Alors que le forum national de Bangui a pris fin le 11 mai dernier comme initialement prévu, les Centrafricains sont aujourd’hui dans la phase des critiques et dévaluation. Corbeaunews.Centrafrique a donné la parole à un des participants et non des moindres, le Général Xavier Sylvestre Yangongo, lui-même candidat à la prochaine présidentielle en République centrafricaine qui a n’a pas caché son regret de voir que le forum de Bangui a été un rendez-vous manqué pour les Centrafricains, mais que lui, en sa qualité de général et candidat à la prochaine présidentielle invite les Centrafricaine à continuer à s’investir résolument pour se tourner vers l’avenir pour reconstruire leur pays.
Corbeaunews.Centrafrique (CNC) : La République centrafricaine vient de sortir d’un forum national qui a réuni plus de 600 centrafricains venues des seize préfectures du pays, de Bangui et de la diaspora dont vous avez été l’un des participants. Dites-nous Général, avec quel sentiment vous êtes sorti de la cérémonie de clôture de ces assises nationales ?
Xavier Sylvestre Yangongo (XSY) : Merci Monsieur le journaliste pour m’avoir accordé cette opportunité pour m’exprimer sur l’actualité brûlante de l’heure dans notre pays. J’étais à l’extérieur quand on a annoncé la tenue du Forum de Bangui. C’est pourquoi, je suis rentré précipitamment et j’ai non seulement, de bout en bout, suivi le déroulement de ce forum, mais j’ai aussi participé et pris la parole pendant deux (2) minutes comme tous les participants. Ce qui m’a permis de me rendre compte que le peuple centrafricain attendait beaucoup de ce forum. Personnellement, je ne vous cache pas, je suis sorti déçu par ce forum, notamment par son organisation qui parait beaucoup plus à un festival. On n’a pas laissé les gens parler.
Dans ce forum, c’est vrai qu’il y avait des hommes politiques, mais il y avait de grands acteurs qui sont les politico-militaires et les victimes, beaucoup de victimes surtout de la dernière crise. Combien y a –t-il eu de morts, dix mille, quinze mille ? Je ne sais pas. Moi-même j’étais victime, le Président fondateur Barthelemy Boganda a été victime, parce que son mausolée à Bobangui a été sauvagement mitraillé et pillé. Mais, on n’a pas parlé. Des gens sont venus de très loin, de Birao, d’Obo, de Berberati, de Nola pour participer à ce forum, on ne leur a pas donné l’opportunité de parler. Pire encore, on n’a pas expliqué l’origine du problème que notre pays vient de connaitre. Pourquoi les Séléka ont pris les armes ? Pourquoi parmi les Séléka, il y a des mercenaires ? Lorsqu’ils sont arrivés à Bangui, ils ont tout pillé, non seulement ils ont détruit l’administration, ils ont pillé la population à maintes reprises. Mais, on n’a pas parlé de cela. Aujourd’hui, il y a des milliers de de personnes qui sont dans les sites des déplacés et d’autres refugiées à l’extérieur du territoire. A quand ces personnes doivent retourner chez eux ? Ce sont des interrogations qui devront toutes avoir de réponses concrètes.
Malheureusement une fois de plus, certaines recommandations qui ont été faites dans les groupes thématiques n’ont pas été reprises dans les rapports présentés à la plénière, ce qui fait que les présidents de certains groupes thématiques ne sont pas retrouvés dans les travaux de la plénière.
Je pense que le gouvernement a fait son forum selon ce qu’il entend. Moi qui ai l’habitude des fora, je n’ai rien compris, et je crois que beaucoup de gens qui sont honnêtes diront la même chose.
CNC : Cela veut dire que le forum national de Bangui n’a accouché que d’une souris ?
XSY : A mon avis, les seuls acquis de ce forum se résument à la signature de l’Accord de désarmement signé entre les Seleka, les Anti-balaka et autres groupes politico-militaires avec le gouvernement et la communauté internationale. Là encore, je ne peux pas comprendre que des groupes politico-militaires qui ont été désarmés à l’époque et qui n’ont plus de troupes – je les connais très bien, sont revenus signer l’accord au CNT. Je crois que c’est simplement parce que les gens étaient contraints à signer cet accord. Ce pays est un pays des accords qui ne sont jamais suivis, je le regrette.
Au fait, aujourd’hui, il y a beaucoup des armes dans le pays, il faut encore que ces groupes armés acceptent véritablement de déposer les armes. Si on s’en tient aux chiffres déclarés, vingt-cinq mille (25 000) hommes pour la Seleka, et cinquante-trois mille (50 000) pour les Anti-balaka, sans compter les autres milices dont celles de Abdoulaye Miskine, celles de Armel Sayo et que sais-je encore, d’autres milices en gestation… ces combattants sont au nombre de combien ? Il faut avoir le nombre total de ces combattants pour pouvoir discuter avec les partenaires sur le financement de leur désarmement. D’ailleurs, il faut savoir qu’il n’est pas facile de financer le désarmement et je le dis en connaissance de cause pour avoir désarmé, moi-même des groupes armés dont l’APRD et autres. Bref, il y a eu beaucoup de flou autour de cet accord.
CNC : Toujours en ce qui concerne le forum de Bangui, deux anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia ont été les grands absents de ce rendez-vous. Est-ce un manque à gagner pour ce grand rendez-vous ?
XSY : On n’a pas besoin de le dire haut, parce que les conséquences n’ont pas tardé. Pendant qu’on était à la séance de clôture du forum, les gens ont commencé par lapider et jeter des pierres dans l’enceinte du CNT. C’est parce que tout au long de ces débats, certains ont réclamé la présence de Michel, d’autres la présence de François. C’est justement ce que je disais au début, car au Dialogue national en 2003, le Président David Dacko était présent, le Pr Abel Goumba était là, le Président André Kolingba qui était revenu de son exil de Kampala était également dans la salle, la présence de ces grandes figures rassuraient les gens et les ont poussés à faire des grands déballages dans les débats. Mais, lors de ce forum de Bangui, les gens n’ont pas parlé. L’origine même de cette crise n’a pas été touchée comme je l’ai dit tantôt. Je vous dis par exemple que lorsque la Séléka venait, elle a pris certaines régions, notamment le centre-nord, à Bambari etc. Mais, il y a eu une troupe étrangère qui est partie de Bossangoa pour venir prendre Bangui, on n’a pas parlé de cela. Une fois de plus, je suis déçu.
CNC : Mon général, que pensez-vous de l’incidence de ces assises en termes d’atteintes de ces grands objectifs, à savoir la paix, la réconciliation et la relance économique ?
XSY : A mon avis, il n’y a rien de clair. Parce que je pense qu’à la fin de ce forum, il devrait y avoir un geste symbolique fort, du genre qu’à la fin, les gens se lèvent pour se saluer, se faire des accolades, pour se laver les mains, bref, un geste fort. Rien ! On a vu seulement la flamme qu’on a remise à la Présidente, mais est-ce que la paix, c’est le feu ? Rien n’a été fait de sérieux. C’est pourquoi, je dis que la paix est encore très loin, moins encore l’amorce des questions sérieuses de relance de l’économie nationale.
CNC : Et si vous aviez un message à lancer aux centrafricains à l’issue de ce forum, ce serait lequel ?
XSY : Ce sont plutôt des vœux que je formule pour que les prochaines élections puissent permettre au peuple centrafricain d’avoir un bon président, capable de bien gérer le pays et qu’il y ait la paix et que nous sortons définitivement de ces crises éternelles parce que cela fait déjà trois décennies que nous connaissons ces mêmes situations. Surtout qu’il n’y ait pas de trucages sur ces élections, parce que c’est de là que proviennent le plus souvent nos problèmes.
Nous devons profiter de cette situation pour tourner définitivement cette page sombre de notre histoire et de construire l’avenir. Construire l’avenir tout en misant et en investissant davantage dans la jeunesse – cette grande jeunesse majoritaire de notre population. Je crois que c’est cela l’essentiel.
CNC : En ce qui concerne les élections, le forum de Bangui en a décidé du prolongement de la date et donc de la transition. La présidente Catherine Samba Panza, dans son discours de clôture a officiellement annoncé les élections d’ici avant la fin de l’année. Trouvez-vous cela raisonnable ?
XSY : Je vous amène à l’essentiel. Je pense que premièrement, il faut qu’il y ait les moyens pour préparer ces élections. Deuxièmement, on n’a jamais organisé les élections dans ce pays pendant la saison de pluie. Enfin troisièmement, il fautque les conditions soient réunies en ce qui concerne en particulier les conditions matérielles. Parce qu’il ne faut pas qu’on soit en face d’une situation où on nous dira qu’il manque des cartes d’électeurs, des bulletins de votes, les lampes, des urnes, etc. pour ne pas que les gens commencent à fabriquer dans des petites imprimeries des équipements, en vue de favoriser les fraudes. Car, si les élections sont mal organisées, cela provoque inévitablement des frustrations qui sont souvent à l’origine des problèmes que nous connaissons.
Moi, en tant que général d’armée, me voulant un modèle, je n’ai pas préféré les armes pour conquérir le pouvoir, je vais affronter les élections par les urnes. J’irai devant le peuple centrafricain avec mon programme, mais je veux seulement que les élections soient transparentes, crédibles.
CNC : En terminant cette interview, la Rédaction voudrait votre position par rapport aux réclamations des Séléka et des Anti-balaka qui exigeaient la libération de leurs pairs détenus à la prison centrale de Ngaragba…
XSY : Je crois que la réclamation de ces gens est fondée. Si on veut qu’il y ait la paix, il faut pardonner. Je pense qu’il faut que ces détenus soient mis en liberté, car ce sont eux qui sont les responsables de ces combattants que le gouvernement et la communauté internationale veulent désarmer. Ainsi, une fois leurs hommes désarmés, les enquêtes qui sont ouvertes pourront nous amener à l’impunité zéro, c’est-à-dire que les gens visés vont être poursuivis, arrêtés et jugés. D’ailleurs moi-même, dans mon programme de société, j’ai insisté sur l’impunité zéro. De toute façon, beaucoup de gens iront en prison et beaucoup de gens vont également fuir le pays. C’est le moment où je dois dire ici que les gens qui sont venus d’ailleurs – ces mercenaires ne doivent pas partir comme s’ils n’ont rien fait ici ; ils doivent répondre de leurs actes, étant donné que partout ailleurs, notamment les résolutions des Nations unies, celles de l’Union africaine ont condamné le mercenariat. Les véhicules qui passaient et qui mitraillaient les innocents ne doivent pas rester impunis.
Entre temps, nous n’en sommes pas encore là, car notre armée, notre gendarmerie, notre police ne sont pas sur pied. Ces criminels doivent être arrêtés par nos forces intérieures, leurs procès doivent être sécurisés par nos forces, il faut des bonnes prisons où ils doivent purger leurs peines. Même si possible, on peut transférer ces grands criminels devant la Cour pénale internationale pour qu’ils soient emprisonner ailleurs, car à Ngaragba ils vont fuir.
CNC : Général Yangongo, merci.