Décryptage du message de monsieur Yangou Ningata, responsable de la chorale centrafricaine en région parisienne, lors de la messe pour la paix en Centrafrique et dans le monde, le dimanche 21 juin 2015. Son message s’adresse particulièrement aux centrafricains, ses compatriotes.
Le centrafricain ne connaît toujours pas la couleur de son ciel quand il se réveille le matin de la torpeur de la veille ou plutôt de la souffrance de la veille. Quel chemin prendre pour éviter les cailloux, les embûches, les épines dans lesquels il ne peut se mouvoir ? « Pourquoi un chef de famille à la nuit tombée doit s’angoisser pour savoir comment il pourra nourrir sa famille le lendemain ? Pourquoi doit-il s’inquiéter de sa survie et de celle de sa famille ? » Tant de questions sans réponse inondent la pensée de cet homme, attaché viscéralement à sa patrie en déliquescence.
Où ira-t-il ce matin fouiner, trouver à manger à ses progénitures sans lendemain qui meurent de faim au risque de tomber dans les arcanes des groupes armés ? Au moindre mouvement, ces épines le piquent de toute part. Se taire ? Se terrer ou se cacher ? Non, « il doit être libre de se déplacer et de rêver» s’insurge, Yangou Ningata, en ce dimanche 21 juin 2015, premier jour d’été où il joue sa mélodie mélancolique tel un chariot de feu devant les fidèles à la messe désormais traditionnelle pour la paix en Centrafrique et dans le monde. Il hurle de stupeur, tout en diluant son ire dans un message contenu, maîtrisé, serein devant la misère qui dévaste le centrafricain. « Je n’aurai jamais imaginé l’évolution de la situation telle qu’on l’a connue ces dernières années : Seleka, Anti-balles AK, désordre en tout genre … l’apogée de la bêtise humaine. […] La situation actuelle exige l’implication de tous les centrafricains. Le miracle ne pourra jamais venir que des bonnes paroles de nos religieux ni de la seule implication de la communauté internationale. Le miracle viendra des centrafricains eux-mêmes », a-t-il encore asséné d’une voix spartiate et alerte.
« Nous détenons la solution à cette crise mais l’abcès n’a pas encore été crevé », a-t-il renchéri en cultivant ainsi une espérance. Ce qui fait penser, sans doute, aux élections prochaines qui sortiraient son pays des ornières, et poseraient les bases d’une autorité de l’Etat et d’une sécurité durables sur tout le territoire. Toutefois, il admet, à l’instar des autres compatriotes que « les élections vont bientôt avoir lieu ». Il faut réfléchir profondément. Il faut discerner les candidats en ce moment-là « avant d’accorder notre confiance à qui que ce soit pour éviter de tomber dans l’irréparable » ; en d’autre termes, redevenir « victime du clanisme, du clientélisme, ni de la médiocrité et de l’amateurisme ». Ce serait une inhumation de la République Centrafricaine et de son peuple. Ce serait la victoire de la misère sur l’espérance, sur l’avenir ; de la barbarie sur la vie tout court. Ce serait enfin le passage des ennemis de la paix et de l’unité à la volonté de la scission républicaine. Alors s’offusque t-il, « ce n’est pas parce que le monde va mal » que nous, les centrafricains devrions plonger dans le mal. Cette déclaration semble le jeter dans les bras d’une espérance béate mais vite amoindrie, annihilée par cette autre énonciation réaliste et confiante : « Le centrafricain est travailleur, il ne doit pas assister passivement à la mondialisation ni être spectateur et subir la décision de la communauté internationale ».
Oui, le centrafricain doit tout faire pour surmonter sa souffrance, mais l’éliminer complètement de son monde n’est pas entièrement dans ses possibilités humaines. Pour cela, l’orateur souligne, et rappelle aux dirigeants, aux responsables politiques et tous les autres responsables centrafricains de la société civile que « le centrafricain a le droit de s’épanouir ». Ils doivent tout mettre à l’œuvre pour son développement intégral.
« Le centrafricain mérite le bonheur et il a le droit d’être heureux »
Monsieur Yangou Ningata n’a pas manqué de remercier les agitateurs d’idées, les initiateurs, à commencer par « l’inépuisable monseigneur NDAYEN qui, avec l’abbé Donatus NDULUO, a été à l’origine de cette initiative », il y a une dizaine d’années, et les organisateurs : la chorale, le curé de la paroisse sainte Bernadette, le père Irénée PASSY. Cette manifestation religieuse a pris de l’ampleur aux yeux des compatriotes. La participation de la haute représentation de la RCA en France et des centrafricains des provinces ainsi que des amis de Centrafrique marque ainsi leur volonté pour la paix dans leur pays assujetti par les groupes armés, plongé dans l’insécurité, assailli par une pauvreté exponentielle. Tous les centrafricains sont aujourd’hui mendiants de la paix, de la sécurité, de l’unité du pays, et peut-être, mendiants de la nostalgie. Ils sont eux-mêmes des mendiants à la porte de ce Centrafrique qu’ils ont souillé.
L’image de la pauvreté est devenue l’étoffe de la RCA, l’indigence aussi. Beaucoup disent que le Centrafrique est pauvre. Ils disent vrai et Y. Ningata ne les dément pas dans son message à la fin de la dite messe : «Centrafrique est l’un des pays les plus pauvres du monde. […] Les images insoutenables d’enfants et des personnes âgées squelettiques et chétifs doivent nous interpeller tous et nous obliger à réagir ».> Monsieur Yangou Ningata exhorte ses compatriotes à prendre conscience de la situation du pays. Ce qui rappelle l’homélie de l’archevêque émérite de Bangui qu’incite les centrafricains à ramer dans le même sens pour amener le bateau centrafricain qui dérive à bon port et agir contre la souffrance sous toutes ses formes bien que celle-ci fasse aussi partie de l’existence humaine.
Cette souffrance centrafricaine découle, d’une part, du mal-être, de la jalousie et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire du pays, s’est accumulée et qui, encore aujourd’hui, grandit sans cesse, blesse et tue. Le pouvoir du mal, de la faute, est continuellement source de souffrance.
« Tous les accords échouent … vacillent…
Les villages ont disparu, les habitants ont fui »
Yangou Ningata, responsable de la chorale, une fois de plus fait la lumière sur sa propre analyse de la situation qui perdure dans son pays : « le centrafricain et le Centrafrique ne sont pas inscrits dans l’ordre du jour ni ne font partie des préoccupations de nos représentants ». C’est la raison pour laquelle, persuadé, il considère, à juste titre, que les accords, les forums, les dialogues inclusifs (ou exclusifs), le Grand Débat National (GDN) « échouent, vacillent » et ne trouvent pas de solutions. Les aspirations profondes du peuple ou de l’individu centrafricain ne sont pas prises en compte. Tout se passe au-dessus de lui et les pseudos conclusions meurent dans les tiroirs ou bien sont foulées aux pieds, dans la boue, dans les poussières latéritiques de Bangui et ses environs.
Par la même, ce responsable de la chorale, déplore la disparition des villages dans le paysage national. « Les choses ne seront plus comme avant, le paysage géographique a changé, beaucoup de villages ont disparu, les habitants ont fui pour se reconstruire ailleurs. Les gens n’ont plus confiance en eux, ils ont vécu des choses abominables. » Yangou Ningata est concerné et consterné. Ce tableau peint avec des mots vrais, justes, interpelle sur le réel, le quotidien du centrafricain aujourd’hui.
La RCA est méconnue quand on la survole. Les villageois sont devenues de véritables animaux, terrés dans les forêts pour certains, dans les savanes ou les clairières pour d’autres pour échapper aux anti-balles AK, aux seleka ou tout simplement aux bandes armées inconnues avides de maigres fortunes, ou cheptels de cette population innocente prise au piège.
Toutefois, dans ce tourbillon de description telle la vie des tartares, le message de Yangou Ningata s’appesantit sur l’éducation, l’espoir et le devenir de tout peuple voulant évoluer, se développer. Il suggère que « la reconstruction de la Centrafrique doit passer nécessairement par l’éducation des centrafricains aux respects des droits de l’homme, ‘tout homme est homme et a le droit de vivre » rappelant, peu ou prou, le « Zo Kwè Zo » du président fondateur de la RCA, B. Boganda. Cette éducation doit aller au devant du centrafricain à commencer par les dirigeants qui avivent la mal gouvernance, qui excellent dans la prédation de ressources naturelles, qui confondent « la gestion de la chose publique, la caisse de l’État avec leur poche ». Egoïstes, les pouvoirs publics depuis des décennies éloignent le peuple de la table des commensaux.
Les générations qui ont échoué, doivent procéder au renouvellement de la classe politique, inventer de nouvelles méthodes de gestion du pays pour le bien de tous et pour l’intérêt national. Elles doivent, selon Yangou Ningata, « inciter au passage de relais entre les générations, penser à l’avenir ». Il marque une indulgence, signe de la faiblesse humaine. « Il faut aussi reconnaître ses limites et laisser la place aux autres. »
Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance : empêcher, dans la mesure où cela est possible, la souffrance des innocents ; calmer les douleurs. Autant de devoirs aussi bien de la justice que du social. « On doit investir sur l’homme avant toute chose et investir aussi dans le social », a clamé le responsable de la chorale.
Enfin, Yangou Ningata qui rêve de la naissance de ce genre de chorale et de manifestation religieuse dans les grandes agglomérations des provinces telles, Lyon, Toulouse, Lille, Bordeaux, Nantes, encourage ses compatriotes de France, et amis à épouser cette messe pour que chaque année, en juin, tout centrafricain se retrouve pour prier en faveur de la paix.
« Centrafricains, soyons artisans de la paix pour notre pays et ramons dans le même sens » a proclamé monseigneur J. Ndayen dans son homélie.
Joseph GRÉLA
L’élève du cours moyen
De l’école indigène de brousse de Bakouté