Des milliers de réfugiés observent depuis fin août les mouvements de tonnes de véhicules et de matériels débarqués d’avions-cargos géants à l’aéroport M’Poko, à Bangui. Le reste (camions, tentes, engins de chantier) arrive par la route en convois sécurisés: plus de 700 conteneurs débarqués au port de Douala, puis acheminés pendant dix jours le long de mauvaises pistes à travers le Cameroun. «C’était un défi logistique, mais nous sommes prêts», confie une source à l’ONU.
Espérée pendant des mois avant d’être enfin décidée par le Conseil de sécurité en avril, l’opération de maintien de la paix, placée sous chapitre 7 de la Charte des Nations unies autorisant le recours à la force, prend lundi le relais des troupes déployées par l’Union africaine: 5300 hommes de la Misca vont troquer leurs bérets verts, contre les casques bleu azur de l’ONU, au cours d’une cérémonie solennelle, rejoints par un premier contingent arrivé du Bangladesh. En tout, 7600 hommes, dont un millier de gendarmes et de policiers, tenteront de protéger les populations et de désarmer les combattants, tout en soutenant une éventuelle transition politique dans un pays ravagé par des décennies de corruption et que les combats sanglants entre milices musulmanes (la Séléka) et chrétiennes (les anti-Balaka) ont laissé en ruines.
«L’État est de retour»
À terme, la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine) devrait rassembler 12.000 soldats et policiers, répartis sur 24 bases d’opération et trois états-majors régionaux. Nouvel acronyme, nouveau commandement… Mêmes buts. «C’est la douzième intervention de paix en RCA depuis 1997», observe un diplomate, qui veut croire, pourtant, au succès de cette «mission de la dernière chance». Parce que ses effectifs, plus nombreux, permettront de sécuriser un territoire plus vaste, en coordination avec les 2000 soldats français de l’opération «Sangaris», sur place depuis fin 2013, et les 150 uniformes européens de l’Eufor cantonnés à Bangui. Parce que ses équipements la rendront plus mobile: «L’ONU apporte la puissance de sa logistique. S’il y a besoin de déplacer rapidement 40 hommes pour une intervention, nous pourrons le faire.»
Enfin, parce que le mandat de l’ONU est clairement d’assumer certaines missions régaliennes afin de rétablir l’autorité de l’État, en matière de police, de justice, et même de douanes. «La chaîne judiciaire est totalement rompue, souligne le chef des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous. Les tribunaux, les prisons sont en ruine, il n’y a pas de fonctionnaires, plus d’archives.» Des personnels civils (magistrats, gardiens de prison, ingénieurs) accompagnent la force, autorisée à «arrêter, détenir et juger les gens. (…) Après des décennies de pratique établie d’impunité, nous devons envoyer à la population un signal clair: l’État est de retour».
Mais l’optimisme affiché masque mal les faiblesses de l’opération. Les troupes africaines déjà sur place vont devoir s’adapter aux normes onusiennes, en terme de formation, d’équipement… une gageure. Les bataillons promis, notamment par le Pakistan ou l’Indonésie, pourraient tarder, et leurs effectifs non francophones font craindre sur le terrain des problèmes d’efficacité, comme le trop faible nombre de femmes militaires, rendant plus délicate la lutte contre les viols.
Enfin, des équipements vitaux font cruellement défaut: sur les douze hélicoptères espérés, seuls trois sont arrivés à Bangui. Cinq autres sont attendus dans les prochaines semaines… Tous de transport. «Nous aurions besoin d’hélicoptères d’attaque», admet Hervé Ladsous. Mais les contributeurs rechignent… Le budget annuel de la Minusca devrait dépasser 500 millions de dollars.