La crise centrafricaine est une crise de longue durée, émaillée de violences sporadiques sur fond de désintégration de l’Etat, d’économie de survie et de profonds clivages entre groupes socio-ethniques. Alors que les groupes armés (dont les anti-balaka et les exSeleka) se caractérisent par leur criminalisation et leur fragmentation, les tensions intercommunautaires ont mis à mal l’unité nationale et la fabrique sociale centrafricaine. Malheureusement, la feuille de route de la sortie de crise qui prévoit des élections avant la fin du mois de l’année 2015 n’est qu’une réponse de court terme aux défis de long terme. Pour éviter une solution qui repousse les problèmes à l’après- élection au lieu de commencer à les résoudre, les autorités de la transition et les partenaires internationaux devraient appliquer une véritable politique de désarmement et réaffirmer l’appartenance des musulmans centrafricains à la nation.
Ces actions devraient précéder les élections et non succéder aux élections, au risque de faire de ces dernières un jeu à somme nulle. De par sa géographie et son histoire, la Centrafrique est à la jonction de deux régions et de deux populations : au nord, le Sahel et les populations d’éleveurs et de commerçants à majorité musulmane et, au sud, l’Afrique centrale et les populations de la savane et du fleuve initialement animistes et maintenant majoritairement chré- tiennes. La prise du pouvoir par la Seleka en mars 2013 a constitué un renversement du paradigme politique centrafricain.
Pour la première fois depuis l’indépendance, une force issue des populations musulmanes du nord et de l’est du pays s’est emparée du pouvoir. L’affrontement qui a suivi entre Seleka et anti-balaka a engendré de fortes tensions communautaires exacerbées par l’instrumentalisation de la religion, des fractures de la société centrafricaine et des peurs collectives ravivant la mémoire traumatique des razzias esclavagistes de l’époque pré-coloniale.
Ces tensions communautaires qui ont abouti à des tueries et au départ des musulmans de l’ouest du pays sont particulièrement vives au centre sur la ligne de front entre les groupes armés. Ainsi, le conflit entre ex-Seleka et anti-balaka s’est maintenant doublé d’un conflit entre communautés armées. Dans les zones où les affrontements communautaires sont récurrents, le lien entre groupes armés et communautés est étroit : les combattants de l’ex-Seleka apparaissent comme les protecteurs des communautés musulmanes et les anti-balaka comme les protecteurs des communautés chrétiennes. Dans d’autres régions du pays en revanche, les populations prennent leur distance avec les groupes armés. L’approche actuelle du désarmement des groupes armés, formalisée par l’accord signé lors du forum de Bangui en mai dernier, sous-estime la dimension communautaire de la violence ainsi que la criminalisation et la fragmentation des groupes armés.
A l’ouest du pays, faute d’ennemis après la fuite des combattants de l’ex-Seleka et des musulmans, la nébuleuse de groupes armés locaux communément dénommée antibalaka n’est parvenue à se structurer ni militairement, ni politiquement : elle constitue maintenant une menace criminelle qui pèse sur les populations locales. L’ex-coalition de la Seleka a implosé en plusieurs mouvements dont les affrontements sont motivés par des rivalités de direction, des querelles financières et des désaccords sur la stratégie à adopter vis-à-vis du gouvernement de transition et des forces internationales.
La Centrafrique : les racines de la violence Rapport Afrique de Crisis Group N°230, 21 septembre 2015 Page ii dynamique de criminalisation et de déstructuration des groupes armés est un obstacle à toute négociation avec eux. Dans ce contexte, l’organisation précipitée d’élections ressemble fort à une fuite en avant qui présente de nombreux risques : exacerber les tensions intercommunautaires existantes, éclipser l’indispensable travail de reconstruction du pays et reporter aux calendes grecques la solution de problèmes urgents comme le désarmement des miliciens et des communautés. En Centrafrique, les défis à relever pour les autorités de la transition et les partenaires internationaux imposent de remplacer le programme de désarmement par une politique de désarmement qui ne concerne pas uniquement les miliciens mais aussi les communautés et qui comporte des opportunités réelles et des sanctions effectives.
Cela suppose de conserver une capacité de contrainte sur les groupes armés, c’est-à- dire, entre autres, de revoir le calendrier de départ de la force française Sangaris et de réduire les capacités de financement des groupes armés. Cette politique permettra de réduire l’attractivité de l’économie milicienne pour la jeunesse centrafricaine. Il faut aussi éviter que le processus électoral ne jette de l’huile sur le feu. A ce titre, les autorités en place devraient réaffirmer l’égalité des droits des musulmans en les enregistrant en tant qu’électeurs, en démontrant l’intérêt du gouvernement pour les populations du nord-est et en diversifiant le recrutement de la fonction publique. Les partenaires internationaux de la Centrafrique et les autorités de transition qui ont le regard braqué sur le processus électoral devraient prendre en compte ces enjeux dans leur stratégie de sortie de crise pour éviter des lendemains d’élections difficiles dans un pays qui n’est aujourd’hui plus qu’un territoire.