En Centrafrique, on cultive l’embrouillamini, avec une certaine constance. A quatre mois du 17 août 2015, échéance normale de la Transition, l’amateurisme, les intérêts personnels, les pressions claniques et le cynisme ont conduit les autorités de la Transition à multiplier les chausse-trappes au point de rendre illisible leur feuille de route et de compromettre le retour à la paix.
Un pouvoir exécutif hors sol et une médiation hors jeu
Le chemin vers la réconciliation nationale est de plus en plus sinueux. La faute en incombe évidemment d’abord aux belligérants de l’ex-Séléka et des anti-balaka, désormais divisés en factions rivales. Le pouvoir exécutif n’est pas aussi exempt de reproches. Les chevauchements entre les compétences des ministres membres du gouvernement et celles, plus occultes, des ministres-conseillers de la chef de l’État polluent l’action politique. Dans ce méli-melo gouvernemental, les agitations politico-médiatiques de Jean-Jacques Demafouth, cousin de Catherine Samba-Panza, compromettent, un peu plus, la réconciliation nationale que devait faciliter le Forum national de Bangui, prévu du 27 avril au 4 mai 2015. En prenant trois décrets, le 3 avril 2015, concernant un comité technique et un praesidium de ce forum, la chef de l’État a suscité l’ire du Conseil national de la transition (CNT) et une nouvelle condamnation de la classe politique.
En évinçant la commission préparatoire du forum qui faisait consensus et en nommant des parents ou des proches, Catherine Samba-Panza a peut-être mis un terme au processus de réconciliation nationale, déjà semé d’embûches. L’Accord de Brazzaville de fin des hostilités, du 23 juillet 2014, devait être fondateur. Il n’en fut rien. L’Appel de Rome, du 27 février 2015, signé par plusieurs présidentiables, ne faisait qu’accroître la cacophonie et l’absence de leadership du pouvoir exécutif. Quant à l’Accord de Nairobi, du 8 avril 2015, il met surtout en exergue les profondes dissensions dans les camps des ex-Séléka et des anti-balaka et la volonté du Médiateur de la crise centrafricaine, le président congolais Denis Sassou Nguesso, de sous-traiter sa médiation.
Un CNT peu légitime et en somnolence
Le CNT n’est pas une assemblée d’élus de la nation. Il a été constitué par deux arrêtés du tandem Michel Djotodia-Nicolas Tiangaye, en avril 2013. Sa composition de 135 membres a été validée par l’article 50 la Charte constitutionnelle qui énonce simplement que le CNT est composé de "représentants les différentes catégories politiques et socioprofessionnelles". La plupart des 135 conseillers, toujours en place en avril 2015, sont d’anciens sympathisants de l’ex-Séléka et des nostalgiques des présidences Kolingba et Patassé. De par sa création et sa composition, ce CNT peut difficilement exprimer la souveraineté nationale et engager l’avenir du pays, à travers sa Constitution.
Il aura fallu dix-neuf mois pour que le CNT adopte, le 16 février 2015, un avant-projet de Constitution. Après la consultation du gouvernement, un atelier national devra procéder à l’ "enrichissement" du texte amendé par le gouvernement. La réunion de cet atelier prendra du temps et les débats risquent de ne pas être une simple formalité. La Cour constitutionnelle donnera ensuite son avis et il reviendra au CNT de soumettre, au référendum, le projet de loi constitutionnelle. Étant donné que la transition se terminera le 17 août 2015, il est peu probable que ce référendum puisse avoir lieu, d’autant que l’article 163 du code électoral, concernant le référendum, rappelle que "les électeurs sont convoqués au moins soixante jours avant le jour du scrutin".
La politique de l’autruche arrive bientôt à son terme
Étant donné le contexte centrafricain, que le Groupe international de contact (GIC-RCA) refuse obstinément de prendre en compte (comme par exemple la saison des pluies, les camps de réfugiés et de déplacés non administrés, l’exil en brousse de dizaines de milliers de villageois, la destruction des services de l’état-civil et du fichier électoral), des élections crédibles ne pourront pas se tenir en juillet-août 2015. Comment organiser en cent jours un référendum et des élections législatives couplées à une élection présidentielle, alors que les préliminaires ne sont pas encore réunis ?
Après deux prolongations, la transition se terminera normalement le 17 août 2015, soit 24 mois après la prestation de serment du chef de l’État déchu, Michel Djotodia. L’alinéa 2 de l’article 102 de la charte constitutionnelle prévoit néanmoins qu’"en cas de nécessité", la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC peut examiner la durée de la Transition. Quels seront les nouveaux arguments de la demande conjointe de la chef de l’État, du Premier ministre et du président du CNT ? Sans véritable plan de vol, avec des pilotes ayant montré les limites de leur compétence et des alarmes qui ne peuvent plus désormais être négligées par les aiguilleurs du ciel du GIC-RCA, "l’avion" centrafricain ne pourra arriver à destination des élections crédibles et transparentes. Un changement d’équipage est prévisible, comme l’avait imposé la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC, le 10 janvier 2014.