Troupeaux massacrés à la grenade ou à la kalachnikov, bétail volé, éleveurs enlevés, assassinés, représailles meurtrières contre des villageois : la "guerre du boeuf", animal très prisé en Centrafrique, sévit dans un pays qui peine à sortir d'un profond cycle de violences.
Premiers touchés, les éleveurs Mbororo, des peuls musulmans victimes des affrontements meurtriers entre milices chrétiennes (anti-balaka) et l'ex-rébellion Séléka (à dominante musulmane) qui ont ensanglanté à grande échelle le pays en 2013 et 2014, et qui éclatent sporadiquement encore dans la plupart des régions.
Le commerce du boeuf représentait jusqu'en 2012 des rentrées importantes d'argent pour près de 300.000 personnes, sur une population de 5 millions d'habitants, qui tiraient essentiellement leurs revenus de cet élevage. Cette activité dépassait même les 10% du PIB dans les années 2000, selon la FAO.
Mais les violences ont coupé l'approvisionnement en bœuf de Bangui: le marché au bétail et l'abattoir du PK 12, à l'entrée nord, sont toujours fermés, et la richesse représentée par ces animaux a engendré des razzias mais aussi des massacres dans presque toutes les régions de l'ouest, du nord et du nord-ouest.
"Les chiffres de l'élevage ont régressé de 77 % par rapport aux niveaux d'avant la crise du fait des razzias et des vols", estime la FAO.
"Avant, il y avait du gros bétail partout dans le pays", explique Maloum Bi Issa, éleveur ayant fui l'ouest du pays pour Bangui après le massacre de sa famille et de ses bêtes.
"Quand les anti-balaka sont arrivés dans l'ouest, ils ont visé les Mbororo et leurs bêtes. Ils utilisaient des grenades pour tuer les bœufs, tiraient à la kalachnikov dans le tas et massacraient nos familles. Tout mon troupeau de près de 300 têtes, ma femme et mes quatre enfants ont été décimés", raconte-t-il, dans cet ordre: bétail d'abord, femme et enfants après.
- Plus d'un millier d'éleveurs tués -
Selon les estimations de la minorité peule à Bangui, environ un million de bœufs ont été tués ou volés. Et, sur environ 40.000 Mbororo que compte le pays, plus d'un millier ont été tués, tandis que des milliers se sont enfuis avec leur bétail vers les pays frontaliers, Cameroun, Tchad et Soudan.
"Personne ne peut nier aujourd'hui en Centrafrique qu'il n'a pas mangé la viande de bœuf que vendaient les anti-balaka après la démission de Michel Djotodia (chef de la rébellion puis président) et la déroute de la Séléka", affirme un sous-préfet qui a requis l'anonymat. "Des quartiers entiers étaient approvisionnés et particulièrement le nord de Bangui."
"C'était le fruit de la victoire sur ceux qui ont tué nos parents, violé nos mamans, nos sœurs, nos épouses, et détruit nos biens", se justifie Sévérin Ndotiyi, dit "Satan", un ex-anti-balaka.
Mais la fuite de beaucoup d'éleveurs a changé la donne. Selon une enquête de la FAO, quand ils ne les volent pas, les groupes armés proposent maintenant leur "protection" aux éleveurs contre de l'argent. En clair, du racket. "Certains éleveurs sont parfois retenus contre leur gré par les anti-balaka afin de ne pas perdre cette importante source de revenus pour eux".
"Lorsque les éleveurs arrivent à quitter les zones contrôlées par les anti-balaka, ces derniers n'hésitent pas à s'attaquer aux personnels des ONG, aux commerçants de bétail et aux populations locales, pour les dépouiller de leurs biens. Ce qui pose de réels problèmes sécuritaires", ajoute la FAO.
Ces mouvements d'éleveurs déplacés ont bouleversé aussi bien leur répartition territoriale que les couloirs de transhumance. "Le retour de la sécurité n'impliquera pas un retour automatique des éleveurs dans leurs anciennes localités", estime la FAO.
La viande de bœuf est très prisée, elle entre dans la composition des trois quarts des plats consommés, particulièrement à Bangui.
Préparée au "coco", aux feuilles de manioc, à la sauce tomate, au "goussa" (sauce gluante), elle peut être grillée, braisée, elle entre aussi dans les galettes aux courges et dans beaucoup d'autres plats. Elle est aussi fumée par les Peuls à des fins de conservation.
Avant 1990, début d'une série quasi-ininterrompue de violences "tout le monde disait que chaque Centrafricain avait son bœuf. Le nombre des bêtes avoisinait celui des habitants", se souvient, nostalgique, Maurice Agoumaka ancien employé de la fédération nationale des éleveurs centrafricains.