Lettre ouverte à Madame Catherine Samba-Panza
Chef de l’Etat de la transition en République Centrafricaine
Madame,
Je m’étais promis, à votre avènement, de ne point m’adresser à vous sous la forme d’une lettre ouverte. Les missives que j’ai adressées naguère sous cette forme à chacun de vos prédécesseurs, François Bozizé et Michel Djotodia, leur ont porté tort ; l’un et l’autre n’ayant pas suivi mes conseils. Je redoutais de vous jeter un mauvais sort.
Certains ont interprété ma retenue comme un geste de goujaterie voire de misogynie avérée. C’était mal me connaître. En effet, ayant par ma naissance connu l’auréole de l’enfant choyé, puiné d’une fratrie de sept enfants dont 6 premières filles, j’ai le respect de la femme chevillé au corps et la loi du genre comme philosophie.
Dès votre désignation, élue par les membres d’un Conseil national de transition quasi monocolore, car issu de l’ex-coalition Séléka, j’ai exprimé mes réserves, vous estimant plus à votre place comme Maire de la ville de Bangui, à un moment où la capitale centrafricaine grouillait de personnes déplacées ou réfugiés. Je me suis contenté d’indiquer les deux ou trois mesures à prendre pour assurer votre réussite et le succès de la transition politique dans notre pays.
Hélas, par amateurisme, impréparation, pusillanimité ou calcul politicien, vous avez négligé ces conseils.
Depuis lors, vous payez les conséquences de ces négligences en vous mettant à dos tous ceux qui pariaient sur votre bonne fortune. Moi, de mon côté, je misais sur votre bonne foi. Je mettais au débit des hommes politiques centrafricains en général, dont la médiocrité légendaire est désormais avérée, les difficultés que vous rencontriez à rassembler les uns et les autres au chevet d’une Nation moribonde et d’un peuple conduit à l’agonie, oublieux de l’idéal commun légué à tous par Barthélémy Boganda, « Zo kwè zo », tout homme est un homme !
J’avais tort et je confesse aujourd’hui ma naïveté.
Deux affaires d’importance inégale certes, mais toutes deux récentes, m’ont décillé les yeux, en confortant le diagnostic sévère posé par le rapport de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group sur les circuits de prédation en République Centrafricaine (17 juin 2014).
1 – Le milliard évaporé de l’ « Angolagate » !
La première affaire est désormais connue. Elle sent l’improbable bêtise humaine liée à l’odeur de l’argent et à l’appât du gain facile. Il s’agit de l’avance financière de 10 millions de dollars américains accordée par le gouvernement angolais pour aider notre pays à solder les traitements et salaires de ses fonctionnaires et retraités. Cet argent, versé en deux fois, sous forme de mallettes de billets de banque, aurait dû abonder directement les comptes financiers du trésor public centrafricain, selon le vieux principe de l’unicité budgétaire des comptes de l’Etat.
Il apparaît cependant que ces sommes ont d’abord atterri en vos bureaux avant de transiter, suivant des méandres improbables, sur les comptes de l’Etat. Ni le ministre des finances, ni son collègue chargée de l’économie nationale, du plan et des relations internationales, n’ont eu à les gérer. Parmi ces dédales fantaisistes, une partie du magot – 1,31milliards de francs CFA – n’est jamais parvenue à bon port ; sa gestion ayant été laissée à la discrétion de votre secrétaire particulière et non moins fille bien aimée. A entendre les explications de votre directeur de cabinet, M. Joseph Mabingui, que je connus jeune basketteur talentueux sous le pseudonyme de « Didi Maboss », mais dont je perdis la trace une fois qu’il soit devenu secrétaire général du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), le parti de feu le président André Kolingba, la totalité de cette petite somme aurait été distraite en diverses subventions et actions politiques, sans pour autant servir à un quelconque enrichissement personnel.
Je veux bien donner quitus à Joseph Mabingui, au bon souvenir de notre amitié de jeunesse, sous réserve de la publication de la liste de toutes les personnes physiques ou morales bénéficiaires de ces libéralités ainsi que de la nature des dépenses correspondantes.
Je propose donc que le premier-ministre en personne fasse état de la ventilation effective de ces 10 millions de dollars devant le Conseil national de transition, à l’initiative du gouvernement. Il viendrait ainsi témoigner de la bonne foi de l’exécutif dans cette ridicule pantalonnade.
Or, en vous précipitant devant le CNT ce mardi 7 octobre 2014, au prétexte de la restitution des Accords du Forum de Brazzaville signés le 23 juillet dernier, vous avez usé d’un subterfuge pour concéder au passage que le milliard ainsi distrait a servi à la dotation de fonds spéciaux « qui a permis le fonctionnement a minima de l’Etat et l’apaisement de certaines forces vives et groupes armés ». Il a donc servi à acheter des consciences !
Cela est indigne de vous et indigne de la République. Car en allant personnellement devant le CNT, vous saviez que votre intervention ne donnerait lieu à aucun débat. Vous avez donc volontairement bâillonné les conseillers nationaux, et faites obstruction au pouvoir de contrôle et d’investigations du Conseil national de transition.
2 – Le protocole des 600.000 familles arabes, peulhs et haoussas centrafricaines.
La seconde affaire m’apparaît plus grave, car d’essence criminelle. Elle sent l’usurpation de pouvoir, le détournement des procédures règlementaires, la violation des règles du droit comptable, l’escroquerie et l’abus de biens sociaux. A l’évidence, elle devrait relever d’une enquête préliminaire du procureur de la République du tribunal de grande instance de Bangui.
Cette affaire intéresse les démarches effectuées par votre ministre, conseiller chargé du monde arabe et de l’organisation de la coopération islamique (OCI), le bien nommé Mahamat Gamar Ahmat.
Ce dernier a adressé à l’émir du Koweït, son Altesse Royale le cheikh Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, une sollicitation de dons et subsides à hauteur de 35 millions d’euros (35.000.000 €) destinés à secourir les « 600.000 familles arabes, Peulhs et Haoussas centrafricaines déplacées ». Mieux, le compte ouvert à l’agence BSIC-Centrafrique du PK.10 pourrait également recevoir « un geste supplémentaire pour un don permettant aux fidèles d’accomplir le rituel du mouton pour la Tabaski », fête que vous avez rehaussée de votre présence.
L’affaire est d’importance lorsqu’on considère le détail des acquisitions et financements auxquels seraient consacrées ces aides possibles : outre la rénovation des mosquées détruites (50), la prise en charge de 300 pèlerins pour la Mecque et la prise en charge effective des déplacés, on trouve pêle-mêle, l’achat de 25 groupes électrogènes, l’acquisition de 100 véhicules Toyota 4×4 et 50 « motos roulettes » de type Yamaha 125 cross, etc., sans compter les frais de commissions des intervenants, soit 1.875.000 €, ainsi que les frais généraux et formalités administratives qui se monteraient à hauteur de 5% du total.
Dans la forme, cette démarche s’apparente à la prostitution de la République Centrafricaine : les « masses de granit »* qui vous entourent, pierre de roches sans cœur ni conscience, se conduisent comme des « putains de la République ».** Votre conseiller feint d’ignorer la nature laïque de l’Etat centrafricain.
Sur le fonds, on voudrait créer une phalange qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Il s’agit à l’évidence d’une démarche totalement contraire au serment que vous avez prêté.
Ma question est simple : cette démarche est-elle une initiative personnelle de votre conseiller ou ce dernier agissait-il sur ordre dans le cadre d’une mission officielle ?
Dans le premier cas d’espèce, il vous faudra vous séparer immédiatement de M. Mahamat Gamar Ahmat, en le déchargeant de ses fonctions de ministre conseiller pour le monde arabe. Dans la seconde hypothèse, il s’agira d’un parjure et d’une trahison vis-à-vis de la Patrie, en votre qualité de chef suprême des armées (art.27 de la Charte constitutionnelle) ; il vous faut donc remettre votre mandat à la disposition du Conseil national de transition. C’est vous honorer que de demander votre démission, sachant que « toute question de confiance, toute motion de défiance ou de censure est irrecevable pendant toute la durée de la transition en cours ».
En effet, venant s’ajouter à votre décision récente – si cela est vrai – de confier votre protection rapprochée à une armée étrangère, en l’occurrence l’armée nationale tchadienne, sans que le CNT ne soit consulté en aucune manière, voilà une manière de gouverner qui préfigure l’instauration d’une dictature qui n’ose pas encore dire son nom.
A cet égard, accordez moi, Madame, le bénéfice de ne plus vous faire confiance. Dans le cas d’espèce, vous êtes une Séléka honteuse qui aura réussi à cacher jusqu’alors cette appartenance diabolique au peuple centrafricain.
On comprend dès lors les sentiments d’impunité d’un Michel Djotodia, si sûr de son destin futur, votre gouvernement n’ayant pas pris les actes nécessaires pour lancer un mandat d’arrêt international à son encontre, malgré l’énormité des crimes et délits qui ont ponctué sa gouvernance.
Je voudrais vous rappeler votre serment pour justifier mon terrible jugement :
« Moi, Catherine Samba-Panza, je jure devant Dieu et devant la Nation
d’observer scrupuleusement la Charte constitutionnelle de la transition, de garantir
l’indépendance et la pérennité de la République, de sauvegarder l’intégrité du territoire,
de préserver la paix, de consolider l’unité nationale, d’assurer le bien-être du peuple
centrafricain, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge sans aucune considération d’ordre ethnique, régional, religieux ou confessionnel, de ne jamais exercer les pouvoirs
qui me sont dévolus par la Charte constitutionnelle de transition
et les lois de la République à des fins personnelles, et de n’être guidée en tout
que par l’intérêt national et la dignité du peuple centrafricain ».
Ces deux dernières indications portent, à elles seules, l’échec de votre action à la tête de l’Etat centrafricain. Pour votre ministre conseiller Mahamat Gamar Ahmat, l’intérêt national se résume semble t’il à celui des 600.000 familles arabes, peulhs ou haoussas centrafricaines.
Quant à la dignité du peuple centrafricain, elle est subordonnée à l’obligeante générosité d’un Prince koweitien.
Autant le reconnaître, comme la reine Marie-Antoinette, vous avez pris le parti de l’étranger !
L’Onu, à travers la Minusca, s’honorerait de ne plus coopérer avec votre gouvernement jusqu’à la mise en place d’un chef de l’Etat authentiquement centrafricain et éminemment patriote. Ce dernier devra être élu par le collège de grands électeurs, chefs de terre, chefs de villages et chefs de quartiers, plus représentatifs de la diversité nationale centrafricaine que les 135 membres actuels du Conseil national de transition.