Isabelle Gaudeuille est ministre des eaux et forêts de Centrafrique depuis août 2014. Elle fait partie des quelques femmes appelées au gouvernement par la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza. Juriste de formation, elle avait jusqu’alors occupé de hautes fonctions dans l’administration et dans les cabinets ministériels. De passage à Paris, elle a accordé un entretien au « Monde Afrique » alors qu’elle est confrontée depuis cet été à la crise ouverte par les révélations de l’ONG britannique Global Witness sur les liens entre le commerce du bois et le financement des rebelles de la Séléka en 2013.
Vous contestez vigoureusement les accusations de Global Witness. Pourtant, les entreprises forestières elles-mêmes reconnaissent avoir versé des sommes importantes aux rebelles de la Séléka pour acheter leur sécurité et pouvoir continuer à travailler. Ce bois a ensuite été exporté vers l’Union européenne.
Je reproche à Global Witness d’avoir sorti les faits de leur contexte et de vouloir nous ramener en arrière alors que le gouvernement de transition fait des efforts importants pour stabiliser un secteur qui assure environ un tiers des recettes de l’Etat et est le premier employeur privé du pays. Le pays va à nouveau traverser une épreuve délicate avec la tenue des élections et la démobilisation des groupes armés qu’il va falloir intégrer. Nous ne pouvons pas en plus avoir des milliers de personnes au chômage parce que notre bois ne serait plus accepté par l’Europe qui constitue notre principal débouché. Nous demandons à ce qu’on nous fasse confiance. Nous étions engagés dans la négociation d’un accord de partenariat volontaire avec l’Europe qui doit nous permettre d’exporter dans un cadre légal reconnu par tous. La crise a interrompu les discussions. Nous devons maintenant les reprendre et aller jusqu’au bout. Lui seul fera taire les doutes.
Votre ministère a été pillé pendant la crise de 2013 et beaucoup de fonctionnaires ont dû quitter leur poste en province pour s’éloigner des conflits. De quels moyens disposez-vous réellement pour contrôler l’exploitation forestière ?
Je ne vais pas vous dire que je dispose de moyens suffisants. On repart de zéro mais la situation s’améliore. D’abord, les conditions de sécurité dans le sud-ouest du pays où se trouvent les grandes concessions industrielles bénéficient de la présence de la Minusca (Mission des Nations unies pour la stabilisation de la Centrafrique) et des forces de l’ordre centrafricaine. Nous avons redéployé des fonctionnaires en province et tous les postes frontières ont été pourvus. Le ministère a six véhicules dont quatre tout-terrain. Et il ne faut pas oublier le travail de Bivac (filiale de l’entreprise de certification Veritas), qui vérifie la provenance du bois exporté et lève les taxes auprès des exploitants forestiers.
Vous avez un contentieux fiscal avec les exploitants, de quoi s’agit-il ?
C’est exact. Les exploitants forestiers connaissent une situation difficile depuis la crise financière internationale de 2008 et ils ont subi des pertes importantes pendant les troubles de 2013. Nous en sommes conscients et nous en avons tenu compte dans les régimes de taxation. Ceci étant, des arriérés de paiement se sont accumulés et il faut maintenant trouver une solution. Le pays a besoin de cet argent que nous avons évalué à 3 milliards de francs CFA (4,5 millions d’euros).
J’ai par ailleurs commandé un audit pour disposer d’informations précises sur les contraintes qui pèsent sur l’exploitation du bois en RCA. L’enclavement du pays représente une charge importante pour les entreprises qui doivent, en moyenne, acheminer leur marchandise sur plus de 1 000 km, avant d’atteindre le port de Douala (Cameroun). Mais même en tenant compte de ces coûts de transport, je crois que nous faisons beaucoup de facilités. Il faudra trouver un juste prix. Les forêts sont un bien national. Leur exploitation doit profiter à la population.
Dans un récent rapport, l’ONG International Crisis Group estime que la prédation à grande échelle des ressources naturelles par des intérêts privés, avec dans le cas du diamant des dérives criminelles, est une des causes structurelles de l’instabilité de
la RCA. Etes-vous d’accord ?
Il faut être lucide. La Centrafrique n’a pas les moyens d’exploiter seule ses ressources naturelles. Mettre en valeur les mines de diamant, l’uranium, l’or, et les forêts demande d’importants investissements qui imposent aujourd’hui de se tourner vers des partenaires étrangers. Ceci étant, l’Etat doit pouvoir poser ses conditions sur la répartition des revenus et exercer son contrôle. L’utilisation de ces recettes doit ensuite être faite en toute transparence. Dans le cas des forêts, notre position est claire : l’instauration de plans d’aménagement qui garantissent la préservation de la ressource forestière demeure notre priorité et nous allons intensifier les contrôles.
Nous souhaitons que les exploitants aillent vers des normes de certification de gestion durable. Le code forestier adopté en 2008 imposait de transformer sur place 70 % du bois récolté. Aucune société ne respecte ce cahier des charges. Mais je mets en garde contre les amalgames. En 2013, le processus de Kimberley qui garantit l’exportation légale de diamants sur le marché international a suspendu la Centrafrique. L’exploitation ne s’est pas pour autant tarie. Elle a simplement glissé davantage vers le secteur informel en privant les caisses de l’Etat de recettes. Appliquer un tel embargo au secteur forestier conduirait à un marasme.
Laurence Caramel