Les tentatives de réconciliation en République centrafricaine (RCA) risquent d’être anéanties si les réfugiés qui ont fui vers les pays voisins après le coup d’Etat de 2013 ne sont pas en mesure de participer au scrutin présidentiel, présenté comme une étape majeure de la construction de la paix.
Quelque 470 000 Centrafricains, soit environ 10 pour cent de la population, vivent en tant que réfugiés au Cameroun, au Tchad, au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo (RDC).
La Cour constitutionnelle de la RCA a annulé l’amendement adopté par le Parlement qui prévoyait d’exclure les réfugiés des élections. Au mois de juillet, la Cour a décidé que tous les citoyens pourraient participer au scrutin du 18 octobre, qu’ils résident dans le pays ou à l’étranger. Mais huit semaines plus tard, aucune mesure n’a été mise en œuvre pour permettre aux quelque 198 000 réfugiés admissibles au vote de participer au scrutin.
Sur les quatre pays d’asile, le Tchad est le seul à avoir signé un accord avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le gouvernement centrafricain pour mettre en œuvre des mesures opérationnelles pour l’enregistrement des électeurs, par exemple. La RDC a dit qu’elle ne signerait pas le document. Le Congo-Brazzaville ne s’est pas exprimé sur le sujet. Et des discussions sont encore en cours au Cameroun.
« Les exclure (les réfugiés) du processus reviendrait non seulement à exclure dix pour cent de la population, mais aussi à renforcer le malentendu ou l’idée selon laquelle ces personnes ne sont pas de vrais citoyens qui peuvent participer aux affaires politiques ici, en RCA », a dit à IRIN Charles Mballa, représentant adjoint du HCR chargé de la protection en RCA.
Le coup d’Etat de mars 2013 a conduit au renversement du président François Bozizé par une coalition de groupes rebelles originaires du nord-est du pays, une région à prédominance musulmane où un fort sentiment de marginalisation provoquait depuis de longues années des insurrections. Les attaques commises par les rebelles de la Séléka contre les populations civiles ont abouti à la multiplication des groupes d’autodéfense baptisés anti-balakas, qui ont mené des vagues de représailles ciblant principalement la population musulmane.
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La majorité des réfugiés – jusqu’à 93 pour cent au Cameroun, par exemple – sont des musulmans. Bon nombre de personnes considèrent que leur participation au processus électoral est la clé de la construction de la stabilité en RCA.
« Le fait que l’on nous permette de voter montre que notre pays est prêt à réparer les dégâts commis par les différentes parties », a expliqué Augustin Dolly-Debat, chef des réfugiés du camp de Guiwa II, dans l’est du Cameroun.
« Nous sommes contents de la décision (de la Cour), mais nous attendons encore de voir comment cela va être possible (le vote) », a-t-il dit IRIN.
Pour le HCR, « Le fait de plaider pour la participation (des réfugiés) est un geste fort qui souligne que le gouvernement actuel est prêt à reconnaitre que ces personnes qui vivent encore à l’étranger sont des citoyens de ce pays et à faire ce qu’il faut pour que le processus soit participatif », a expliqué M. Mballa.
Certaines personnes en RCA sont moins convaincues.
« Ils représentent la minorité », a dit Victorien Belet, un habitant de Bangui, à propos des réfugiés. « Leurs votes n’affecteront pas les résultats ».
Magloire Ngodji, un boucher de la capitale, a dit : « Nous les chrétiens, nous sommes plus nombreux qu’eux. Ils ne peuvent pas changer les résultats des élections ».
Malgré la décision de la Cour, Catherine Samba-Panza, la présidente par intérim qui quittera son poste après les élections, a dit qu’elle était opposée à la participation des réfugiés au vote en raison des difficultés organisationnelles et logistiques que cela représenterait.
Un processus difficile, mais réalisable
L’idée que des réfugiés participent à des élections alors qu’ils vivent à l’extérieur de leur pays n’est pas nouvelle, mais le vote à l’étranger pose des défis.
Le HCR et le gouvernement malien, par exemple, ont rendu possible la participation de plus de 19 000 réfugiés qui avaient fui au Burkina Faso, en Mauritanie et au Niger aux élections présidentielles maliennes de 2013.
Mais ce chiffre ne représentait qu’un faible pourcentage des quelque 73 000 réfugiés maliens qui étaient en âge de voter.
« Les opérations électorales à l’étranger sont complexes et représentent des défis significatifs en termes de planification », a dit à IRIN Marcel Onana, analyste politique et chercheur à l’université de Yaoundé I, en évoquant le coût financier important et les nécessaires efforts logistiques.
Au Cameroun, par exemple, quelque 60 000 réfugiés sont hébergés dans sept camps dirigés par le HCR et les 180 000 autres réfugiés sont éparpillés dans les communautés hôtes. Il est donc encore plus difficile de distribuer les cartes d’électeur et d’installer les bureaux de vote un mois avant les élections.
Bon nombre de réfugiés n’ont pas emporté les documents justifiant de leur nationalité quand ils ont pris la fuite. Et certains ont perdu leurs papiers d’identité pendant la période des pluies ou pendant leur fuite.
En outre, bon nombre de réfugiés n’ont plus accès à l’actualité de leur pays d’origine et ne sont pas correctement informés sur les candidats et leurs programmes. La Croix-Rouge du Cameroun estime qu’environ 80 pour cent des réfugiés sont analphabètes et ont peu ou pas d’expérience en matière de participation au processus électoral.
« Il ne suffit pas de donner le droit de vote », a dit à IRIN un travailleur de la Croix-Rouge qui a souhaité garder l’anonymat. « Outre ce droit, il faut remplir d’autres conditions préalables [comme le fait d’informer les réfugiés sur la date des élections et les candidats], afin que les électeurs soient…en mesure de faire des choix éclairés ».
Les résultats des votes exprimés à l’étranger risquent de faire l’objet de contestations.
« La liberté et la sécurité des votes exprimés par leurs citoyens depuis l’étranger peuvent être remis en question, particulièrement si les résultats enregistrés à l’étranger sont très différents des résultats enregistrés en RCA », a dit à IRIN M. Onana.
‘Nous aussi nous voulons voter’
Malgré les difficultés, bon nombre de réfugiés sont pressés de participer au vote.
« Nous aussi nous voulons voter », a dit à IRIN Clay-Man Youkoute, un chef du camp de Guiwa I. « Le fait de nous autoriser à participer, cela montre que même si nous sommes en exil, nous sommes toujours reconnus comme des citoyens de la RCA ».
Il a expliqué que bon nombre de réfugiés hébergés dans les camps ne savent pas encore s’ils pourront voter. Ils ont juste entendu des rumeurs émanant de personnes qui ont été informées de la décision de les inclure.
« Peut-être que cela représentera … une opportunité pour nous », a dit Mustapha Idris, 45 ans, réfugié de Garoua-Boulai. « Je serai content de voter ».
Esthere Ndoe, maire de Garoua-Boulai, a dit à IRIN que le processus politique en RCA intéressait vraiment les réfugiés.
« Ils en parlent tout le temps », a-t-il dit. « Malheureusement, la situation politique n’est pas favorable à leur retour et à leur participation. Les autorités locales ont été mises au courant de cette décision (de les autoriser à participer au vote), mais les responsables (du camp) n’ont pas encore donné d’ordre officiel (pour procéder aux préparatifs du scrutin) ».