Le couvre-feu, entré en vigueur dimanche soir à partir de 18 heures jusqu’à 6 heures le lendemain matin, n’a pas suffi à endiguer la vague de violence qui déferle sur Bangui depuis trois jours. Les premiers affrontements ont éclaté après le meurtre d’un jeune taxi-moto musulman vendredi. Aux représailles menées par d’autres musulmans ont répondu les attaques de miliciens anti-balaka, majoritairement chrétiens et animistes. Des violences qui se sont portées en début de semaine contre les autorités de transition et les organisations internationales. Les affrontements ont fait près de 200 blessés et une quarantaine de morts.
Toute la nuit de dimanche, des bandes armées – miliciens anti-balaka pour la plupart, selon le ministre de la sécurité publique – se sont attaquées aux locaux des ONG, pillant les bâtiments de la Croix-Rouge française, de l’Organisation internationale pour les migrations, ou encore de Première Urgence. Lundi, la population a pris le relais, se servant dans les bâtiments désertés par les humanitaires. La force armée de l’ONU en Centrafrique, la Minusca, a dû intervenir pour procéder à l’évacuation de 37 personnels expatriés.
Dans le même temps, des hommes lourdement armés ont tenté de prendre d’assaut la radio nationale avant de s’attaquer à la principale gendarmerie, située à côté du ministère de la défense. L’assaut a été repoussé par les forces de défenses locales puis par la Minusca, appuyée par les forces françaises Sangaris. Cinq assaillants ont été tués dans les affrontements. Le ministre a précisé que deux des corps portaient des uniformes des Forces armées centrafricaines (FACA), sous le coup d’un embargo sur les armes depuis 2013.
Désobéissance civile ou déstabilisation ?
Samedi, des SMS anonymes ont circulé dans Bangui, appelant les Centrafricains à « lapider les véhicules de la communauté internationale ». Au cours du week-end, les rancœurs se sont peu à peu reportées sur l’ONU et les forces françaises, accusées de tous les maux. Gervais Lakosso, qui a un temps représenté la société civile au forum de Bangui, est à la tête de ce mouvement autoproclamé de « désobéissance civile ».
Joint par téléphone, il explique que « la population demande le départ pur et simple des forces françaises Sangaris et le retour immédiat des FACA en tant qu’armée nationale ». Plusieurs députés, qui ont requis l’anonymat, déplorent ces appels qui ne peuvent « qu’attiser la haine ». Un autre dignitaire politique confie que « la grande majorité des FACA ont été, ou sont toujours des anti-balaka. Comment la population peut-elle se laisser manipuler de la sorte ? Comment peut-on vouloir remettre en l’état des forces armées qui ne sont pas prêtes à reprendre du service ? »
Le premier ministre lui-même, dans une allocution la veille, a appelé les Centrafricains à ne pas être dupes de « ceux qui utilisent la violence pour prendre le pouvoir qu’ils ne peuvent pas obtenir par les urnes », en dénonçant dans le même temps « un plan machiavélique de déstabilisation ».
La présidente de transition attendue à Bangui
Partout dans Bangui, les rumeurs les plus folles sur un possible putsch ont circulé dans la journée. Entre 300 et 600 manifestants ont tenté de marcher vers le palais présidentiel au centre-ville. Ils ont été repoussés par les casques bleus rwandais, qui protègent l’enceinte du bâtiment. Trois manifestants auraient été tués et sept autres blessés à la mi-journée par des tirs des hommes de la Minusca, selon une source hospitalière citée par l’AFP. Une information formellement démentie par la force de l’ONU.
Lundi soir, des hélicoptères continuaient de tourner au-dessus des zones de combats. Au sol, les troupes de la Minusca appuyées par Sangaris démantelaient inlassablement les barrières. Aussitôt remontées par les belligérants.
Du côté du gouvernement, Catherine Samba-Panza, la présidente de transition, a annoncé son intention de rentrer rapidement à Bangui. Elle se trouve actuellement à la conférence générale des Nations unies à New York. « Elle veut rentrer ? Bon, on l’attend ici », affirme en rigolant un manifestant perché sur le rond de la place de la République, à quelques centaines de mètres du palais présidentiel.
Le renversement en mars 2013 du président François Bozizé par la rébellion à majorité musulmane Séléka a plongé l’ex-colonie française dans sa plus grave crise depuis son indépendance en 1960, déclenchant des tueries de masse entre communautés musulmanes et chrétiennes en 2013 et 2014. Avant que n’éclatent les violences de ces derniers jours, un référendum sur l’adoption de la nouvelle Constitution – préalable à toute élection – était fixé au 4 octobre. Les opérations de recensement électoral ne sont toujours pas achevées, alors que le premier tour de la présidentielle est fixé au 18 octobre.
Anthony Fouchard contributeur Le Monde Afrique, Bangui