BAORO - La salle était comble. Tout le monde voulait parler, ce qui n’est pas surprenant après des années d’un conflit ethnique et religieux qui a fait des milliers de morts en République centrafricaine (RCA).
Après avoir été ignorés toute leur vie, les citoyens ordinaires de la RCA ont finalement eu la parole et profité de cette occasion unique de dire ses quatre vérités au pouvoir en place.
À Baoro, une ville de la préfecture de Nana Mambéré, à 400 kilomètres au nord-ouest de la capitale Bangui, c’est le ministre de la Communication, Victor Wake, qui représentait ce pouvoir. Chaque intervention était ponctuée par des applaudissements et des youyous.
De nombreux participants ont rappelé les horreurs dont a souffert la ville sous l’occupation des rebelles de la coalition Seleka qui a renversé le président François Bozizé en mars 2013 et est resté au pouvoir pendant dix mois.
« Il y a eu des violences ici et des exactions perpétrées par des ex-selekas qui ont causé la mort de 163 personnes dont 30 femmes et 10 enfants », a dit un homme qui s’est présenté comme secrétaire des groupes d’autodéfense de la ville.
« On a incendié des maisons ici, même la mienne. Nous avons dénombré 1586 maisons brulées. Mais rien n’a été fait pour les victimes ici », a-t-il ajouté.
« Quand les sekelas sont arrivés, ils m’ont menacé et je me suis réfugié en brousse. Je buvais de l’eau sale. Je suis tombé malade et j’ai été évacué dans un hôpital à Bangui pour deux mois », a relaté un autre intervenant.
« J’ai terminé mes études depuis 19 ans, mais je n’ai pas été intégré dans la fonction publique pendant tout ce temps. Je cultivais mon champ et j’élevais des bêtes. Les selekas sont venus, ont incendié mon champ et confisqué toutes mes bêtes. Ici à Baoro, beaucoup de maisons ont été incendiées, mais les propriétaires n’ont reçu aucune aide. C’est triste. C’est ce que nous voudrions que vous [disiez] à la présidence. »
Depuis fin janvier, des réunions comme celle-ci, appelées consultations populaires à la base, se sont déroulées dans les 16 préfectures de la RCA, ainsi que dans des pays voisins comme le Cameroun, le Tchad et les deux Congo, où quelque 190 000 Centrafricains ont trouvé refuge.
Ces consultations ont été organisées en vue du Forum de Bangui pour la réconciliation nationale, qui devrait avoir lieu du 27 avril au 4 mai et dont le but est d’aboutir à un nouvel accord de paix consolidé et de déterminer les critères d’éligibilité pour les élections prévues cette année.
« Monsieur le ministre, le chômage bat son plein ici à Baoro, les jeunes trainent dans la ville sans rien faire. Faites venir des ONG ici pour embaucher nos jeunes », a dit une intervenante.
« Deuxièmement, la sécurité. Les gendarmes et policiers n’ont pas de moyens pour travailler, même pas de moto pour circuler. Pensez à doter les forces de sécurités d’au moins un véhicule », a-t-elle ajouté.
Le Forum de Bangui réunira des représentants de la population choisis lors des consultations populaires, des chefs des groupes armées, des autorités de transition et des partis politiques, ainsi que des membres influents de la société civile.
L’agitation politique constante en RCA est directement attribuable aux défaillances du système de gouvernance et à l’incapacité à assurer les services essentiels et la sécurité pour la majorité de la population, notamment dans les régions les plus isolées et les plus marginalisées sujettes à une opposition armée.
M. Wake a expliqué que les consultations avaient pour objectif de « donner aux populations la parole, encourager tout le monde à se vider, à livrer ses craintes et ses espoirs, à identifier les défis à relever et recueillir leurs propositions de sortie de crise définitive ».
Les habitants de Baoro ont bien profité de cette rare occasion de dire les choses telles qu’elles sont et ont donné un sombre aperçu des maux du pays et des besoins urgents de la majorité de sa population.
Un autre intervenant a dénoncé le sentiment d’impunité et appelé à reconstruire la prison de la ville.
« [Il faut] armer les FACA (Forces armées centrafricaines), la police et la gendarmerie pour la sécurité [de] notre localité. Il faut aussi [soutenir] notre hôpital [avec] des médicaments et [du] personnel compétent », a-t-il dit.
« Je demande au gouvernement de construire un centre de développement agricole dans notre localité, [de soutenir] les agriculteurs et les éleveurs en nous donnant des crédits et subventions. Il faut aussi [soutenir] les jeunes en leur fournissant des activités génératrices de revenus », a dit un autre intervenant.
Les doléances de la population sont à peu près les mêmes dans tout le pays, à en croire les restitutions des consultations présentées récemment au siège du Parlement provisoire de la RCA à Bangui.
Les préoccupations de la population « tournent autour de l’impunité, de la sécurité, de la satisfaction des besoins essentiels, de la coexistence pacifique entre communautés, de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale », a déclaré le général Babacar Gueye, envoyé des Nations Unies en RCA, à l’ouverture de la séance des restitutions à Bangui.
Dans la préfecture du Haut-Mbomou, à l’est du pays, « La population […] s’est dite abandonnée à la merci des groupes rebelles [tels que] l’Armée de résistance du Seigneur [un groupe rebelle d’origine ougandaise] de Joseph Kony et les Peuls armés actifs dans la localité », a dit Bernadette Gambo, facilitatrice de la consultation locale.
« La population nous a parlé aussi des enlèvements d’environ 2000 enfants emportés par des rebelles sud-soudanais. Les parents réclament le retour de leurs enfants et sollicitent la sécurité dans leur localité », a-t-elle souligné.
La ministre de la Réconciliation, Jeanette Détoua, a conduit les consultations en République démocratique du Congo, où se sont réfugiés 75 000 Centrafricains.
« [Nos] compatriotes en RDC ont demandé à ce que les ex-présidents [François] Bozizé et [le chef de la Seleka Michel] Djotodia reviennent au pays demander pardon au peuple, car ces derniers sont responsables de la cause de cette division entre le peuple centrafricain. Ils ont demandé également que ceux qui ne sont pas centrafricains et qui sont venus […] diviser le pays soient rapatriés », a-t-elle dit.
La RCA a déjà essayé d’arriver à la réconciliation en impliquant les hauts fonctionnaires, les chefs de parti, la société civile et les commandants rebelles dans les pourparlers de paix, mais l’espoir demeure que le résultat de cette initiative soit différent.
« Les précédents processus avaient toujours privilégié les acteurs politico-militaires au détriment des victimes innocentes de ces crises », a dit la présidente intérimaire Catherine Samba Panza.
« Si on les écoute, on peut trouver des solutions. »
Le directeur Afrique du Programme des Nations Unies pour le développement, Abdoulaye Mar Dieye, a salué cette nouvelle démarche lors d’une visite récente en RCA : « Les solutions de paix et de développement résident dans les populations. Si on les écoute, on peut trouver des solutions. »
Les anciens rebelles de la Seleka s’étaient tout d’abord ouvertement opposés aux consultations publiques, mais ils pourraient être en train de se laisser convaincre par l’idée.
« Cinq préfectures sur seize ont connu des résistances des groupes armés [et les facilitateurs] sont revenus sur Bangui », a dit Mme Detoua, la ministre de la Réconciliation.
À Kaga-Bandoro, dans le centre du pays, les rebelles ont brièvement pris en otage le préfet de la région et le maire de la ville qui venaient de Bangui pour organiser ces consultations. À Bambari, ils ont chassé toute une équipe de facilitateurs.
Toutefois, après négociations avec les rebelles, les consultations ont fini par se dérouler avec succès dans ces deux localités.
Tout le monde a enfin une chance de se faire entendre. Le gouvernement a même mis sur pied une ligne téléphonique spéciale pour ceux qui n’auraient pas pu assister aux consultations.
cdk/am/ag-ld/amz