Monsieur le Président de l’Association Les Amis de la République Centrafricaine,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout d’abord à féliciter l’Association Les Amis de la République Centrafricaine pour leurs initiatives parmi lesquelles l’organisation de l’université d’automne sur une question aussi importante que les élections en Centrafrique.
La question est d’autant plus importante qu’il y a d’une part la nécessité de normaliser les institutions nationales ainsi que la vie en Centrafrique, et d’autre part l’analyse de tous les facteurs permettant d’organiser ces élections à la date initialement fixée, dans un contexte ultrasensible né de la crise en cours.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le déclarer successivement au Sénat français, au Sénat du Canada, à l’Assemblée Nationale du Québec et au Symposium mondial sur la démocratie à Québec en qualité de Chef de Délégation des Parlementaires africains en tournée en Europe et en Amérique du Nord sur le processus de démocratisation de l’Afrique, notre continent d’une manière générale et la République Centrafricaine précisément pour le cas qui nous réunit aujourd’hui, a besoin de la liberté, de la démocratie, de la paix pour se développer. C’est seulement et précisément dans ce sens que la démocratie y est porteuse d’espoir.
Dans cette même déclaration, j’avais particulièrement insisté sur le fait que l’Afrique n’entendait pas sortir d’un chaos pour entrer dans un autre par l’anarchie, la division, la violence, le terrorisme politique, le déchirement, et que la communauté internationale engagerait pleinement sa responsabilité devant l’histoire et devant l’humanité en restant à l’écart de ce mouvement pour le suivre en spectatrice.
Dans mes interventions, l’accompagnement nécessaire de la communauté internationale de notre continent dans sa marche vers la démocratisation s’expliquait par le fait que plusieurs décennies de totalitarisme n’allaient pas être sans réflexe quant à la nécessité de l’alternance au pouvoir.
La crainte exprimée dans ces différents discours au sujet d’une Afrique en retard qui allait d’avantage creuser sa tombe si un certain nombre de dispositions d’encadrement n’étaient pas prises dans cette nouvelle marche, s’est réalisée aujourd’hui près de 22 ans après.
Je rappelle ces interventions ici afin qu’indépendamment de la contribution de la communauté internationale dans l’organisation des élections en Centrafrique, nous puissions nous-mêmes analyser d’abord tout ce qui est de nature à éviter une crise supplémentaire à celle en cours, la plus désastreuse de l’histoire de notre nation.
Les Centrafricains ne doivent tout d’abord pas oublier qu’ils ont collectivement par leur impassibilité et individuellement par leur gestion ou actes, une grande responsabilité dans la crise actuelle et qu’il est temps d’en tirer les leçons.
Nous devons éviter l’impassibilité qui a été l’une des principales causes de la situation actuelle et faire remettre le pays sur le rail en vue de sa reconstruction.
Notre pays est certes physiquement enclavé, mais son évolution socio-économique dépend avant tout de notre désenclavement mental. Et c’est le moment !
La transition avait pour principales missions dans une période de 18 à 24 mois :
La sécurisation du pays ;
Le redéploiement de l’administration sur l’ensemble du territoire ;
La relance économique ;
L’organisation des élections en février 2015.
Afin de répondre à la question objet de notre réunion de ce jour, je laisse à chacun de vous le soin d’apprécier si ces missions qui devraient déboucher sur des élections transparentes, apaisées, honnêtes et incontestables ont été réalisées.
Lorsque la Présidente de Transition de Centrafrique déclare en s’appuyant sur une simple interview du Président de l’Autorité Nationale des Elections que les élections ne pourraient pas se tenir, c’est exactement comme si les facteurs qu’elle a cités pour justifier ce report n’étaient pas connus dès le début de cette transition, appelée pourtant à les enrayer depuis janvier 2014.
En travaillant sans fermeté dès le début de son mandat et sans chronogramme pour combattre l’insécurité qui a au contraire augmenté sous diverses formes, il est évident que la transition ne pouvait pas faire ramener la paix pour l’organisation des élections.
En oubliant pratiquement le volet électoral dans sa mission, la transition était appelée tout naturellement à durer au-delà de la période de son mandat initial.
En effet à cette date, sur un budget électoral de près de 38 milliards de francs CFA, l’Etat centrafricain n’aurait participé d’une manière effective à ce jour que pour 41 millions de francs CFA.
En garantissant directement ou indirectement l’impunité à certains responsables des milices armées qui ont continué à tuer, enlever, violer, piller, détruire tranquillement, il est évident que l’insécurité ne pouvait pas être combattue efficacement.
En facilitant volontairement, financièrement, matériellement l’organisation d’un congrès de la rébellion ayant débouché de facto sur le partage de la République Centrafricaine à travers l’établissement d’un état major rebelle dans le Centre- Est du pays avec toutes les conséquences qui en découlent sur la population, la transition ne peut pas ignorer que cela n’était pas de nature à favoriser l’organisation des élections.
Bref, je ne ferai pas le bilan de la transition ici, mais ces quelques points sont cités pour faire percevoir les facteurs qui ne facilitent pas logiquement l’organisation des élections à la date prévue, et qui ne résultent pas du tout de la fatalité.
Il convient de noter qu’aux facteurs qui viennent d’être cités s’ajoutent d’autres, notamment :
L’absence de fichier électoral ;
L’état civil peu fiable, car détruit par endroit ;
L’absence d’un budget estimé par l’Autorité Nationale des Elections à près de 38 milliards de francs CFA ;
Le redéploiement de l’administration qui n’est pas effectif à ce jour ;
L’état des infrastructures routières ;
Le retour des déplacés et réfugiés qui représentent au moins 20% de la population.
Même à leur retour, les déplacés et réfugiés auront à mesurer toute l’ampleur de la désolation qui les attend et ils s’en préoccuperont prioritairement pendant un certain temps avant de songer aux élections, une fois la sérénité revenue.
Les casques bleus vont se déployer progressivement et n’atteindront pas leur effectif prévu avant quelques mois, pour commencer une importante opération de désarmement, démobilisation, réinsertion.
Même si les forces française (SANGARIS), européennes (EUFOR) et africaines ont fait un premier travail de retour progressif de la sécurité dans la capitale, beaucoup reste à faire pour la sérénité de la population dans la seule ville de Bangui.
Les élections en Centrafrique nécessitent par ailleurs une sérénité générale pouvant venir non seulement et principalement du désarmement, mais surtout de la lutte contre l’impunité.
Les bourreaux et leurs victimes iront au vote pour quel avenir commun, si la justice ne punit pas ceux qui ont tué, violé, pillé, détruit, au moins pour consoler les cœurs ?
Tout en saluant le rôle remarquable joué par les religieux pour éviter aux communautés chrétienne et musulmane de tomber collectivement dans un piège politique de déchirement en dehors des milices armées, il convient de noter que les partis politiques ont abandonné l’espace qui était le leur pour attendre les élections, en demeurant pour la plupart silencieux, à un moment où le pays a traversé la période la plus difficile, la plus sombre de son histoire.
Les élections ne seront pas une solution automatique de sortie de crise. Les conséquences des dernières élections ayant été les prémices de la grave crise actuelle, il est primordial que les candidats au prochain scrutin et l’Autorité Nationale des Elections ne perdent pas de vue que des fraudes en faveur de tel ou tel candidat sont sources de tensions tribales, régionales ou religieuses donc, d’une autre crise.
Aussi il est fondamental de mesurer la responsabilité de replonger le pays dans une nouvelle crise devant l’histoire, devant la nation et devant Dieu.
Pour cela, tout doit être mis en œuvre afin que le pays ne sorte pas d’un chaos pour entrer dans un autre à travers les élections uniquement pour le pouvoir.
Dans les missions de l’Autorité Nationale des Elections, l’absence d’élection municipale est flagrante, dès l’instant où la démocratie commence par la proximité locale.
Par ailleurs, des maires nommés pour jouer un rôle déséquilibré dans les élections ainsi que des fonctionnaires choisis par leurs partis et affectés avec des visées électoralistes sont sources de tensions, de conflits à éviter dès maintenant, une égalité de chance devant être recherchée objectivement et être garantie aux différents candidats.
Si les élections préoccupent particulièrement, la transition devrait davantage faire l’objet d’une plus grande attention, surtout qu’elle peut être prolongée. Par ailleurs c’est une transition réussie qui détermine une bonne sortie de crise en créant les bases fondamentales d’un nouveau départ, d’une nouvelle gestion du pays.
Pour cela, à travers le Dialogue National attendu, il est primordial que la transition soit recadrée juridiquement et politiquement de manière à retrouver le caractère provisoire qui est normalement le sien, avec des gardes fous néessaires.
La transition doit par ailleurs s’adapter au contexte de la crise multidimensionnelle que le pays connaît et non prendre l’allure d’un mandat normal avec un train de vie correspondant à celui d’un un Etat en pleine croissance, en bonne santé économique, ce qui contraste fortement avec la situation nationale.
Au-delà de la transition, le Dialogue National doit jeter les bases d’une gestion politique plus responsable par l’assainissement profond de la vie publique en Centrafrique.
Le Dialogue National Inclusif nécessaire à la refondation de la République Centrafricaine doit proposer des orientations fondamentales pour la nouvelle constitution du pays, avec des gardes fous nécessaires, se traduisant par des procédures simplifiées de mise en accusation, de destitution des principaux organes de l’Etat qui se complaisent dans les mêmes dérives qui ont entrainé le pays dans le chaos actuel, car il est préférable qu’un disjoncteur saute qu’une maison brûle.
En effet, l’accession au pouvoir ne doit pas être recherchée pour s’enrichir, pour avoir les poches plus garnies que la caisse du trésor public, mais au contraire pour un sacrifice personnel afin d’aider la population à s’épanouir.
Que Dieu bénisse notre pays.