationale, l’Accord de paix et de réconciliation nationale du 6 février 2019 est la pierre angulaire de la sortie de la crise centrafricaine. Hors de ce texte point de salut !
La primauté des intérêts particuliers
En se penchant sur les réalités de cette crise, on constate qu’il n’y pas des groupes de belligérants bien structurés avec des programmes politiques clairement définis. Chacun des groupes armés a ses priorités qui sont, le plus souvent, peu en rapport avec l’intérêt national et l’avenir de la Republique centrafricaine. Il est à craindre que ce sont uniquement des préoccupations immédiates, assurant un statu quo préservant le fonds de commerce des uns et des autres, qui ont motivé les négociateurs de Khartoum.
De surcroît, les chefs rebelles n’exercent qu’une autorité relative sur leurs chefs militaires locaux et encore moins sur leurs bandes armées sur le terrain. Comme en ce qui concerne l’Etat et son administration, les principes d’une organisation hiérarchique n’existent pas dans les groupes armés. L’horizontalité l’emporte sur la verticalité. L’illusion de l’existence d’une structure hiérarchique compromet l’exécution de tout texte législatif, réglementaire et a fortiori un accord politique.
La question de l’impunité
En dépit des discours convenus, réclamant à cor et à cri l’action de la justice, force est de constater que l’Accord du 6 février 2019, instaure de facto l’impunité pour les chefs rebelles signataires de l’Accord. Certains sont associés à la gestion du pays soit à la présidence soit à la primature et même au gouvernement. A ce jour, seuls deux chefs antibalaka, Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yekatom, arrêtés avant les pourparlers de Khartoum, sont incarcérés à La Haye et inculpés par la Cour Pénale Internationale pour les motifs de » crimes de guerre » et de » crimes contre l’humanité ». Aucun chef de l’ex-Seleka n’ a été inquiété, ce qui accrédite le dicton populaire de » deux poids, deux mesures », largement répandu. La Cour Pénale Spéciale, instituée par une loi de juin 2015, chargée d’instruire et de juger les crimes commis depuis 2003, tarde à remplir sa mission.
Les quelques criminels subalternes jugés et condamnés par les Tribunaux ordinaires centrafricains ne permettent pas de constater la fin de l’impunité qui reste le moteur de la crise centrafricaine.
Une situation humanitaire préoccupante
Depuis février 2019, la situation du pays ne s’est pas sensiblement améliorée comme elle ne s’est pas vraiment détériorée. Le Groupe des experts indépendants de l’ONU comptabilise une légère diminution du nombre des violences tout en reconnaissant que les organisations humanitaires ont toujours des difficultés pour venir en aide aux populations.
Des pics de violences surgissent toujours dans le Nord-ouest, comme à Paoua, Kaga Bandoro, Batangafo avec le Mouvement patriotique de Centrafrique (MPC) d’Al- Khatim, mais surtout dans la partie orientale du pays. L’Unité pour la Paix en Centrafrique (UPC) d’Ali Darass, adoubé par l’Union africaine et l ‘ONU pratique le double discours mais ne cesse de contrevenir à l’Accord de Khartoum. Les tueries dans la Ouaka, le Haut Mbomou et les deux Kotto lui sont imputables. Suite au massacre d’Alindao et à l’occupation quasi administrative des localités bordant le Soudan du sud, la Minusca entreprend, depuis janvier 2020, une reconquête territoriale et démantèle les check points de l’UPC. C’est une excellente nouvelle, mais il faut aller plus loin. Ali Darass doit se retrouver à La Haye.
D’autres groupes armés signataires de l’Accord de Khartoum se combattent violemment dans la Vakaga. Le Front pour la renaissance de la Centrafrique ( FPRC), de Nourredine Adam et Abdoulaye Hissene, majoritairement Rounga, et le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice ( MLCJ) du ministre Gilbert Toumou Deya, composé de Goula et Kara, mettent à feu et à sang Birao et sa région. Ces chefs rebelles, déjà sous sanctions, peuvent-ils encore se prévaloir de l’Accord de Khartoum pour ne pas être incarcérés à La Haye ?
Comme en février 2019, les estimations officielles font état de 600 000 déplacés internes et autant de réfugiés à l’étranger. A ce quart de la population centrafricaine, il faut ajouter une autre moitié qui devrait recevoir une assistance humanitaire. En douze mois, l’Accord de Khartoum ne porte pas encore les fruits attendus par les Centrafricains. Le gouvernement inclusif ne concerne que certains groupes armés et n’a pas été ouvert à des partis politiques de l’opposition. Les unités mixtes spéciales de sécurité, associant les groupes armés, tardent à se mettre en place. Le DDRR n’est encore qu’au stade de projet pilote. Le rétablissement de l’autorité de l’État dans la partie orientale, contrôlée par les groupes armés, n’a pas réellement commencé. En revanche, la main tendue aux anciens chefs de l’État et les rencontres avec les anciens premiers ministres sont des avancées significatives. Il faut espérer que la Minusca et les garants de l’Accord de Khartoum soient inflexibles sur les violations constatées et mettent tout en œuvre pour que les élections présidentielle et législatives de 2020-2021 se fassent dans la transparence et dans les meilleures conditions possibles. Elles seront déterminantes pour l’avenir du pays. En cas de hold up électoral, un grand pas aura été fait vers une « somalisation » avec des visées de l’État islamique, tandis que des élections conformes aux vœux des citoyens ouvriront le processus de paix et de réconciliation nationale, tant attendu.
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