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Louise Lombard: "Il faut construire de nouveau une société centrafricaine"
Publié le mercredi 12 aout 2015  |  Journal de bangui
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Louisa Lombard est anthropologue à l’université de Yale, aux Etats-Unis. C'est l’une des meilleures spécialistes actuelles de la Centrafrique et elle co-édite avec Tatiana Carayannis un livre consacré au pays, Making sense of Central African Republic (Décrypter la RCA) aux éditions Zed Books. Pour la première fois, il offre un aperçu précis des dynamiques qui expliquent les troubles ayant secoué le pays ces dernières décennies. Leurs auteurs appellent la communauté internationale à changer sa grille de lecture et à regarder les spécificités de ce pays afin de permettre l'installation d'une paix durable.

En quoi l’histoire de la Centrafrique nous permet-elle, aujourd’hui, de mieux comprendre ce qui s’est passé ces dernières années dans le pays?
Il y a plusieurs raisons à cela mais celle que je peux déjà souligner c’est que lorsqu’on lit des articles sur la Centrafrique, on y parle de ce qui se passe dans le pays comme étant une crise. D’un côté, c’est vrai parce que la situation sécuritaire et la violence ont beaucoup augmenté. Mais d’un autre côté, ce n’est pas du tout juste parce que le terme " crise ", donne l’impression qu’il s’agit d’une période exceptionnelle alors qu’en Centrafrique - on le voit à travers l’histoire du pays – n’a jamais vraiment connu de périodes normales ou alors la normalité date de plusieurs décennies.

Quand on dit, on va essayer «de revenir à la normale», «de restaurer quelque chose», ce sont des expressions qui ne veulent rien dire finalement?
Exactement, c’est ça. Il n’y a rien à restaurer. En fait, le problème éthique c’est plutôt qu’il faut construire de nouveau une société centrafricaine.

Cela veut dire qu’on fait des erreurs d’analyse, d’interprétation et que de cela découle des initiatives qui n’apportent pas forcément une paix durable pour le pays?
C’est exact. En effet, à comprendre la Centrafrique à travers des cadres théoriques qui ont été développés ailleurs, on parle d’un Etat raté, par exemple, ou bien des espaces non gouvernés ou encore d’un génocide.

Des concepts qui n’étaient pas appropriés?
Des concepts, oui, qui n’étaient pas appropriés.

Pour mieux comprendre le présent, vous faites quelques rappels historiques et en particulier, vous rappelez que la France n’a pas développé le pays elle-même puisqu’elle a laissé la main à des sociétés concessionnaires, à l’époque coloniale, pour exploiter les richesses du pays. Ce choix a-t-il encore des répercussions aujourd’hui?
Absolument. L’Etat centrafricain a toujours été privatisé et cette privatisation là a toujours créé des bénéfices privés pour des gens particuliers et a toujours été un lien entre les concessions et la gouvernance au niveau local, dans les différents coins du pays. Et maintenant ce que l’on voit, c’est que le gouvernement de Centrafrique, les ministres et autres, dans la capitale, n’y voient pas leur rôle comme étant celui de développer le pays eux-mêmes. Leur préoccupation majeure, c’est de négocier des concessions avec des acteurs externes pour que ces derniers puissent faire le développement ou bien exploiter des ressources naturelles du pays.

Concernant le processus de paix (il y en a un en cours) ; il y a eu le Forum de Bangui ; il y a eu des consultations à la base et il y aura des élections à la fin de l’année. Ce schéma-là peut-il permettre une installation d’une paix durable?
Nous pouvons toujours l’espérer, n’est-ce pas? Mais à mon avis, il y a des problèmes qui ne sont toujours pas résolus. Même si, pour l’instant, nous avons l’impression que la situation s’améliore un peu, les questions profondes de politique qui n’ont pas été abordées avant et qui étaient déjà une des sources de la crise actuelle, sont toujours là. Je donne un exemple. Maintenant à Bangui et ailleurs, on est en train de faire le recensement des électeurs. Il existe peut-être un cadre légal pour décider qui est Centrafricain mais cette question de savoir qui est Centrafricain faisait partie de la crise, dans le pays, ces dernières années. C’était un problème des personnes qu’on appelait des étrangers par exemple. Mais qui est étranger en Centrafrique, actuellement ? Comment va-t-on résoudre ce genre de questions ? Ce sont des choses qu’on a oubliées ou qu’on a mises à l’écart parce que j’ai l’impression que pour la plupart des acteurs internationaux, leur préoccupation est de faire quelque chose d’assez rapide pour pouvoir se retirer de RCA.

Est-ce une erreur de vouloir organiser les élections aussi rapidement?
A mon avis, oui. C’est une erreur de faire des élections aussi rapidement car les questions qu’il faut absolument résoudre avant de faire des élections n’ont pas été abordées, comme ces questions de nationalité et ce genre de choses.

Pour vous, l’approche n’est pas bonne non plus concernant les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des combattants. Pour quelle raison?
Les programmes de démobilisation ont été un échec total en Centrafrique. C’est le décalage entre ce que les membres des groupes armés attendent et ce qu’on est prêt à leur donner qui fait qu’ils ne sont jamais satisfaits par le DDR. Ils ont toujours l’espoir que, avec une prochaine rébellion, il y aura alors un DDR mieux fait. Cela devient un des facteurs qui pousse les gens à prendre des armes.
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