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Centrafrique : Interview exclusive de monsieur Mike COLE, représentant de la CPI en RCA.

Publié le mercredi 25 novembre 2020  |  Corbeau News Centrafrique
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© Autre presse par DR
Monsieur Mike COLE, représentant de la CPI en RCA.
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Dans une interview exclusive accordée à CNC, Monsieur Mike COLE , représentant de la Cour pénale internationale en République centrafricaine répond aux questions du CNC aux sujets de l’affaire Patrice Édouard Ngaïssona et Alfred Yekatom, détenus dans les geôles de la CPI à La Haye, sans oublier les préoccupations des victimes ainsi que la coopération entre la CPS, la CPI et la justice centrafricaine.

Alain Nzilo : Bonjour Monsieur Cole
Mike COLE : Bonjour Monsieur Nzilo
Alain Nzilo : vous êtes le chef du bureau de la cour pénale internationale (CPI) en RCA depuis 2017. L’institution que vous représentez est une Institution permanente indépendante qui procède à des enquêtes et poursuite des personnes soupçonnées de crimes les plus graves à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Pour de nombreux Centrafricains, quel est l’intérêt pour la CPI d’ouvrir son bureau extérieur en RCA ? Quel est exactement son rôle dans le pays ?

Mike COLE : Avoir une représentation en Centrafrique, pour la CPI c’est soutenir le processus de la Justice, c’est être proche des victimes, mais également de la défense des accusés. Le bureau pays représente le Greffe de la CPI, car dans une cour de justice il y a d’un côté l’accusation (avec la procureure) et il y a la défense de l’autre côté, au milieu se tient le Greffe. Être en Centrafrique, c’est être disponible pour fournir des informations qui permettront une meilleure collaboration avec les systèmes pénaux nationaux pour l’accès à la justice. La CPI est dans un rôle essentiel qui est de faire respecter les normes spécifiques du droit international visant à empêcher et à prévenir les violences massives. Les crimes présumés commis en RCA sont des exemples de ce sur quoi la CPI enquête.
C’est pourquoi, en mai 2014 la présidente de transition a invité la CPI à ouvrir des enquêtes sur les crimes commis par les groupes armés sur la population centrafricaine. La CPI n’engage de poursuites que lorsque les États n’ont pas la volonté de le faire, ou sont dans l’incapacité de le faire véritablement. (Collaboration avec la CPS et la justice nationale)
Donc, l’instauration du bureau extérieur de la CPI s’inscrit dans sa stratégie d’avoir une figure extérieure sur le terrain.
Alain Nzilo : Selon vos explications, on comprend aisément que l’instauration du bureau extérieur de la CPI en RCA s’inscrit dans sa stratégie, c’est-à-dire la figure publique de la cour sur le terrain. Cependant, elle a ouvert deux enquêtes sur des crimes graves en Centrafrique. La première en 2007 et elle concerne les crimes commis par les troupes de Jean-Pierre Bemba. La deuxième en 2014 pour une panoplie des atrocités commises par des milices armées depuis 2012. La première a accouché une souris et les victimes sont laissées sans voies de recours. En juin 2018, le représentant de la Cour à Bangui avait appelé ses partenaires à débloquer de fonds pour aide aux victimes. Où en sommes-nous aujourd’hui avec cette histoire ?

Mike COLE : Le Conseil de Direction du Fonds au Profit des Victimes de la Cour Pénale Internationale avait approuvé un montant total de 1 250 000 Euros pour financer les programmes d’assistance en faveur des victimes des atrocités en RCA. Pour l’instant, le Fonds au Profit des Victimes a déjà financé un programme pilote à hauteur de 250 000 euros pour assister les victimes survivantes des violences sexuelles de 2003, les plus vulnérables dans la ville de Bangui et ses environs. Ce programme pilote est d’une durée de 12 mois.
En plus de ce programme pilote, le Fonds est en train de finaliser les contrats de financement avec d’autres cinq autres partenaires pour implémenter les programmes d’assistance aux victimes de la situation en RCA dans la ville de Bangui, Préfecture d’Ombella M’Poko, Kemo, Ouham et Ouham Pendé. Ces programmes pourront être développés pour une durée de cinq ans selon la disponibilité de financement, les performances des partenaires et l’approbation par le Conseil de Direction.
Je veux souligner que les programmes d’assistance du Fonds en RCA permettront d’apporter une réponse immédiate aux préjudices victimes en raison de crimes relevant de la compétence de la Cour, au niveau des individus, des familles, et des communautés, indépendamment du processus judiciaire. Ces programmes d’assistance visent à contribuer à l’amélioration des conditions physiques, l’état psychologique et à l’autonomisation socio économique des survivants des crimes en RCA grâce à l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base tel que les soins médicaux, l’éducation, à la psychothérapie et à un soutien au développement des activités économiques pour redynamiser les sources des revenus aux ménages des victimes.
Les programmes d’assistance du Fonds apportent ainsi une autre forme de justice aux victimes : « la justice réparatrice » qui s’inscrit dans la dynamique de la justice transitionnelle.

Alain Nzilo : pour de nombreux Centrafricains, punir les criminels ne suffit pas. Il n’y aura pas de justice tant que justice ne sera pas rendue aux victimes. Et pour rendre justice aux victimes, la CPI doit avoir la capacité de répondre à leur droit et leur besoin. La CPI est accusée d’avoir ignoré la voix et les préoccupations des victimes. Qu’en dites-vous ?

Mike COLE : La Cour Pénale Internationale met la victime au centre de la justice qu’elle délivre. Elle prévoit la possibilité pour celles-ci d’avoir différents rôles au cours des procédures qui se déroulent devant elle.
Tout d’abord, les victimes peuvent souhaiter transmettre des informations au Procureur au sujet de crimes qui, selon elles, auraient été commis. Ces informations peuvent contribuer à renforcer des enquêtes et poursuites en cours. Ensuite elles peuvent avoir le statut de témoin dans une affaire. Elles peuvent également être représentées dans une affaire comme l’Affaire Yekatom et Ngaïssona par un ou plusieurs avocats qui défendront leurs vues et préoccupations de tout au long de la procédure avec le statut de victime. Enfin les victimes peuvent demander et obtenir des réparations dans le cas ou à la fin d’un procès, la personne poursuivie est condamnée par les juges.
Je suis très intéressé à souligner que le Bureau-Pays de la CPI en Centrafrique travaille depuis des années en vue de mettre en œuvre le mandat du Greffe en ce qui concerne l’assistance aux victimes pour qu’elles puissent exercer leurs droits devant la Cour. C’est une partie essentielle de notre mandat qui est d’assister les victimes à accéder aux juges de la Cour afin de faire valoir leurs vues et préoccupations. Dans l’Affaire Yekatom et Ngaïssona, le Bureau avait enregistré en 2019 plus de 400 victimes qui ont été autorisées par les Juges à participer à l’audience de confirmation des charges. Malgré les nombreux défis lies à la pandémie de COVID-19, le Bureau a mis en place depuis juillet 2020, un processus restreint et sous contrôle d’enregistrement de nouvelles victimes dans le respect des mesures édictées par le Gouvernement centrafricain afin de lutter contre cette pandémie. Prés de deux cent personnes ont été déjà enregistrées dans le Bureau de la CPI avec l’assistance de nos partenaires des organisations des droits de l’homme dans une environment sain et en accordance avec les strictes mesures anti-Covid 19. Ce processus d’enregistrement de victimes continue afin de donner la possibilité au maximum de victimes concernées par cette Affaire de participer à la phase du procès qui débutera le 09 Février 2021.

Alain Nzilo : La deuxième enquête ouverte en 2014 concerne les crimes commis par des milices armées depuis 2012. À ce jour, seulement une seule milice, en l’occurrence la milice Antibalaka, qui s’inquiète des arrestations opérées en son sein. Cette inquiétude est aussi celle de certains hommes politiques et d’une partie de la société civile. Qu’en dites-vous ? La CPI est aussi sous pression des autorités ?

Mike COLE : Primo, les individus devenir des suspects faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, non en raison de leur appartenance politique, de leur appartenance à un groupe (armé ou non armé) ni de leur race ou de leur religion, mais sur la base d’éléments de preuve recueillies par le bureau du procureur dispose, et examinées par des juges indépendant.
Secundo, la CPI ne dispose pas de forces de police ou de répression et compte donc sur la coopération avec les pays / gouvernements pour appuyer son travail, notamment pour procéder aux arrestations et transférer les personnes arrêtées.
Tertio, pour aboutir à une mise en accusation il faut qu’il y ait au préalable des investigations et qui dit investigation, dit confidentialité. La procédure peut être longue à aboutir, mais la justice finit toujours par être faite (le cas de Félicien Kabuga, arrêté récemment en France après vingt-cinq ans de cavale pour son rôle dans le génocide Rwandais en 1994).

Alain Nzilo : Mais il y’a une raison de croire que la CPI a deux poids, deux mesures ?

Mike COLE: Absolument pas, la CPI a une obligation d’impartialité. La CPI ne disposant pas de forces de répressions ne peut procéder aux arrestations de tous les criminels de guerre, elle dépend donc de la coopération des états membres. Ce sont ces états membres ou bien le conseil de sécurité de l’ONU, qui doivent d’abord, la saisir pour qu’elle puisse déclencher des procédures d’investigations par rapport à des crimes commis sur le sol d’un des états signataires du traité de Rome. A ce jour ce sont les pays africains qui saisissent le plus la CPI pour qu’elle se penche sur les crimes commis sur leur sol à cause de nombreuses crises que ce continent malheureusement traverse ; d’où la fausse impression que la CPI ne poursuit que les africains.

Alain Nzilo : La Centrafrique a ses propres Tribunaux et Cours qui jugent ses criminels. L’ONU a institué un autre tribunal, hybride, la Cour Pénale Spéciale. La CPI aussi entend poursuivre et juger. Tout ça sur le seul centrafricain. Alors quel type de collaboration pour ne pas dire de répartition des tâches criminelles que vous faites entre vous ?

Mike COLE : La CPI est une cour de justice. la répartition des tâches se fait conformément à la loi. La CPI, la CPS et les tribunaux nationaux sont ensemble ; permettez-moi de dire qu’ensemble nous sommes plus forts. Nous sommes dans un mécanisme de complémentarité pour la cause de la justice dans cette Grande maison de la justice. En plus de la Justice nationale, un état signataire du statut de Rome a la possibilité de saisir la CPI à venir enquêter sur des crimes graves commis sur son sol. Ce qui a été le cas de la RCA en 2014, lorsque la Présidente de transition a invité la CPI à se pencher sur les exactions commises sur la population centrafricaine.
Par exemple, l’arrestation d’Ali Kushayb par la justice centrafricaine et son transfert à la Haye est une parfaite démonstration de la collaboration et de la coordination entre la justice nationale et internationale. Cet homme, qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pendant de nombreuses années, et accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans un pays étranger, a été arrêté en RCA par les autorités judiciaires centrafricaines et remis à la CPI conformément à la loi de la RCA et droit pénal international, tels qu’énoncés dans le Statut de Rome. Ce type de coordination, conformément à la loi, apporte de l’espoir à de nombreuses personnes au Darfour qui ont été victimes de crimes terribles.

Alain Nzilo : quel message avez-vous à dire aux centrafricains et centrafricaines ?

Mike COLE : Une procédure judiciaire peut sembler longue. La justice est impartiale, et elle veillera à ce que justice soit rendue pour les crimes commis. Sans justice il n’y a pas de paix durable, c’est pour cela qu’elle devrait être au centre des débats et des préoccupations.

Alain Nzilo : Je vous remercie monsieur Mike COLE.

Mike COLE : Je vous en prie, c’est nous qui vous remercions pour l’intérêt que vous accordez au travail de la CPI et de la Justice.
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