Les conditions d’approvisionnement et de prière des musulmans de KM5 en période du Ramadan 2015 n’inquiète pas Tidiani Moussa Naibi, Imam de la Mosquée centrale de Bangui. Par contre, le débat que l’homme de Dieu souhaite voir à l’ordre du jour est celui relatif à la condition de vie du musulman centrafricain prise dans sa dimension inaliénable d’Etre humain et de citoyen centrafricain à part entière. D’où son insatisfaction pour le forum de Bangui qui, à en croire l’Imam, n’a abordé que des questions périphériques sans crever l’abcès.
Corbeaunews Centrafrique (CNC) : Présentement, comment s’organise le culte avec la présence massive des déplacés musulmans dans l’enceinte de la mosquée ?
Imam Tidiani Moussa Naibi (TMN) : Avant de me prononcer sur la mosquée centrale, j’aimerais plutôt que ce genre de débats puisse porter sur les conditions de vie du musulman centrafricain en général aujourd’hui. Comment vit-il ? Où se trouve-t-il en ce moment ? Comment prie-t-il ? Que fait-il pour manger, se soigner, s’occuper de sa famille ? Quel avenir va-t-il préparer à ses enfants ? Voilà le genre de questions qui devraient, à mon avis, être intéressantes. Puisque, parler de la mosquée centrale sans évoquer la situation globale du musulman centrafricain, c’est appréhender le vrai problème par le mauvais bout.
Quant à votre question sur la mosquée centrale, je crois que nous ne voulons pas dire aux gens que nous vivons toujours dans des problèmes ici. La crise survenue dans notre pays est grave certes et a affecté tout le monde, et ça, tout le monde le sait déjà, on s’arrête là.
La fréquentation de la mosquée, depuis l’éclatement des hostilités à Bangui, n’a cessé d’accroitre. Au pic de la crise jusqu’à ce jour, nous avons plus d’adeptes au point même que la mosquée n’arrive plus à nous contenir tous. D’autres personnes prient dehors. Cette situation s’explique par le fait que d’abord au niveau de Bangui, les musulmans habitant les sept autres quartiers que le 3ème arrondissement étaient traqués, et ce, en commençant par leurs propres besoins. Ils ont ainsi vu leurs biens pillés, leurs maisons détruites, certains ont été lynchés d’autres tués… Bref, ils étaient en insécurité totale. Tout naturellement, ils se sont rabattus sur le 3ème arrondissement, et plus particulièrement au km 5 pour y trouver refuge. Du coup, le nombre de la population a augmenté brusquement dans le 3ème et cette même augmentation a été ressentie au niveau de la mosquée centrale. Aussi, du fait de la persistance de l’insécurité à l’intérieur du pays, notamment à Boali, eu Pk 12, à Yaloké, à Boda, etc. la plupart des musulmans de ces localités, à la recherche d’un lieu de refuge n’ont pas choisi de quitter directement le pays, alors c’est au Km 5 qu’ils vont se rabattre. Pire encore avec ce début de normalisation, les musulmans qui ont quitté le pays sont rentrés massivement et sont toujours regroupés ici au Km 5.
CNC : Parlant justement de la présence de ces déplacés dans l’enceinte de la mosquée, comment s’organise la prière avec cet afflux ?
Imam TMN : Oui, comme je vous le disais tantôt, c’est depuis décembre 2013 que nous avons reçu l’afflux des musulmans de tous les arrondissements de Bangui, suivi quelques jours après, des musulmans de l’intérieur du pays. Précisément au niveau de la mosquée, plus de dix milles personnes étaient accueillies ici. Mais, la présence de ces personnes n’a pas changé quoi que ce soit dans la vie de la mosquée. Au moment des prières, on se rassemble, on prie, et après, chacun vaque à ses occupations habituelles. Puisqu’ici, les gens ne croisent pas les bras, les déplacés exercent quelques activités, notamment le petit commerce, en vue de leur survie. Je dirais au contraire que chacun, selon sa capacité, peut faire quelque chose pour la mosquée, soit en changeant une ampoule grillée ; prendre son argent pour changer une natte usée dans la moquée ou autres contributions pour le bien de la mosquée. Et ça, c’est individuel et volontaire. C’est ainsi que nous avons toujours un environnement bien entretenu et notre mosquée également.
CNC : Qu’en est-il de la prise en charge de ces déplacés ?
Imam TMN : Notre système ne fonctionne pas comme chez les autres où les structures religieuses disposent d’un budget de fonctionnement. Ceci, de sorte que la mosquée puisse garder sa toute indépendance vis-à-vis des autres instances de l’Islam. Car, dit-on que la main qui donne commande, c’est le cas ailleurs où le choix de la lecture de la parole de Dieu pour les journées de prière est dicté par les instances supérieures, parce que ce sont ces instances supérieures justement qui fournissent le budget. Alors que chaque mosquée n’a pas de contraintes pour choisir sa parole de Dieu du jour, cela se fait en fonction bien évidemment de la réalité du jour et du pays.
C’est pour vous dire tout simplement que la mosquée n’a pas d’argent pour prendre qui que ce soit en charge ici. Chacun des déplacés qui arrivent au sein de la mosquée pour se sentir en sécurité, fait ses petites activités génératrices de revenus soient-elles de petit commerce, de l’artisanat ou autre chose, afin de se prendre en charge. Moi par exemple, je n’ai donné aucun centime à un déplacé, au nom de la mosquée. Par contre, la solidarité entre les musulmans étant d’une grande valeur ici, ce qui permet de nous entraider, afin de soutenir les plus démunis.
CNC : A l’approche du Ramadan, qu’est ce qui pourrait constituer une entrave au bon déroulement du mois Saint de cette année, en termes de conditions de prière ou d’alimentation ?
Imam TMN : Je tiens d’abord à préciser que le Ramadan n’est pas une période extraordinaire où l’on doit faire des choses extraordinaires pour le prouver. C’est un moment de prière que l’Islam donne à chaque musulman pour prier. Cette période doit être sanctionnée par un changement dans le comportement à l’issue du Ramadan. On reconnait un bon musulman qui a bien observé son jeûne à travers le changement qui s’opère dans sa vie après le Ramadan.
Ceci dit, nous ne pouvons pas être trop alarmistes quant aux conditions de notre approvisionnement en nourriture comme pensent les gens. Au contraire, le Ramadan veut dire jeûne. Il s’agit de réduire et de se priver de certains besoins soit-il la quantité du repas journalier. Il est demandé ainsi à chaque musulman de sentir la faim, afin de savoir que le pauvre qui vient vers lui pour demander quelque chose, a réellement faim où a véritablement un besoin exprimé. Mais, comme cela s’est passé l’année dernière, malgré que la situation fût moins favorable que celle-ci ? Nous avions pu bien passer le Ramadan, nous pensons que cette année aussi, tout se passera bien par la grâce de Dieu, voire même mieux.
C’est pourquoi, j’invite tous les musulmans centrafricains, qu’ils soient à Bangui, sur le territoire centrafricain ou à l’étranger, de cultiver la solidarité et l’entraide au profit des plus démunis dans cette période de Ramadan qui va avoir lieu dans un contexte différent marqué par la vie dans les sites des déplacés et dans la position de réfugiés.
CNC : Quelle lecture faite vous du Forum de Bangui – cette occasion historique donnée aux centrafricains de tous bords de se parler entre eux, afin d’aller résolument vers la paix, la cohésion sociale et le vivre ensemble ?
Imam TMN : A mon avis, c’est le forum des autorités de la transition qui ont tout taillé selon ce qu’elles veulent obtenir de cette rencontre. J’apprécie l’idée qu’elles ont lancée pour que les centrafricains, musulmans et chrétiens puissent se retrouver pour se parler, c’est une bonne initiative. Même quand les participants se sont réunis dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le matin, j’ai toujours apprécié. Mais, tout ce qui s’est dit ou ce qui s’est fait, je n’ai pas d’appréciation là-dessus, y compris la clôture du forum qui a été marquée par des violences où certains demandaient la démission de certaines personnalités.
Aujourd’hui, je prends le cas des musulmans centrafricains par exemple qui ont tout perdu, les peulhs ont perdu tous leurs bétails, les commerçants ont perdu toutes leurs marchandises et magasins ou boutiques, leurs maisons d’habitation détruites… Je croyais que ce sont ces genres de débats qui devraient se tenir à cette occasion pour qu’on y trouve une solution durable, afin de permettre le retour véritable à la paix et au vivre ensemble. Malheureusement, les vrais problèmes ont été considérés comme des questions taboues. Les gens ont refusé d’être sincères et de dire la vérité, prétextant qu’il s’agit d’enflammer la situation en disant la vérité. Tous ces camouflés m’ont amené à ne pas porter de jugement sur le déroulement et le contenu de ce forum.
CNC : Imam Tidini, merci.
Interviews réalisées par Sylvestre KROCK , Bangui pour CNC