Pour faire face à la pandémie, Médecins sans frontières a décidé de déployer à Batangafo, ainsi que dans deux autres villes du nord (Kabo et Ndélé), ce que les docteurs nomment le TPPI
Au nord-ouest de la Centrafrique, le paludisme fait des ravages. Dans la seule ville de Batangafo, près de 40 000 personnes ont déjà contracté la maladie depuis le début de l’année. Le paludisme y est devenu la principale cause de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans. Pour faire face à la pandémie, Médecins sans frontières (MSF) a décidé de déployer à Batangafo, ainsi que dans deux autres villes du nord (Kabo et Ndélé), ce que les docteurs nomment le TPPI (traitement préventif et présomptif intermittent).
Sous ce sigle se cache un traitement aux propriétés étonnantes. En effet, en attendant le développement d’un hypothétique vaccin, MSF teste aujourd’hui une nouvelle molécule, approuvée par l’OMS : la dihydroartémisinine-pipéraquine (DHA/PQ).
Une diminution de la mortalité allant de 50 à 80%
Début août, trois jours durant, les agents de santé de MSF, installés dans le lycée de la ville de Batangafo, ont administré ce traitement novateur à près de 7 000 enfants. Sur la table de distribution, Marguerite fait avaler un cachet aux enfants. « Pour les plus petits, je broie le médicament en le mélangeant avec du sucre et de l’eau », explique-t-elle. Les médecins donnent ensuite trois comprimés aux mères de famille qui devront l’administrer à leur progéniture au début du mois suivant.
«Cette molécule va à la fois traiter le paludisme et le prévenir. Elle reste dans le sang pendant une durée de 3 à 4 semaines», explique Patrick Irengue, référent du projet à MSF. «Le processus a déjà été expérimenté à Madawa, au Niger en 2014.» Mais si le TPPI a déjà été mis en place par le passé, c’est la première fois que la nouvelle molécule DHA/PQ est utilisée. «Les résultats sont sans appel. Ils montrent une diminution allant de 50 à 80 % du taux de mortalité, suivie d’une baisse des consultations et des admissions pour des cas de paludisme», explique Patrick Irengue.
Une situation délicate sur le terrain
Dans la campagne centrafricaine, le monde médical suscite cependant la suspicion. Isidore Feimona, assistant de la chef de projet, explique qu’un gros travail de sensibilisation a été nécessaire pour faire comprendre aux mamans les bienfaits de la campagne de traitement. «Beaucoup ont peur, elles cachent les enfants lorsque nous arrivons». Pour lutter contre cette défiance, MSF déploie sur le terrain une vingtaine de personnes surnommées « agents palu’», chargés de sensibiliser les populations. «J’ai beaucoup discuté avec d’autres mamans avant de me décider à venir. Mais finalement, j’ai compris que c’était bon pour mes bébés», raconte Irène, 25 ans, qui patiente depuis plusieurs heures dans la file d’attente avec ses deux enfants. D’autres mères de famille sont «parties aux champs avec les enfants», pour éviter le traitement.
«La bataille de Batangafo» a aussi laissé des traces. Le 30 juillet 2014, des combats éclatent lorsque des anti-balaka attaquent des bases Séléka, faisant 22 morts et des dizaines de blessés. Aujourd’hui, le lycée du village est déserté par les élèves, les bâtiments publics sont dévastés, les autorités judiciaires et administratives, envolées. Le camp de du village accueille 28 000 déplacés et est devenu depuis quelques mois le plus grand du pays.
«La sécurité est notre principale préoccupation»
Le deuxième jour de la campagne, des rebelles musulmans de l’ex-coalition Séléka, accusés d’avoir gravement blessé un commerçant chrétien et pourchassés par une foule en colère, se sont réfugiés dans la base de MSF. La foule s’est massée devant le bâtiment, exigeant que leur soient rendus les deux musulmans, avant de caillasser le portail. Les Casques bleus ont finalement dû intervenir pour récupérer les fuyards et calmer la population.
Médecins sans frontières a immédiatement gelé tous ses déplacements de personnels et renforcé la vigilance autour de ses sites. «La sécurité, c’est notre principale préoccupation», explique Helena Valencia, chef du projet MSF à Batangafo. Dans cette partie du pays, à quelques centaines de kilomètres de la frontière avec le Tchad, les ex-rebelles Séléka et les miliciens anti-balaka continuent de s’affronter, entravant l’action humanitaire et l’accès aux services de santé.