Alors qu’au Congo-Brazzaville, les consultations se poursuivent avec Denis Sassou Nguesso, le président Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo, appelle lui aussi au dialogue avec la classe politique. Cet échange de procédés entre les deux frères siamois de la mal gouvernance politique ressemble fort à un stratagème pour permettre aux deux chefs d’Etats de s’accrocher ad vitam aeternam à leur fauteuil présidentiel.
Au Congo Brazzaville, trois articles de la Constitution en vigueur depuis 2002, interdisent à Denis Sassou Nguesso de briguer un nouveau mandat. En effet, l’article 57 limite la durée du mandat présidentiel à 7 ans, renouvelable une fois, tandis que l’article 58 fixe à 70 ans la limite d’âge pour les candidats à la présidentielle. Or, le président Nguesso en aura 73 en 2016. Mieux, l’article 158 interdit toute modification constitutionnelle touchant la limitation d’âge et le nombre des mandats. Malgré cette armature constitutionnelle, les hérauts de la majorité présidentielle n’ont jamais fait mystère de leur intention de tripatouiller la loi fondamentale, estimant qu’elle n’est plus en adéquation avec les aspirations du peuple congolais. En République démocratique du Congo voisine, Kabila fils, au pouvoir depuis 2001 après plusieurs mandats (2006 et 2011), se trouve aussi dans la même situation. Alors que son mandat s’achève en 2016, l’article 220 de la Constitution lui interdit de modifier la durée (quinquennat) et le nombre (2) des mandats présidentiels.
La comparaison entre les deux voisins ne se limite pas aux velléités de modification constitutionnelle
Après avoir fait planer le doute sur ses intentions depuis plusieurs mois, il avait fait déposer par son gouvernement un projet de révision constitutionnelle dont la nature des modifications n’avait pas été précisée, refusant de céder aux demandes de l’opposition l’enjoignant de s’engager publiquement à quitter le pouvoir à l’issue de son mandat.
Mais la comparaison entre les deux voisins ne se limite pas aux velléités de modification constitutionnelle à peine contenues, de ces deux satrapes parvenus au pouvoir après avoir traversé des hécatombes et s’être mus par la suite en démocrates pour s’éterniser au pouvoir. Elle s’étend aussi à leurs oppositions. En effet, celles-ci, jusque-là morcelées, sont unanimes aujourd’hui pour dénoncer ces manœuvres qui ne sont que des entourloupettes destinées à gagner du temps à une seule et unique fin : demeurer au pouvoir.
Au Congo Brazzaville, les consultations entreprises avec les forces vives sur la vie de la Nation et l’Etat, sont boudées par l’opposition qui y voit une ruse de guerre. De l’autre côté du fleuve, les partis politiques (UDPS, UNC, ENVOL, CDR, Congo na biso et FAC) ont annoncé à la face du monde qu’ils refusaient de prendre part à un dialogue aux contours flous et aux conclusions douteuses et incertaines. Même si, de part et d’autre, il y a eu des inquiétudes dans les rangs des forces de l’opposition à travers l’attitude sévèrement sanctionnée de ce sénateur de l’opposition, parti seul au dialogue avec Nguesso, et les suspicions autour de Etienne Tshisekedi qui avait multiplié les prises de position exigeant un dialogue, et qui, au dernier moment, s’est rétracté. L’union d’action semble donc de mise.
Ce réveil des oppositions congolaises, en sus du fait qu’il peut être salutaire pour les deux peuples congolais, est à saluer à sa juste valeur.
Car, au-delà du fait que l’on peut légitimement douter de la valeur de ces pourparlers sans les principaux acteurs, il faut dénoncer cette tendance à abandonner les Constitutions et les suppléer par d’interminables foras qui n’ont aucun ancrage institutionnel.
Le silence coupable de l’Union africaine et des institutions sous-régionales, achève de convaincre de leur faillite morale
Ce sursaut patriotique de la classe politique des deux Congo doit être reçu comme un énième signe des temps par ces dictateurs qui, sur le continent, tentent encore de résister aux bourrasques du changement. Il s’est enclenché une irréversible marche de l’histoire qui puise aux sources de l’aspiration universelle du genre humain à plus de liberté et de progrès et qui n’épargnera aucun fossoyeur des libertés démocratiques. Contrairement à une certaine mentalité africaine qui pense qu’on ne doit parler ni du départ du chef ni de son héritage de son vivant, cette dynamique qui a déjà emporté des dirigeants aux relents monarchiques comme au Sénégal avec Abdoulaye Wade ou au Burkina Faso avec Blaise Compaoré, peut aussi s’alimenter d’une valeur intrinsèque africaine : la croyance au sacré : la Constitution qui est l’âme de la nation en ce qu’elle en est l’acte fondateur, doit en être l’autel le plus sacré. Nul ne saurait se soustraire à son autorité.
Il reste à espérer que la prise de conscience des opposants congolais n’ouvre une saison d’incertitudes dans une région où l’histoire, du fait de l’incurie des hommes politiques, soutenue parfois par les intérêts des puissances occidentales, semble piétiner dans un cycle maudit de violences et d’instabilités politiques. Et c’est précisément pour cette raison que le silence coupable de l’Union africaine et des institutions sous-régionales est inadmissible, et achève de convaincre les plus sceptiques de leur faillite morale. Elles ne sont en fait que des syndicats pour la défense des intérêts des chefs d’Etat. Tout aussi incompréhensible est le mutisme de la société civile qui, pourtant, vient de bénéficier de la sortie du Président français François Hollande, l’appelant à prendre ses responsabilités-un appel qui doit constituer un levain pour cette lutte des deux peuples frères congolais et un argument de poids pour envisager une réforme de l’UA qui déboucherait sur une présidence dévolue à la société civile.
« Le Pays »