La République centrafricaine (RCA) peut-elle tourner la page sur des décennies d’instabilité et de conflits ?
Plusieurs groupes rebelles et milices ont signé un nouvel accord de paix visant à mettre derrière eux les violences qui ont marqué les dernières années.
En mars 2013, la Séléka, une coalition de groupes d’insurgés à majorité musulmane originaires du nord du pays, a pris le pouvoir lors d’une campagne marquée par des exécutions arbitraires, des viols et des pillages.
L’arrivée des rebelles à Bangui a entraîné la réapparition des groupes d’autodéfense – ou anti-balaka – et donné lieu à plusieurs mois d’affrontements entre les communautés rivales.
En septembre 2013, Michel Djotodia, le chef de la Séléka, a déclaré la dissolution de l’alliance. Les combattants, désormais connus sous le nom d’ex-Séléka, se sont cependant dispersés dans la campagne et ont continué de commettre des violations massives des droits des civils.
M. Djotodia a quitté ses fonctions en janvier 2014 afin de permettre l’établissement d’une administration civile intérimaire. La mairesse de Bangui Catherine Samba-Panza, une personnalité neutre, a été choisie pour gouverner le pays jusqu’aux élections présidentielles et parlementaires de 2015.
Les violences ont fait des milliers de victimes et continuent de faire rage dans certaines régions du pays, empêchant le retour de quelque 900 000 civils déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ces violences sont à l’origine d’une catastrophe humanitaire dont la communauté internationale fait peu de cas.
Les États-Unis ont applaudi l’accord de désarmement conclu dans le cadre du Forum de Bangui, un forum de réconciliation qui a eu lieu du 4 au 12 mai, et l’ont décrit comme « un engagement en faveur de la paix ». Des accords semblables ont cependant échoué par le passé. Ce qui est certain, c’est que sa mise en oeuvre sera délicate. Le compte-rendu d’IRIN permet de comprendre pourquoi :
Qui sont les signataires de l’accord et quelle autorité ont-ils ?
Parmi les 10 groupes armés présents lors du forum, un seul, le Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), dirigé par Abdoulaye Miskine, n’a pas signé l’accord, mais il se peut qu’il ne s’agisse que d’un refus temporaire. On ne s’attend pas à ce que le FDPC sabote l’accord.
Les neuf autres signataires représentent les principaux groupes armés de la RCA, y compris les groupes principalement musulmans qui composaient la coalition de la Séléka. Fait à noter, le coordonnateur et leader autoproclamé des anti-balaka, Patrice-Edouard Ngaissona, fait partie des signataires.
La plupart des signataires sont des leaders des ailes politiques des groupes armés. Au moins un commandant rebelle a manifesté son manque d’enthousiasme face à l’accord.
« C’est une bonne chose que les politiciens ont accepté de signer, mais, sur le terrain, la réalité est bien différente », aurait dit Joseph Zoundeiko, chef militaire du Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique (RPRC), qui faisait partie de la coalition de la Séléka, après la cérémonie de signature.
Djono Ahaba, le chef politique du RPRC et le neveu de M. Djotodia, l’ancien leader de la Séléka, a cependant minimisé l’importance de la remarque de M. Zoundeiko.
« Quant à l’attitude de certains officiers, c’est un problème sur lequel le groupe se penchera. On peut donc dire que [le RPRC] s’engage fermement en faveur du processus de paix », a-t-il dit.
Il est important de signaler que M. Ahaba a rejoint le gouvernement de transition après la démission de son oncle. Il est donc plus proche du centre de l’échiquier politique centrafricain que d’autres leaders de l’ex-Séléka.
Les combattants étrangers sont plus nombreux dans les rangs des deux autres principales factions de l’ex-Séléka : le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) du général Nouredine Adam et l’Union pour la paix en Centrafrique (UPC) du général Ali Darassa.
Il se pourrait qu’il soit plus difficile de fédérer les membres de ces groupes autour de cet accord, même s’ils l’ont signé. Selon certaines informations, Abel Balenguele, le représentant du FPRC, en serait venu aux mains avec M. Ngaissona, le coordonnateur des anti-balaka, quelques jours avant la cérémonie de signature. Quant à M. Darassa, il a toujours fait preuve de méfiance lors des pourparlers de paix menés par le passé avec d’autres factions.
Ce qui est encourageant, c’est que M. Ngaissona, le représentant des anti-balaka – l’une des forces les plus destructrices du pays au cours de la dernière année –, est considéré comme le seul coordonnateur efficace des opérations des divers groupes.
M. Ngaissona a entretenu des liens étroits avec la communauté internationale au cours des derniers mois. Selon une source diplomatique, une poignée de personnalités importantes des anti-balaka refusent de reconnaître son leadership et une seule d’entre elles mobilise un nombre significatif de sympathisants.
Les partisans des quatre autres groupes signataires sont moins nombreux et plus localisés géographiquement. Ces groupes ne constituent donc pas une réelle menace pour le processus de paix.
Que contient l’accord ?
Tous les membres des groupes armés doivent mettre un terme au conflit et se rassembler dans les lieux désignés « dans un délai raisonnable » et avant les élections qui sont censées se tenir en juillet 2015, mais qui seront sans doute reportées.
Les personnes armées seront prises en charge par le gouvernement ou ses partenaires dans le cadre du processus de Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement (DDRR).
Les personnes non armées seront renvoyées dans leurs communautés respectives et pourront bénéficier des programmes de développement gérés par la MINUSCA, la mission de maintien de la paix des Nations Unies, et par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Des initiatives spéciales seront mises en place pour les enfants.
Les anciens combattants qui souhaitent rejoindre l’armée ou d’autres branches des forces de sécurité pourront le faire à condition de se soumettre à certains tests d’éligibilité.
Les autres pourront participer au programme de réintégration communautaire. Ils recevront un « minimum de soutien » et pourront bénéficier des programmes de développement communautaire. Les combattants étrangers qui n’ont commis aucun crime seront rapatriés.
Contrairement à d’autres accords semblables, l’accord ne fait mention d’aucune amnistie, libération de prisonniers ou reconnaissance de rang au sein des groupes rebelles et des milices.
Points à clarifier
Le type d’arme qu’un combattant doit présenter pour être éligible n’est pas défini dans l’accord. Un diplomate a dit à IRIN qu’il faudrait que ce soit une arme à feu, car « tout le monde a une machette », mais qu’il s’attendait à ce que certains groupes armés ne soient pas d’accord sur ce point. Les armes éligibles incluront probablement les fusils de chasse traditionnels utilisés par la majeure partie des anti-balaka.
On ignore encore si l’armée pourra recruter des ex-combattants. Cela dépendra en effet d’une nouvelle loi qui n’a pas encore été rédigée.
Partage des pouvoirs ?
Sebastien Wenezoui, l’un des leaders des anti-balaka, a dit à IRIN que son groupe était déçu que les participants au forum ne se soient pas entendus sur un remaniement gouvernemental. Des pourparlers menés en RCA par le passé ont donné lieu à des gouvernements fondés sur un partage de pouvoir.
Outre le processus de DDRR, le Forum de Bangui a permis l’adoption du Pacte républicain pour la paix, la réconciliation nationale et la reconstruction. Le document, qui a une plus grande portée, appelle à une révision de la constitution et à la création d’une Cour pénale spéciale pour enquêter sur les atrocités commises par la Séléka et par les anti-balaka.
On ignore encore comment il sera appliqué, d’autant plus qu’il ne semble faire aucune concession majeure aux ambitions des leaders des divers groupes armés.
À l’approche du forum, l’International Crisis Group (ICG) avait conseillé aux participants de ne pas suivre l’exemple des dialogues nationaux menés en 2003 et 2008. Les deux dialogues avaient donné lieu à des accords de partage de pouvoir préélectoraux qui s’étaient rapidement soldés par un échec.
Les ex-combattants souhaitent-ils réellement se désarmer ?
Les affrontements entre les groupes armés ont diminué au cours des derniers mois et les niveaux de violence ont chuté, ce qui rend plus facile le retour à la vie civile des combattants qui le souhaitent.
De nombreux combattants interviewés par IRIN entre octobre et janvier se sont plaints du manque de rations ou du faible soutien de leurs leaders. Ils ont dit qu’ils souhaitaient rejoindre l’armée ou se prévaloir des avantages offerts par les programmes de démobilisation.
Les ex-combattants qui n’ont pas fait les démarches pour bénéficier des programmes de démobilisation et qui travaillent aujourd’hui comme ouvriers agricoles ont dit qu’ils gagnaient plus d’argent que lorsqu’ils surveillaient des barrages routiers.
Une part importante des combattants de l’ex-Séléka sont originaires du Tchad et du Soudan. Il est possible qu’ils soient moins motivés à s’engager dans le processus de démobilisation.
Il se peut que M. Zoundeiko, du RPRC, se soit montré plus véhément que d’autres commandants rebelles parce que son groupe est largement composé de combattants originaires de l’extrême nord-est du pays qui tentent d’occuper une région alors qu’ils n’appartiennent pas à l’ethnie majoritaire. Cet accord pourrait rendre son groupe vulnérable aux autres seigneurs de guerre.
Nombre de soldats de maintien de la paix et de combattants
Selon l’ICG, la présence des 10 000 Casques bleus de la MINUSCA et d’un contingent français surveillant l’aéroport demeure essentielle au maintien de la paix en RCA et à la mise en oeuvre du processus de désarmement. La MINUSCA devrait bientôt recevoir des drones et des hélicoptères de combat, ce qui témoigne des besoins sécuritaires persistants.
Les experts des Nations Unies ont estimé à environ 3 500 le nombre de vrais combattants issus des rangs de l’ex-Séléka et des anti-balaka présents dans la région. Un diplomate a quant à lui évalué à 7 000 ou 8 000 le nombre total de candidats potentiels sérieux pour le processus de démobilisation.
L’absence presque totale des forces sécuritaires gouvernementales soulève des préoccupations importantes en ce qui concerne le contrôle des régions les plus isolées du pays.
Les soldats de maintien de la paix internationaux ont obtenu quelques succès notables au cours des derniers mois, ce qui pourrait contribuer au processus de démobilisation. Ces succès incluent notamment la capture de Rodrigue Ngaibona, alias « Andilo », l’un des commandants les plus puissants et les plus craints des anti-balaka et un rival de M. Ngaissona.
Des emplois pour faciliter la réintégration
La réussite du processus exige un financement rapide.
Selon une source diplomatique, les fonds destinés à l’intégration des anciens combattants dans l’armée sont déjà disponibles, mais il reste à trouver l’argent nécessaire pour le reste du processus de DDRR, y compris pour la réintégration communautaire.
Le nombre de bénéficiaires potentiels est cependant supérieur à 7 000 ou 8 000 personnes, puisque l’objectif est de fournir une aide financière à l’ensemble des communautés accueillant des ex-combattants plutôt que de simplement « récompenser » les combattants individuels avec des offres généreuses.
Le PNUD propose une initiative d’une valeur de 5 millions de dollars visant à permettre à 10 000 jeunes à risque de Bangui d’acquérir les compétences nécessaires pour devenir des électriciens, des plombiers et des ouvriers en bâtiment. Selon un entrepreneur travaillant sur un programme de formation pilote du PNUD, toutefois, cette somme n’est pas suffisante pour permettre aux bénéficiaires d’acquérir de réelles compétences et sous-estime les difficultés de mise en oeuvre dans les communautés divisées par le conflit. Le programme est par ailleurs limité à Bangui en dépit du besoin évident de programmes favorisant l’emploi des jeunes à l’extérieur de la capitale.
La MINUSCA et le PNUD se partageront la responsabilité de la réintégration communautaire et des programmes de développement prévus dans l’accord de DDRR. Il est essentiel que la mise en oeuvre soit un succès si l’on souhaite éviter les échecs passés.
Les représentants du bureau de coordination des ONG internationales en RCA ont dit que le PNUD ne leur avait pas encore demandé leur soutien. Un porte-parole du bureau a indiqué que celui-ci était contre le fait d’offrir une aide aux ex-combattants seulement. Au moment de la publication de cet article, le PNUD n’avait pas encore répondu à la demande de clarification d’IRIN.
En novembre dernier, le chef de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en RCA, Jean Alexandre Scaglia, a dit que les organisations d’aide humanitaire et les ONG devaient parvenir à un consensus pour déterminer dans quelle mesure l’aide devait cibler les anciens combattants. Il semble qu’un consensus n’ait toujours pas été atteint sur ce point.
Selon l’ICG et M. Scaglia, la pauvreté et le quasi-effondrement des économies urbaine et rurale de la RCA font partie des causes fondamentales des crises récurrentes qui affectent le pays.
« Les représentants de la MINUSCA nous disent chaque semaine que leurs efforts risquent d’être vains si l’économie du pays n’est pas relancée », a dit M. Scaglia à IRIN.