La fin de la guerre en Centrafrique ne signifie la résolution de tous les problèmes. Des familles demandent encore la justice pour leurs proches tués.
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«Je veux la Justice», affirme Antoine Pounengakola, retraité chrétien. Sa fille de 26 ans, enceinte de trois mois, et sa petite-fille de 2 ans ont été tuées à Bangui le 16 avril 2013 par l'ex-rébellion à dominante musulmane Séléka, alors au pouvoir en Centrafrique.
Abdul Wahid, transporteur musulman, a perdu huit membres de sa famille, tués par les milices chrétiennes anti-balaka. Il a porté plainte au tribunal de Bangui. «Force doit rester à la loi. Ceux qui ont commis des crimes et des vols doivent être arrêtés. Combien y a-t-il eu d'amnisties dans ce pays? Ce n'est pas une question de religion. On ne construira pas ce pays sans justice», dit-il.
Mais le chemin de la justice est difficile dans un pays loin d'être pacifié, où les groupes armés subsistent et leurs chefs sont omniprésents. «Il y a un paradoxe. D'un côté, on veut poursuivre les auteurs des crimes. De l'autre, on est bien obligé de négocier politiquement avec de nombreux chefs de groupes armés des deux camps qui font partie de ceux qui seront poursuivis», souligne une source occidentale sous couvert de l'anonymat.
La Séléka a renversé le président François Bozizé en mars 2013 puis a été chassée du pouvoir en janvier 2014 après de nombreuses exactions, donnant le coup d'envoi à des affrontements religieux qui ont fait des milliers de victimes.
Pas d'impunité
«Réconciliation ne veut pas dire impunité. Ce n'est pas parce qu'il y a réconciliation que ceux qui sont poursuivis pourront échapper à la sanction», souligne le ministre de la Justice, Aristide Sokambi. «Il faut une position forte et cette position est partagée par la communauté internationale, par le gouvernement mais surtout par la population».
Le Forum de Réconciliation nationale a rassemblé des représentants de tout le pays début mai. Il a écarté toute amnistie. Fin avril, le Conseil national de Transition a annoncé la création d'une Cour pénale spéciale (CPS) qui sera composée de 27 magistrats (14 Centrafricains et 13 internationaux), ce qui lui donnera à la fois une «expertise et une légitimité», selon le ministre.
La Cour pénale internationale (CPI) s'est déjà saisie du dossier centrafricain avec notamment la présence d'une procureure à Bangui. «Nous fournissons des informations à la CPI. Il y a un certain nombre de gens pour lesquels la CPI nous contacte», précise M. Sokambi, sans dévoiler de noms.
Jonathan Pedneault, d'Amnesty International, se félicite de cette lutte contre l'impunité. «C'est un pas dans la bonne direction. Le dernier grand procès en Centrafrique date de Bokassa! Si la perception, c'est 'tu peux obtenir quelque chose par les armes', 'la violence paie', ce n'est pas bon».
Chaîne pénale «en marche»
La poursuite des auteurs est d'autant plus complexe que police et gendarmerie, aux effectifs très réduits, sont en pleine refonte. De plus, l'administration ne s'est pas encore redéployée sur l'ensemble du territoire. «La crise a secoué les institutions mais particulièrement la structure judiciaire», souligne le ministre. Palais de justice, tribunaux, prisons ont été saccagés pendant les violences.
«On a réussi à remettre la chaîne pénale en marche. Il y a des arrestations, des jugements», affirme M. Sokambi. Le ministre veut réhabiliter prisons et palais de justice «le plus rapidement possible», tout en dépendant de l'aide internationale.
«La seule prison du pays (en activité) est pleine à craquer. Des gens qui ont commis des crimes côtoient ceux qui ont commis des délits. De nombreuses personnes attendent d'être jugées», s'inquiète toutefois un observateur.
M. Pedneault estime lui qu'il faut «que la population ait confiance dans la justice. Ce n'était pas le cas avant, et si ce n'est pas le cas demain, les gens voudront se faire justice eux-mêmes» avec des groupes d'autodéfense et des lynchages.
(ats)