A l’orée des élections prévues dans 3 mois en République centrafricaine, le climat politico-social ne semble pas s’apaiser avec des questions soulevées quant au calendrier, la situation sécuritaire sur le terrain et l’exclusion des réfugiés du processus électoral. La Seleka avait pris les armes pour dénoncer l’ostracisme dont les musulmans et les habitants du Nord-Est étaient victimes. Pour repondre à cette crainte qui peut ressusciter les velleités, nous avons rencontré Mohammed Moussa DHAFFANE. Un des initiateur de la Seleka, officier supérieur au sein de la rébellion, il était vite tombé en disgrâce, emprisonné quand il s’est opposé aux dérives de la SELEKA aux lendemains de la prise de pouvoir. De passage à Paris, il a tenu à donner ses visions et ses craintes pour ce rendez-vous très attendu en Centrafrique.
La crise politique qui a eu lieu en Centrafrique a revêtu à un moment donné un caractère confessionnel, qu’en est il à l’heure actuelle de la situation des musulmans en Centrafrique?
Je ne voudrais analyser la crise centrafricaine en me penchant sur une partie. Il n’y a pas que les musulmans qui patissent de cette crise. La situation en général est catastrophique voire chaotique sur l’ensemble du territoire. En tant que leader, je ne veux pas parler de la situation d’une partie sinon c’est aggraver la crise par des propos partisans.
Toute la population continue de subir les affres de la crise par des manquements diverses en plus la situation sécuritaires est fort préoccupante avec le processus D.D.R.R qui n’est pas encore enclenché ce qui se traduit par la prolifération des armes.
Un débat est soulevé en ce moment par l’exclusion des réfugiés du processus électoral, n’est ce pas une entrave pour la tenue voire la crédibilité de ces élections?
Je m’insurge contre l’idée de ne pas faire voter les personnes déplacées qui sont autant plus les musulmans que les non-musulmans. J’affirme en l’occasion que cette exclusion va créer des frustations, une mutation de la crise. Nous sommes tous des centrafricains avec les mêmes droits et les mêmes devoirs et c’est cela qui doit être la fondation de la nouvelle Centrafrique que nous devons créer.
A 3 mois des élections, le cabinet du Premier Ministre vient d’être remanié avec des personnalités de l’ex-coalition SELEKA qui y figurent et cela a encore suscité des animosités au sein de la classe politique.
Je ne suis pas opposant. Il n’y a pas de majorité qui gouverne par conséquent pas d’opposition. Je ne raisonne pas en tant qu’opposant mais en tant que contributeur pour une sortie de crise. Je constate que le Gouvernement commet beaucoup d’erreurs d’option. A 3 mois des élections, faire des nominations si ce n’est en rapport avec ces élections n’est pas une manœuvre à surveiller de près?
On ne peut me taxer de demandeur de poste, lors du forum de Bangui j’ai été clair en réaffirmant mon soutien et le maintien des institutions de la Transition et si je dénonce ce remaniement de complaisance, c’est en connaissance de cause.
On laisse passer des rumeurs à Bangui que je prépare une action de déstabilisation et que ce sont mes hommes qui auraient attaqués la Radio nationale, ce qui est totalement faux et je l’ai fait savoir à qui de droit. La personnalité qui circule au Km5 pour parler d’actions séditieuses est proche du Gouvernement. De ce fait, j’ai des doutes sous réserve, que ce coup en soit vraiment un.
J’ai opté pour la paix et la réconciliation nationale et j’ai fait allégeance à la Transition depuis le 1er jour, je suis un homme de parole et les centrafricains le savent. Alors je m’insurge contre toutes actions dilatoires pour retarder ou biaiser le processus de sortie de crise.
Vous insinuez ainsi qu’il y a des personnes qui manœuvrent pour entraver la tenue des élections?
Vous vous souvenez que lors d’un interview j’ai promis de citer des noms le moment opportun. Tout est mis en place pour contrecarrer la sortie de crise sur la base d’une réelle reconciliation entre les centrafricains. Les nomminations à la primature sont elle de nature à apaiser les esprits et créer les conditions de retour de la paix? C’est aux centrafricains de juger.
Quelle est votre réelle motivation pour ces élections?
Lors de mon allocution au Forum de Bangui, j’avais annoncé la création d’un parti politique comme alternative à la lutte armée afin que toutes revendications soient portées sur le terrain politique pour éviter d’éventuelles actions séditieuses à l’avenir. A ce jour, toutes les démarches sont entreprises pour le lancement de cette formation politique que j’ai dénommée MATABISSI TI SIRIRI, ce qui se traduit par la Recompense de la Paix. Il est à noter que MATABISSI TI SIRIRI n’est pas la transformation d’un groupe armé mais une nouvelle structure républicaine et civique respectueuse des règles du jeu démocratique.
Je ne suis pas candidat comme le pronostique certaines personnes. Au demeurant, je soutiendrai le candidat jouissant d’une grande neutralité, qui sera à même de réconcilier les centrafricains au-delà de toutes considérations. Mais je ne peux pas soutenir un candidat susceptible de créer des frustrations ni chez les Seleka et les anti-balaka et qui ne va pas décevoir l’espoir des centrafricains et leur aspiration à la paix et à la cohabitation pacifique.
Qu’en est il de la SELEKA à l’heure actuelle? Tout porte à croire que nous sommes revenus à la période ante-seleka avec une multitude de groupes armés aux ambitions diverses.
Il faut comprendre et c’est très important que la Seleka est très profonde, ne peut bien la comprendre que celui qui a été à l’intérieur. Aujourd’hui la Seleka est divisée en tendances et elles ont toutes signés l’accord D.D.R.R. Par conséquent il incombe à chaque signataire de respecter sa signature et de faire appliquer les termes de cet accord. Oui, on peut aisément dire que nous sommes revenus à la période ante-seleka où les motivations ne sont plus les mêmes.Ma crainte se résume alors aux manœuvres dilatoires qui constituent un risque de revivre le scénario du 24 Mars 2013.
Quelles sont vos relations avec les autorités de la Transitions, les autres leaders de la Seleka et votre appréhension de la présence des forces internationales?
Je réaffirme mon engagement à soutenir la Transition jusqu’à son terme parce que je ne veux plus de troubles dans le pays. Mais je ne peux m’empêcher de décrier certaines dérives et manquements voire de dénoncer les loups qui sont dans la bergerie.
Pour ce qui concerne la Seleka, je vous avais déjà dit que les motivations ne sont plus les mêmes. Vous comprendrez l’adage qui dit que les oiseaux de même plumage volent ensemble. L’experience d’avant le 24 Mars 2013 démontre à suffisance que le grief n’a pas tenu.
En ce qui concerne les forces internationales, je pense que la SANGARIS fait un bon travail en dépit de la mauvaise approche du départ qui a laissé des stigmates au sein de la communauté musulmane. C’est à nous, leaders centrafricains de sensibiliser la population afin de collaborer avec ces forces à l’exemple de ce que j’ai fait avec l’association ORJEMUSCA où nous avons pu pacifier le Km5, malgré des velléités guerrières issues d’autres tendances.
Avec la MINUSCA, je pense que j’ai des soucis compte tenu de l’ambiguité de certaines composantes de cette force qui se traduisent par des doutes sur la réelle application des résolutions onusiennes. Et je pense que les Centrafricains dans leur grande majorité partagent ma crainte.
Vos aspirations pour la Centrafrique à quelques mois des elections qui marqueraient une sortie de crise.
Je demande à mes compatriotes au-delà de toutes considérations partisanes de s’unir dans un élan patriotique pour sauver la seule chose en commun qui est la République Centrafricaine. Chaque centrafricain doit s’élever au-dessus de tout débat, se mettre en dehors de tout clivage et en toute vigilance contrecarrer les manœuvres dilatoires tendant à hypothéquer la sortie de crise.
J’en appelle aux leaders d’opinions d’éviter et de faire éviter que les bandes armés continuent de prendre la population civile en otage.
Je lance un vibrant appel à la communauté internationale de continuer à apporter une assistance significative au peuple centrafricain et de surveiller de très près toutes tentatives de confiscation des acquis du Forum de Brazzaville, des consultations populaires et du Forum de Bangui car le processus doit revêtir un caractère irréversible.
Et pour finir, j’insiste sur le fait que je n’ai jamais été guidé dans mon action politique par des intérêts égoïstes et personnels. J’ai agi et continuerai d’agir sans variantes pour la justice sociale, le développement économique et l’unité de mon pays.
Stève NIKO pour ANADOLU