Le forum de Bangui, qui s’ouvre aujourd’hui, est une étape fondamentale de la transition en République centrafricaine (RCA) et suscite des attentes très importantes. Il doit permettre aux participants de débattre des causes profondes de la crise, de forger un consensus national autour des principaux défis auxquels le pays est confronté et, selon les termes de la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, de « dégager une vision pour l’avenir ».
Il se déroule dans un contexte sécuritaire difficile. Si, globalement, les affrontements entre groupes armés ont diminué depuis mi-2014, ces derniers s’inscrivent de plus en plus dans une dynamique de criminalisation et les violences liées à la prédation économique, comme les braquages, les vols et les enlèvements, frappent toujours aussi durement les populations civiles. Par ailleurs, il se produit au centre du pays un glissement d’un conflit entre groupes armés à un conflit entre communautés armées qui se matérialise par des cycles de représailles, rendant la résolution de cette crise plus difficile. La sécurisation du pays est ainsi loin d’être acquise, raison pour laquelle le Conseil de sécurité des Nations unies vient d’adopter le 28 avril 2015 la résolution 2217, qui renouvelle le mandat de la Minusca pour une année.
Après l’échec du forum de Brazzaville de juillet 2014, qui s’était soldé par la signature d’un accord de cessez-le-feu inappliqué par les groupes armés et par le refus du dialogue politique par l’ex-Séléka, le gouvernement de transition et ses partenaires internationaux ont décidé d’organiser les négociations à Bangui et de mettre en place un forum inclusif précédé par des consultations populaires dans tout le pays. Ces consultations, lancées par les autorités et menées par des équipes de facilitateurs dont les membres ont été désignés par les forces vives du pays, ont été rendues possible grâce au soutien des partenaires internationaux du G5 – Nations unies, Union africaine, Union européenne, France et Etats-Unis. Les Centrafricains ont ainsi pu faire part de leurs préoccupations et ont soumis une série de recommandations sur des sujets à la fois politiques, économiques et sociaux mais aussi sur la justice et la cohésion sociale.
Le forum de Bangui, qui se tient du 4 au 11 mai, réunira les autorités de la transition, les représentants des groupes armés, les partis politiques centrafricains, des dirigeants religieux et des membres de la société civile. Il se déroulera avec le concours des partenaires internationaux. Quatre grands thèmes seront abordés : paix et sécurité, justice et réconciliation, gouvernance, et développement économique et social. Le déroulement de la rencontre incombera au présidium du forum de Bangui présidé par Abdoulaye Bathily, chef du bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale et co-médiateur de la crise centrafricaine, et composé de personnalités du monde politique, religieux, de la société civile et des groupes armés.
Pour que le forum de Bangui ne soit pas une répétition de la conférence de Brazzaville (2014), du dialogue politique inclusif (2008) et du dialogue national (2003), il doit avoir pour point de départ les conclusions des consultations populaires. En dépit des demandes répétées de plusieurs groupes armés, le forum devrait s’inscrire en rupture avec les accords de paix et les dialogues de réconciliation précédents en mettant fin à la nomination des rebelles à des postes de responsabilité au gouvernement et dans l’administration. Contrairement aux autres discussions nationales similaires, il devrait aussi aboutir à des mesures concrètes, validées par des acteurs véritablement représentatifs et soutenues par les partenaires internationaux.
Pour ce faire, parmi la masse des préoccupations et doléances exprimées par les Centrafricains, des priorités de discussion doivent être établies. Crisis Group suggère aux participants du forum de Bangui de faire des sujets suivants une priorité :
Sécurité : miser sur le développement
Dans un contexte de très forte pauvreté et d’augmentation des activités criminelles menées par les groupes armés, le forum devrait encourager les initiatives visant à fournir rapidement un travail aux jeunes, telles que l’extension des travaux à haute intensité de main d’œuvre sur l’ensemble du territoire, et soutenir ces chantiers en les accompagnant par des formations professionnelles.
Le forum devrait aboutir à un accord sur la mise en œuvre d’un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion de deuxième génération privilégiant la réinsertion économique et communautaire des combattants. Cette réinsertion devrait s’inscrire dans des programmes de développement plus larges.
Le forum devrait être l’occasion de lancer un débat sur la composition des futures forces de sécurité centrafricaines. Dans un contexte de fortes tensions communautaires, il est impératif que ces forces soient impartiales, professionnelles et représentatives. Le sentiment de protection des communautés sera une condition indispensable pour rendre possible les initiatives de désarmement.
Gouvernance : réaffirmer les règles du jeu démocratique
Les participants du forum devraient se prononcer sur les principales orientations du projet de nouvelle constitution et ne pas remettre en cause la clause d’inéligibilité qui s’applique aux autorités de la transition, ainsi que l’impossibilité pour les membres des groupes armés d’être candidats aux prochaines élections, qui sont censées se tenir au cours de l’été 2015 mais qui seront sans aucun doute reportées à 2016 au minimum.
Justice : un préalable à la réconciliation
Les consultations populaires ont démontré avec force que la lutte contre l’impunité était un des sujets de préoccupation majeurs des Centrafricains. Le forum devrait soutenir la mise en place rapide de la Cour pénale spéciale, la reconstruction de l’appareil judiciaire centrafricain et le recours à la Cour pénale internationale qui, en septembre 2014, a ouvert une enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis août 2012 en RCA.
Réconciliation : une approche par le bas
Afin de réduire les fractures communautaires, les discussions du forum devraient traiter du soutien à apporter aux initiatives locales de médiation, ainsi qu’au développement et à la consolidation des complémentarités économiques existantes entre communautés. Les échanges économiques ont en effet constitué le socle de leurs relations sociales pendant des décennies et ont été perturbées par le conflit.
Le forum devrait être l’occasion de trouver une solution aux conflits ruraux qui opposent agriculteurs et éleveurs depuis de nombreuses décennies, notamment en mettant en place des systèmes d’informations sur les mouvements des éleveurs, en régulant la transhumance, en soutenant les activités de médiation et en inscrivant la relance de l’élevage dans une stratégie globale de reconstruction économique du pays.
Afin de faciliter la coexistence pacifique sur le long terme, le forum devrait faire de la reconstruction du système éducatif une priorité nationale.
Loin d’être l’aboutissement du processus politique en RCA, le forum peut au contraire poser les fondations de la reconstruction stabilisatrice du pays s’il s’attèle à la fois à la résolution des problèmes ruraux qui ne sont pas nouveaux et s’il introduit des innovations pour réduire la violence communautaire. A cet effet, le forum constitue à la fois une chance mais aussi un risque, celui d’adopter une réponse de court terme à la crise en offrant de nouvelles récompenses politiques aux groupes armés, mais qui empêcherait au final un véritable processus de réconciliation. Enfin, le programme de priorités nationales qui devrait découler du forum doit absolument être communiqué au niveau local et les mécanismes de suivi des principales recommandations doivent associer les acteurs locaux.
International Crisis Group