PARIS — Après avoir couvert les soubresauts de violence à Bangui, retour à Paris, dès que l’aéroport Bangui M’Poko était de nouveau rouvert pour les vols internationaux.
A peine à la maison, message de mon contact au ministère français des affaires étrangères : “On doit se voir avec un ami de la défense”.
Rendez vous fut pris dans un bistrot discret de Paris.
Le sujet qui sera abordé sera des révélations sur l’affaire de viols présumés d’enfants en Centrafrique par des soldats français de la Sangaris.
QUESTIONNEMENTS
Des militaires français qui violent des enfants innocents en Centrafrique ? Accusation très grave.
C’est un personnel d’une ONG centrafricaine qui alertera la française Galliane Paleyret sur ces faits qui auraient été commis entre décembre 2013 et avril 2014.
Galliane était à l’époque en mission de 3 mois en RCA.
Et elle ira entendre les enfants déclarant avoir été violés.
Et ces enfants lui donneront des détails sur les présumés violeurs qu’ils ne pouvaient pas inventer : des tatouages, piercing, pendentifs, des prénoms et surnoms des soldats violeurs….
Galliane Paleyret fera immédiatement un rapport circonstancié de son enquête à l’ONU (depuis, gradé confidentiel), et surtout, alertera l’etat major des Sangaris à Bangui.
Etrangement, depuis, le bunker de sable à Bangui M’Poko où les viols présumés eurent lieu a été démantelé.
Pire, les soldats accusés furent immédiatement rapatriés à la métropole.
Si rien ne s’était passé, pourquoi soudainement rapatriés ces soldats ?
L’armée savait donc.
Il faudra un article d’un journal anglais dénonçant les faits pour que la France officiellement intervienne….1 an et demi plus tard.
PARIS SAVAIT-IL ?
C’est ce que deux fonctionnaires des affaires étrangères et du ministère de la défense vont nous édifier sur le sujet.
Pour des raisons évidentes de sécurité, ils ont tous les deux souhaité témoigner sous anonymat.
On appellera notre informateur habituel au ministère des affaires étrangère “Jean Paul”, et celui de la Défense “Pierre”.
– Gilles Deleuze : Vous avez souhaité me rencontrer tous les deux ici, mais vous savez bien que les témoignages sous anonymat ne valent pas grand chose.
– Jean Paul : Gilles, nous témoignons sur une affaire grave que l’Etat français étouffe depuis plus d’une année. Nous ne pouvons témoigner que sous anonymat, étant des hauts fonctionnaires toujours en place. A visage découvert, nous risquons tous simplement nos carrières.
– Pierre : Je ne parlerai que sous anonymat.
– Gilles Deleuze : Très bien, que savez-vous alors de cette sale affaire ? Paris dit ne pas être au courant.
– Pierre : C’est faux. Nous recevons plusieurs fois par semaine des rapports de la Sangaris à Bangui. Et dans une de ces notes, l’enquête de Mme Galliane Paleyret y figurait.
– Gilles Deleuze : Combien de temps après les faits présumés ?
– Pierre : Il me semble que c’était en mai/juin 2014. Ce qui un mois plus tard sera recoupé par le rapport de l’ONU confié au suédois Anders Kompass, directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat des Nations unies.
Anders Kompass, constatant que l’ONU ne ferait rien, transmettra le rapport à la justice française, et fuitera l’info au journal anglais “Le Guardian”.
– Gilles Deleuze : Donc la France savait déjà ?
– Pierre : Evidemment. Le président François Hollande avait dit à l’époque que : “Que la justice devait pleinement faire son travail.”
François Hollande était au courant au plus tard en juin 2014.
– Gilles Deleuze : Mais en mars 2015, Anders Kompass est suspendu par l’ONU, étrange non ?
– Jean Paul : Pas tant que ça. L’ONU voulait étouffer cette affaire, sous la pression des militaires français. L’argument évoqué était que cela fragiliserait la position de la Sangaris en RCA.
Ca vaut ce que ça vaut !
Officiellement, Anders Kompass a été accusé d’avoir divulgué le rapport confidentiel en court-circuitant sa hiérarchie.
En plus clair, il aurait dû faire comme les autres, mettre son mouchoir dessus.
Ce qu’il n’a pas fait.
– Gilles Deleuze : Ce me semble, le parquet de Paris ouvre une enquête, a-t’il vraiment enquêté ?
– Pierre : Etant donné que l’affaire était dévoilée, il fallait faire bonne mesure et ouvrir une enquête pour la forme. Et bien évidemment, le dossier est vide.
Et personne ne peut le consulter, étant donné qu”il n ‘y a pas de parties civiles. Les pauvres enfants violés n’ont pas d’avocats, ne sont donc pas représentés.
– Gilles Deleuze : Pourtant, j’ai lu que des juges étaient allés à Bangui pour auditionner les victimes !
– Jean Paul : Première nouvelle. Ils seraient allé quand à Bangui ? La justice française n’a auditionné aucun de ces enfants.
Allez à Bangui demandez et vous saurez.
– Pierre : L’armée sous pression a fait semblant de mener une enquête sur place. Confiée à la prévôté (des gendarmes), mais pur enfumage; ils n’ont vu personne.
Un an s’est passé, et rien.
Ils ne se sont bougé que parce que l’affaire a fuité dans la presse.
– Jean Paul : J’ajoute que un an après, comme l’affaire a été pourrie, comment voulez-vous juger cela ? C’était le but visé.
Faire traîner afin de décrédibiliser les victimes.
Après c’est parole contre parole, et à ce jeu là, les militaires sont gagnant.
On parle quand même là de l’honneur de l’armée française.
Ca vaut quoi des pauvres gosses là dedans ?
Et de toutes les façons, le parquet de Paris n’a jamais nommé de juge d’instruction pour cette affaire.
Preuve qu’ils s’en foutaient complètement.
– Gilles Deleuze : Il y a tout de même une chose assez comique. Le ministère des armées aujourd’hui dit ne pas avoir été informé au moment de la divulgation des faits, est-ce sérieux ?
– Pierre : Je ne sais pas quel est l’imbécile qui vous a sorti ce mensonge, évidemment qu’on le savait. Galliane Paleyret a alerté la Sangaris en mai 2014 lors d’une réunion. Nous étions informés dans les heures qui suivaient.
– Jean Paul : Dans cette affaire, et c’est très important. On a méprisé les centrafricains.
Le parquet de Bangui n’a même pas été informé de nos pseudos enquêtes.
Imaginez une seconde le barouf que ce serait si c’eut été l’inverse, des militaires centrafricains violant des petits enfants français ?
Ce serait un scandale sans nom en France.
Là les gens s’en foutent.
Et même à Bangui les gens s’en moquent aussi.
Mahamat Kamoun le Premier ministre a dit quelque chose dessus ? La présidente Catherine Samba-Panza a fait une déclaration de protestation ? RIEN !!!!
– Pierre : Tous ne souhaitent qu’une chose, que cette affaire soit enterrée.
– Gilles Deleuze : L’ONU est responsable aussi non ?
– Jean Paul : L’UNICEF, organe de l’ONU s’est occupé de quelques enfants violés et traumatisés. Preuve qu’ils donnaient crédit à cette affaire.
Mais ils ne feront aucune poursuite judiciaire.
D’entrée, l’ONU a décidé d’enterrer l’affaire.
Et il n’y a pas que les français qui violent des enfants et des femmes en RCA, beaucoup, mais beaucoup de soldats africains de la MINUSCA le font.
La MINUSCA le sait, et là encore, si ça ne sort pas dans la presse, on enterre.
– Pierre : Précisons que l’ONU n’a pas pouvoir pour agir en de tels cas. C’est aux pays des soldats d’agir judiciairement contre les contrevenants.
Et en Afrique noire, on sait comment ça se passe…
– Gilles Deleuze : Le parquet de Bangui va ou va ouvrir une enquête, des chances de réussite ?
– Pierre : Si le procureur de Bangui a du temps à perdre, qu’il le fasse.
Et il va inculper qui ? Les 15 français présumés violeurs sont déjà en France ?
– Jean Paul : Une chose importante. Savez-vous que Babacar Gaye, exaspéré par ces affaires de viols était allé s’en plaindre auprès de Ban Ki Moon à l’ONU ? C’est la raison principale de sa démission, outre le fait qu’il ne supportait plus le gouvernement de pieds nickelés en place à Bangui.
Il ne pouvait plus voir la diva Samba-Panza en peinture.
– Gilles Deleuze : Pourquoi vous des hauts fonctionnaires de l’Etat, brîsez le silence ?
– Pierre : Parce que pour mon compte, j’ai un sens de la probité de l’Etat. Et là, nous ne sommes pas probes. On méprise ces gens là, on leur refuse la justice, tout ça parce qu’ils sont pauvres.
La démagogie officielle me rend les nuits difficiles.
– Jean Paul : J’ai des enfants, dont une fille adolescente. Je m’identifie aux parents de ces pauvres enfants violés en RCA.
Dénoncer pour moi est un minimum.
Les centrafricains doivent savoir, car ce ne sera jamais à travers la presse française qu’ils le sauront.