Le père Kinvi a été honoré pour avoir sauvé la vie de centaines de civils musulmans qui étaient pris pour cible lors de violences interconfessionnelles en République centrafricaine. Human Rights Watch souligne "son courage sans faille et son dévouement dans la protection des civils ". Il revient sur son engagement au micro d'Ibrahima Bah. Cliquez sur la photo pour entendre l'entretien ou lisez la retranscription ci-dessous :
Interview avec le Père Bernard Kinvi
Kinvi: En janvier 2014, quand la guerre a éclaté, nous avions le choix de partir ou de rester. Mais en tant que camélien, j’ai fait vœu de servir les malades, même au péril de ma vie. Alors et moi et mon confrère le Père Brice Patrick et les sœurs carmélites de Sainte-Thérèse de Turin qui sont encore actuellement à Bossemptélé, ainsi que le personnel de l’hôpital Saint-Jean-Paul II de Bossemptélé, nous avons tous décidé de rester, de secourir les malades, de les soigner, de soigner les blessés de guerre. HRW est passé en février et en mars et c’est là que Peter [Bouckaert] est venu, a discuté avec eux, avec l’imam, et tout ce monde et ils ont été touchés par notre engagement à sauver des blessés.
DW : Vous avez sauvé des dizaines de personnes. Qu’est-ce qui vous a donné la force de sauver ces vies ?
Kinvi: J’avoue que je suis quelqu’un de peureux, comme tout le monde. J’ai aussi peur de la mort, je crains aussi la souffrance, comme tout le monde. Mais dans la situation, j’ai senti une force exceptionnelle qui me poussait à aller de l’avant, à ne pas abandonner les blessés, les réfugiés, les rescapés, aller les chercher dans leur coin, les secourir et enterrer les morts qui jonchaient les rues. Et j’ai pu le faire grâce au soutien indéfectible de tous mes confères, surtout le Père Brice Patrick et l’apport exceptionnel des sœurs carmélites et tous les missionnaires de la zone qui se sont donnés en faveur de ces blessés. Donc je ne me suis pas senti seul dans cette œuvre. J’ai senti tout un groupe autour de moi qui m’a donné la force nécessaire de continuer malgré les menaces de mort…
DW : Vous parlez de menaces de mort. D’où venaient-elles ?
Kinvi: Beaucoup de gens n’étaient pas d’accord pour qu’on garde les musulmans. Car en ce temps-là, les musulmans étaient vus comme des ennemis. Beaucoup voulaient les tuer. Alors je me suis vraiment opposé. Toute la mission catholique s’y est opposée. Et nous avons reçu des menaces. Une fois, je suis allé chercher un réfugié dans la nuit. Je voulais le faire entrer dans un véhicule de la Misca et là, j’ai rencontré un anti-balaka qui m’a attrapé, qui a dit qu’il allait tout faire pour me tuer parce que je cachais des musulmans. Mais je ne pouvais pas le laisser faire du mal à cet homme. Donc c’était à chaque fois des dérangements, des menaces, ou des demandes, parfois, de rançons pour des réfugiés musulmans que nous gardions à la mission catholique.
DW : Qu’est-ce qui vous a poussé vous à garder des musulmans au moment où la majorité des chrétiens voulaient en découdre avec les musulmans ?
Kinvi: Je ne peux pas parler d’une guerre entre chrétiens et musulmans. Je parlerais plutôt d’une révolte de non-musulmans contre les musulmans. Car tout ce groupe des anti-balakas, qui voulaient tuer les musulmans, je ne reconnais pas en eux des chrétiens. Etre chrétien, c’est accepter Jésus Christ, être baptisé, aller à l’église. Les médias ont voulu voir en tout non-musulman un chrétien. Ce n’est pas bien de faire la distinction comme ça. En Centrafrique, ou du moins à Bossemptélé, il y a une grande division entre les animistes, qui sont les plus nombreux, une petite partie qui est chrétienne, et une autre partie de musulmans. La majeure partie des anti-balakas que moi j’ai connus, avec qui j’ai beaucoup discuté pour ramener la paix, n’étaient pas chrétiens mais animistes. En face de tous ceux-là, il y a effectivement des chrétiens qui, dans leur quartier, ont caché des musulmans comme moi et qui nous ont appelés, moi ou mon confrère Brice, pour qu’on vienne les chercher de nuit. Alors où ai-je trouvé cette force ? Je suis un prêtre camélien, et le camélien fait souvent un quatrième vœu , en plus de la chasteté, de la pauvreté, de l’obéissance, c’est de servir les malades même au péril de sa vie. Et on rencontre dans le malade le Christ lui-même faible et souffrant. Alors que ce soit un musulman ou que ce ne soit pas un musulman, c’est le Christ que je sauve.
[Le conflit armé a fait de nombreuses victimes civiles, de toutes les confessions]
Le conflit armé a fait de nombreuses victimes civiles, de toutes les confessions
DW : Aujourd’hui , que représente ce prix pour vous ?
Kinvi: Ce prix, c’est d’abord une joie, celle de faire comprendre au monde entier qu’en Centrafrique, beaucoup de prêtres, beaucoup de chrétiens, de religieux se sont penchés sur le cas des musulmans et les ont protégés. Pour dire que ce n’est pas une guerre confessionnelle mais plutôt politique. Je voudrais à travers ce prix rendre hommage à tous les prêtres, tous les chrétiens qui, de partout en Centrafrique, se sont battus pour sauver des vies humaines, car je n’étais pas seul. On a besoin de faire comprendre que le chrétien n’a rien à faire contre le musulman.
DW : Vous dites que des chrétiens ont sauvé des musulmans, mais des musulmans ont aussi sauvé des vies de chrétiens dans le pays…
Kinvi: Bien sûr ! Nous avions par exemple un chauffeur musulman. Pendant le règne de la Seleka, c’est lui qui nous aidait alors que les Seleka régnaient et nous empêchaient de circuler librement. Et ce chauffeur nous aidait en tout. Dans les missions catholiques, on collabore beaucoup avec des musulmans qui nous aident et travaillent pour nous sans aucune distinction de religion. Quand nous avons été menacés de mort par des Seleka également, l’un des musulmans a essayé d’appeler le colonel, de faire une réunion pour plaider pour notre cause. C’est vice versa, quoi.
DW : Que représente ce prix pour toute la Centrafrique ?`
Kinvi: Ce prix est un appel à l’unité et la réconciliation. Laissons tomber les différences confessionnelles et battons-nous pour l’unité et la paix dans ce pays car on en a besoin. Tous les pays du monde avance et nous, on a l’impression qu’on recule. Alors j’invite tous mes frères centrafricains à s’unir et à travailler de tout leur cœur pour que la paix et le développement commencent en Centrafrique.
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