«… Ah ! qui donc nous donnera de la viande à manger ? Nous nous rappelons encore le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, et les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l’ail ! Maintenant notre gorge est desséchée ; nous ne voyons jamais rien que de la manne ! »
C’est en ces termes qu’après la sortie d’Egypte autrefois, les fils d’Israël murmuraient et récriminaient contre Moïse, pendant la très rude et très douloureuse traversée du désert du Sinaï. A titre de rappel, l’épisode ci-dessus mentionné, est un extrait du chapitre 11 des Nombres, le quatrième des soixante six (66) Livres de la bible qui, fût-elle une référence sacrée, n’est pas moins à lire et à relire assez souvent, tel un recueil ordinaire de textes d’histoires anciennes et fondamentales de l’humanité.
« Ah les oignons » ai- je vraiment envie de m’exclamer à mon tour ! Et si vous osez me demander pourquoi particulièrement les oignons, je saurais alors que vous n’êtes pas un vrai Centrafricain. Ou alors, si vous êtes Centrafricain, c’est que vous faites exprès de ne pas vous intéresser aux actualités de votre pays. Car en effet, qui des vrais Centrafricains ignore-t-il aujourd’hui que l’oignon, pendant si longtemps ignoré, méprisé et délaissé au profit des « ngoundja, kpangaba, fondo » et autres, est aujourd’hui à l’honneur, grâce au candidat Michel Amine, bien décidé à nous faire « voir la vie en oignons ? ». N’en déplaise aux antibalaka et Séléka qui depuis des mois, ce cessent d’obliger les Centrafricains à « manger de l’oignon » , à cause des nombreux crimes commis et des souffrances que ces fous de sang et de chair nous font subir .
D’abord, si les fils d’Israël n’avaient pu s’empêcher de penser aux oignons pendant leur longue et très éprouvante pérégrination, c’est bien parce que les oignons faisaient partie des produits les plus précieux et les plus prisés d’Egypte. Et comme hier les fils d’Israël – comparaison n’est pas raison -, aujourd’hui les Centrafricains – ou des Oubanguiens résolus de l’envergure de Jean Kalimsi -, à ce qu’il paraît, en sont eux-aussi à « regretter les oignons d’Égypte ». D’ailleurs, à voir l’état dans lequel se trouve notre pays, qui n’éprouverait pas de la nostalgie pour les temps passés ? Qui ne se souviendrait pas de la situation de jadis ? Qui ne fut-ce qu’une seule fois, à défaut de l’avoir prononcé lui-même, n’a pas entendu autour de lui pousser des cris et des lamentations du genre « Ah mawa na passi ! », « Ah Bangui ti é ando ! », « Ah nzara ké fa i-gué ! », « Ah ! E kè sigui-da lawa ? »
Hélas ! Que sont devenus ces temps, ces heureux temps où l’on s’honorait du nom de Centrafricain ? O tempora ! O mores ! Décidément en RCA, « La vie est un oignon qu’on épluche en pleurant » et « quand on épluche des oignons, il faut en même temps penser à quelqu’un qu’on aime bien et qui est mort, sans quoi ce sont des larmes perdues » ( François Cavanna).
Et moi aussi un de ces derniers jours, enfermé dans ma petite maison, j’en étais à « regretter les oignons d’Egypte », paisiblement et avec philosophie. Soudainement, une amie de mes connaissances, une amie que je n’ai jamais vue dans un tel état d’exaltation et de surexcitation, une amie toute transfigurée comme par une nouvelle Pentecôte, fit irruption presque par effraction à mon domicile. Et la voilà qui, sans protocole, sans introduction et sans transition, se mit en tête de vouloir m’informer ou plutôt m’enseigner, si ce n’est les deux à la fois. Elle vociférait pratiquement plus qu’elle ne parlait à peu près de cette manière :
« Les oignons d’Amine ! Ah les oignons d’Amine ! As-tu entendu ? Hein mon cher ami as-tu entendu Amine parler? Amine, oui Michel Amine, Amine le candidat à la présidentielle vient de nous sortir une idée des plus originales. Il va nous planter des oignons. Les oignons d’Amine Michel. En as-tu entendu parler ou pas ! Formidable, vraiment formidable. Bravo Amine Président. Bravo Président oignon ! ».
Cette amie toujours « aux petits oignons » je vous assure, avait tant et si bien parlé des oignons que j’ai aussitôt réclamé un plat d’oignons pour mon repas de midi, que naturellement je l’invitai à partager avec moi. Mais à peine eut elle avalé deux bouchées, qu’elle arrêta de manger. D’après elle, le « gozo » que j’avais servi en complément, ne faisait pas bon ménage avec ma soupe à l’oignon. Je me souvins alors de ces paroles de Jean-Marie Pelt qui disait: « Oignon encore que ce soit viande du village est meilleur pour en user que pour en goûter », alors que Stendhal enchaînait avec un mépris sidérant : « Des choux, des oignons, cela suffit bien pour nourrir le paysan. » Pour sa part et dans ses « délires », mon amie qui avait visiblement très faim, me réclama du « ngoundja, du yabanda etc.. », tout ce que les Centrafricains demandent et ont de la peine à trouver à bon prix aujourd’hui sur la place du marché.
Une trentaine de minutes s’écoulèrent. Et quand mon amie s’en fut retournée chez elle, je me suis surpris tout seul en train de m’exclamer : « Ah ça ! Des oignons, voilà bien un projet original pour un candidat original ! ».
Diantre ! Amine pourquoi a-t-il donc attendu d’être candidat à la présidentielle en RCA pour partager une inspiration si lumineuse ! Quoiqu’il en soit, voici enfin un homme bien décidé à « se mêler des oignons » du Centrafricain qui « sans chapon, devait être content de pain et d’oignon ». En plus, quel régime politico-alimentaire vaut-il mieux que « l’oignon comme nourriture démocratique » ? Ainsi d’ailleurs chantaient les étudiants d’antan : « Soupe à l’oignon, bouillon démocratique ».
Plus est, parce que « l’oignon était réputé donner du cœur à l’ouvrage, donner courage et force aux guerriers, protéger des maladies », qui n’a pas appris que « l’oignon fait la force » ? De même, qui douterait que le peuple Centrafricain, plus que tout autre peuple et avant toute chose, semble manifester depuis toujours un grand besoin de se soumettre à une cure nationale d’oignons ? Sans conteste, Michel Amine apparemment est le seul à l’avoir compris, lui qui est résolument engagé à financer tous les champs d’oignons qu’il faut. Et même si de l’oseille de ce candidat atypique à la présidentielle, se murmure à voix basse « il y a de l’oignon là-dessous », le Centrafricain qui a faim et soif répond sans sourciller « ce ne sont pas mes oignons » . Tout le monde se fiche de savoir d’où viennent les oignons d’Amine et l’oseille qui les finance. Pour tout dire, combien de fois n’a-t-on pas vu nos compatriotes, l’un ou l’autre « vêtu comme un oignon », courir à l’Hôtel Ledger ou ailleurs, « se mettre en rang d’oignon » comme des « gueux plus bourré d’ail et d’oignons que tous les forçats de Rome » (Hannon), afin de recevoir ou percevoir chacun sa part de billets de Banques ? Tout le monde le sait, Amine qui « se nourrit d’un oignon » a le cœur dans la main. Aussi, s’il suffisait pour être Chef d’Etat de la RCA, « d’acheter » les Centrafricains comme l’on achète des oignons au marché Sambo, Amine « a l’oignon qui décalotte », même si « une rose ne saurait naître d’un oignon. » (Théognis de Mégare)
Tous les comptes faits, Paul Claudel à juste titre s’interrogeait: « Est-ce que la vérité n’a pas dix-sept enveloppes comme les oignons ? ». Tenez ! Par « oreilles interposées » et le plus sérieusement du monde, j’ai ouïe dire par Michel Amine lui-même, dans des cercles privés très restreints, que n’eût été l’absurdité d’un agent du service d’état civil où sa naissance fut déclarée, on l’appellerait aujourd’hui AMEN. Je vous épargnerai des circonstances et des cadres où ont eu lieu ces échanges. Mais qu’à cela ne tienne ! AMINE pour les uns, AMEN pour les autres – suivez mon regard -, tous les deux se traduisent de la même manière en français par « Ainsi soit-il ». Sauf à ajouter que Jésus pour sa part, aimait à introduire certains de ses sermons par « amen, amen, je vous le dis.. », ce qui signifie « en vérité, en vérité, je vous le dis… ».
Donc amen, amen, je vous le dis, Amine est un vrai candidat à la présidentielle en Centrafrique. Et on le sait déjà, cette présidentielle centrafricaine plus que les précédentes je vous assure, nous en fera certainement voir et rêver de toutes les couleurs. Nous sentirons toutes les odeurs, goûterons à toutes les saveurs et toucherons aux oignons vertes et aux oignons pas mûres. Surtout, à force de nous obliger à entendre baragouiner de vaines paroles et « des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient », cette présidentielle centrafricaine, finira par nous enivrée complètement.
Le professeur Saragba l’avait prédit qui disait : « Mon inga Béafrica kodro ti mon nga ? » et demain, la fourmi dira à la cigale :
« - Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? J’en suis fort aise.
Eh bien! Dansez maintenant ! »
Cette morale des années de mon enfance je m’en souviens, est tirée de la « Cigale et la Fourmi », une des plus belles fables de Jean De La Fontaine que j’avais à l’époque apprise par cœur à l’Ecole Primaire Tropicale et Indigène du Village Guitilitimô, en classe de CE1.
En définitive, comme chez les Anglais, les Centrafricains seraient-ils en train de « Manger de l’oignon en songe, signe de mauvais augure si on est en bonne santé, mais au contraire signe de guérison si on est malade ?»
«… Ah ! les oignons » ! Bientôt, plus question pour nous de « pleurer sans oignons ». Cependant, si chacun s’occupait d’abord et plus sérieusement de ses oignons, je parie que les oignons d’Amine n’en seront que plus doux.
Quant à la suite de cette histoire, moi aussi je vous dis simplement chers lecteurs, « ça n’est pas mes oignons »! Sauf si…
Guy José KOSSA