A cause des tueries passées, ils craignent de se mélanger: à Zongo et Mole, dans le nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC), une méfiance tenace subsiste entre chrétiens et musulmans centrafricains ayant fui la guerre qui déchire leur pays.
Alors que la nuit tombe sur Zongo, localité agricole nichée dans la courbe de l'Oubangui, des musulmans passent en djellaba devant la mosquée, où va être rompu le jeûne du ramadan.
"J'ai peur d'eux avec tout ce que j'ai vu, les musulmans qui assassinaient les chrétiens", dit Solange, réfugiée centrafricaine chrétienne de 28 ans qui a traversé en décembre 2013 l'Oubangui, fleuve frontière séparant Bangui, la capitale centrafricaine, de Zongo. "Peut-être que Dieu peut intervenir, parce que le problème des musulmans et des chrétiens, c'est très délicat..."
Les musulmans sont minoritaires à Zongo, localité de 137.000 habitants où les réfugiés centrafricains vivent pour beaucoup dans des familles d'accueil.
Dans l'enceinte de la mosquée, assis sur un banc, keffieh blanc et rouge sur la tête, Abdulahi prie. Le jeune homme a perdu plusieurs proches dans les violences, alors il "demande seulement à Dieu de rétablir la paix". "Nous, on n'a pas de problème avec" les chrétiens, "mais on ne connaît pas leurs intentions par rapport aux musulmans."
Lui aussi a fui en décembre 2013. Il dit pardonner à ceux qui ont tué et pillé mais exclut toute installation dans le camp de Mole, à 35 kilomètres au sud de Zongo, où vivent essentiellement des chrétiens.
Après une attaque-éclair dans le nord de la Centrafrique fin 2012, les rebelles de la Séléka avaient pris Bangui en mars 2013, chassé le président François Bozizé au pouvoir depuis 2003 et installé à sa place Michel Djotodia.
- 'Pas de rancune' -
Les exactions de cette rébellion à dominante musulmane ont poussé à la création des milices anti-balaka, majoritairement chrétiennes, et le pays a basculé dans des violences interreligieuses ayant fait des milliers de morts et provoqué un afflux de réfugiés vers les pays voisins.
Selon l'ONU, plus de 17% des 97.000 réfugiés centrafricains recensés en RDC (principalement dans l'Équateur) vivent dans la région de Zongo et Mole.
Parmi eux, quelque 1.500 musulmans restent pour l'essentiel à Zongo, où ils se sentent plus en sécurité et vont à la mosquée. Certains vont même régulièrement à Bangui pour leurs affaires.
Le camp de Mole, qui rassemble le gros des réfugiés centrafricains de la zone, compte "moins de 100 musulmans" mais après une "sensibilisation sur la cohabitation pacifique", ses habitants "sont prêts à accueillir leurs frères qui sont à Zongo", assure José Nzama, administrateur du camp pour la Commission nationale pour les réfugiés (CNR).
L'ONU prévoit tout de même de commencer en juillet un programme de réconciliation de six mois, axé sur des activités artistiques et sportives.
Jeanne, chrétienne de 27 ans, vit à Zongo mais rêve de rejoindre Mole. Elle rejette toute idée de mixité religieuse: "Je veux vivre là-bas avec les chrétiens. Vivre avec les musulmans, ce n'est pas bon. Les musulmans ont tué mon mari à Bangui".
Quant à Rosalie, chrétienne de 28 ans, elle raconte avoir vu "trois personnes tuées" à Bangui et faire encore des cauchemars. Il lui serait donc "très difficile" de voir les 1.500 musulmans de Zongo arriver au camp, parce que "les musulmans sont d'accord avec les Séléka".
On croise quelques hommes en djellaba et femmes voilées à Mole.
Certains saluent une bonne cohabitation, comme Ousmane, chrétien converti à l'islam de 20 ans, heureux que la police assure la "sécurité". Qui se fait toutefois appeler "Michel" pour éviter toute hostilité...
D'autres se disent "menacés", comme l'imam Abdoul Karim Tchindja, élu chef d'un bloc de maisons par des chrétiens et des musulmans, régulièrement visé parce qu'il s'entête à prier dehors.
La sensibilisation au vivre-ensemble semble mieux fonctionner au camp de Boyabu, à une centaine de kilomètres au sud de Zongo, qui compte 18.500 réfugiés dont 83 musulmans adultes. Après des débuts difficiles, "il n'y a pas de rancune", estime le chef des musulmans, Souleymane Masengo.
La majorité de ses coreligionnaires de la zone vit toutefois à Libenge, essentiellement pour des raisons pratiques (commerce, santé, scolarisation).