"Le KM-5 est un des points les plus sécurisés de Bangui aujourd'hui", assure le ministre de la Sécurité publique, Nicaise Samedi Karnou, pour qui la zone était une priorité en raison de son importance
"Réconcilions-nous" affirme une banderole à l'entrée du principal marché de Bangui, le "Kilomètre 5" où se sont réfugiés la plupart des musulmans de la capitale centrafricaine lors des violences inter-religieuses qui ont embrasé le pays en décembre 2013.
"Avant, le Kilomètre 5 c'était Fort Alamo", se souvient un spécialiste de la sécurité.
Victimes des milices majoritairement chrétiennes anti-balaka qui ont assassiné des centaines d'entre eux, les musulmans de Bangui s'étaient retranchés dans ce quartier protégé par l'ex-rébellion Seleka qui avait pris le pouvoir en mars 2013 avant d'en être chassé en décembre 2013, coup d'envoi des affrontements religieux.
"Le KM-5 est un des points les plus sécurisés de Bangui aujourd'hui", assure le ministre de la Sécurité publique, Nicaise Samedi Karnou, pour qui la zone était une priorité en raison de son importance économique.
Le quartier avec son immense marché est le poumon de la capitale. L'activité reprend peu à peu avec la pacification progressive du pays. Les clients se pressent désormais pour acheter manioc, épices, viande, riz, farine, sacs, lessive, casseroles, vêtements...
Commissariats remis en service
Deux commissariats, abandonnés pendant les événements, ont été remis en service en "colocation" avec les forces onusiennes de la Minusca, qui sillonnent en permanence le quartier.
"Comment ça va?", lancent des commerçants aux Casques bleus africains, armes en mains, installés sur les véhicules. Ceux-ci répondent par des gestes amicaux.
"J'apprécie les patrouilles de la Minusca. Ça rassure", affirme Adim Al-Khalil, 65 ans, vendeur d'huile de palme.
Les forces françaises de l'opération Sangaris circulent aussi. Mais, l'accueil n'est pas chaleureux. "Sangaris, qu'est ce que vous faites? Vous êtes venus baiser des enfants?", lance un jeune, en allusion aux accusations de viols sur mineurs dont font l'objet certains soldats français.
Une partie de la communauté musulmane reproche surtout à la France son intervention. Beaucoup estiment qu'elle a facilité les attaques contre les musulmans. "On n'aime pas les Français. Si encore la France était venue amicalement vers les musulmans, mais...", juge Adim Al-Khalil qui se plaint aussi du manque d'activité: "Le business ça va pas. Juste, chaque jour on mange, pas plus".
La réconciliation entre chrétiens et musulmans semble pourtant en bonne voie. Eloge Bouteh, un vendeur chrétien de cotons-tiges, et Ali Uche, commerçant musulman de boucles d'oreilles, sont voisins et amis.
"Mon grand frère, mon cousin et ma grand-mère sont morts pendant les événements, mais chrétiens et musulmans on est ensemble déjà. Avant on ne s'entendait pas bien, maintenant on commence à s'entendre. Pendant les événements, on a tous fui pour rentrer chez nous mais ça s'est calmé. Le gens circulent librement", dit Eloge.
Son compère Ali Uche a lui aussi "perdu beaucoup de membres de sa famille: mon père, ma mère, des enfants, des petits frères..." Il affirme se sentir "Centrafricain" au même titre qu'Eloge mais souligne: "Nous ne pouvons pas aller dans leurs quartiers. Si les musulmans vont chez les chrétiens, les chrétiens les tuent. Nous, ils viennent au KM-5 mais on ne les tue pas".
chrétiens et musulmans, tous clients
"Les chrétiens et musulmans, tout ca c'est mes clients mais aujourd'hui le marché est mort" par rapport à avant, conclut-il.
Romaric Omagele, un chauffeur de 19 ans, mange à une "chouatterie" (mouton ou chèvre grillés). "Ici c'est bon, c'est méchoui, c'est musulman! Moi je suis chrétien et je mange chez mon frère. C'est la politique qui nous a détournés".
"Je reviens du travail je fais le marché et je rentre à la maison c'est mon pays!", raconte Nadège, une enseignante chrétienne: "j'ai perdu mes parents, c'est le destin (...). On veut maintenant reconstruire notre pays. Là où je trouve le moins cher, j'achète".
Pourtant, malgré l'optimisme ambiant, de gros problèmes subsistent. Si le jour la situation est normale, la nuit tombée les habitants ne sortent plus de chez eux, selon plusieurs témoins.
L’approvisionnement du marché, qui dépend surtout du Cameroun voisin, est encore dépendant des convois encadrés par les forces onusiennes deux fois par semaine. Les camions ne peuvent circuler dans le pays sans risque d'être attaqués.
De source proche des commerçants, d'ex-rebelles les rackettent désormais exigeant 1000 FCFA (1,5 euro) par commerçant par semaine. Récemment, un boucher a été tué, apparemment parce qu'il refusait de payer, explique l'imam Kobine Layama, président de la communauté islamique de Centrafrique.
"Avant, ils étaient les défenseurs et la population se réjouissait de leur présence, souligne-t-il, mais aujourd'hui ils prennent la population en otage".