Cet ancien premier ministre interpelle la France et la communauté internationale pour qu’elles l’aident à conduire un changement politique radical dans son pays.
Premier ministre de la République centrafricaine de 2005 à 2008, Élie Doté vit aujourd’hui entre Bangui, la capitale, et le Maroc. Très inquiet pour l’avenir de son pays de plus de 5 millions d’habitants, complètement détruit par la guerre civile, il demande à la France et à la communauté internationale de l’aider à mettre fin au chaos. Cet ancien haut fonctionnaire de la Banque africaine de développement (BAD), au discours sobre mais précis, devrait prochainement être reçu par François Hollande.
LE FIGARO. - Présidentielle et législatives, deux élections doivent avoir lieu dans votre pays en juin. Serez-vous candidat ?
Élie DOTÉ : - Ces scrutins ne pourront pas avoir lieu. Toute élection serait actuellement un déni de démocratie. Mon pays est détruit par deux ans de guerre civile : il n’y a plus d’État, plus d’administration, plus d’état civil... La seule voie possible pour sortir de ce chaos est de mettre en place de façon urgente une vraie transition pour engager la reconstruction de la République centrafricaine. Cela prendra beaucoup de temps, peut-être trois ou quatre ans. On assiste aujourd’hui à une « somalisation » de mon pays. Je crie au secours pour la Centrafrique.
Mais faire l’impasse sur ces élections reviendrait à perpétrer un coup d’État...
Un coup d’État légal avec l’appui de la communauté internationale. Officieusement, celle-ci, la France en tête, reconnaît qu’elle s’est trompée en acceptant la désignation, début 2014, de Mme Catherine Samba-Panza comme présidente par le Conseil national de transition. Cette présidente ne maîtrise rien. Sur place, elle ne représente rien, elle n’est pas respectée.
Que feriez-vous de plus à sa place dans un pays livré aux bandes criminelles ?
Je tenterais de redresser mon pays, en me plaçant contractuellement sous le contrôle strict de la communauté internationale et d’une haute autorité de la transition, composée de représentants d’ONG. Il faut rebâtir une police, une justice, une armée. Je propose également de placer sous ce contrôle les principaux sites de production d’or et de diamants, sous-exploités et pillés aujourd’hui. Si ces réserves – nous disposons de 472 indices minéraliers, c’est unique au monde - étaient normalement mises à profit, elles suffiraient à l’auto-administration de la Centrafrique. Nous possédons également de l’uranium.
Comment régler l’opposition violente entre chrétiens et musulmans, entre milices dites Anti-Balaka, d’une part, et ex-Séléka, d’autre part, qui ont mis la Centrafrique à sac ?
C’est possible. Mais il faut redéfinir les missions de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine, NDLR). Celle-ci compte 6 000 hommes qui ne font pas grand-chose d’efficace. Il faudra juger les chefs de gang et, comme en Côte d’Ivoire, envisager une commission de réconciliation.
Quelque 1 600 soldats français sont aux côtés des forces de la Minusca. Que demandez-vous à la France ?
Je demande à la France de ne pas poursuivre une politique qui échoue, faute d’objectifs partagés et de moyens affectés là où les besoins sont cruciaux. C’est Paris qui peut débloquer la situation. Depuis Bokassa, la France a tout faux en Centrafrique, même si sa présence fut capitale ces derniers mois. Ni la France ni la communauté internationale n’ont jamais voulu un véritable État en face d’eux en Centrafrique. Elles n’ont jamais pris en compte la dimension économique de mon pays, qui peut seule lui assurer sa grandeur et lui garantir son indépendance. Trop d’intérêts privés sous-jacents ont favorisé un double langage : d’un côté, on aide avec compassion un pays à l’agonie ; de l’autre, on en pille les ressources.
Mais vous auriez pu tirer la sonnette d’alarme avant, lorsque vous étiez le premier ministre du président Bozizé ?
Je n’ai rien demandé, c’est lui qui m’a fait venir à ce poste alors que j’étais haut fonctionnaire à la Banque africaine de développement. Malheureusement, il ne m’écoutait pas. J’ai démissionné en janvier 2008 de mes fonctions, en raison de graves désaccords économiques avec lui.
Aujourd’hui, votre discours pourrait-il être entendu par les Centrafricains ?
Oui, tous les partis m’écoutent, la population aussi. J’ai créé mon parti, Kelemba, en 2014. Toutes les ethnies de mon pays y sont représentées. C’est la seule formation politique qui dispose d’une parfaite représentativité.
Avez-vous le soutien de chefs d’État africains ?
Je dois les rencontrer. Les présidents du Gabon, du Sénégal, du Tchad et du Congo sont notamment au courant de ma démarche et de mon offre de service.
Existe-t-il un risque djihadiste en Centrafrique ?
Bien sûr, l’infiltration de djihadistes libyens est possible par le nord du pays. Par ailleurs, Boko Haram est à notre porte au sud.
Yves Thréard
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