Le bilan des affrontements qui ont secoué la capitale centrafricaine pendant six jours à la fin du mois de septembre est lourd : des dizaines de morts, des centaines de blessés, des milliers de déplacés. Et l’espoir d’une résolution imminente de la crise politique prolongée et complexe qui sévit dans le pays s’amenuise rapidement.
Les dernières violences ont éclaté après que la dépouille d’un conducteur de moto-taxi musulman a été retrouvée près de l’aéroport, situé à l’extérieur de Bangui, le 26 septembre. Les résidents majoritairement musulmans du quartier, connu sous le nom de PK5, sont descendus dans la rue avec des armes et des affrontements ont éclaté avec des anti-balakas, un groupe disparate d’unités d’auto-défense. Des membres des forces armées sont également intervenus.
Les chiffres officiels ont fait état de 61 victimes et 300 blessés à la fin des combats. La Croix-Rouge, qui n’a pas été en mesure d’accéder à certains des quartiers de Bangui affectés par les affrontements, a indiqué que le nombre de victimes était probablement beaucoup plus élevé. Environ 40 000 habitants de la capitale ont fui leur logement. Une église, des mosquées et les bureaux de plusieurs ONG ont été pillés ou endommagés. Près de 600 détenus se sont évadés de la prison principale de la ville.
Ailleurs, des manifestants ont défilé dans le calme contre Catherine Samba-Panza, la présidente par intérim, qui a écourté son séjour à New York, où elle assistait à l’Assemblée générale des Nations Unies, pour rentrer en RCA.
(Mme Samba-Panza est entrée en fonction en janvier 2014, peu de temps après la démission de Michel Djotodia, chef d’une coalition rebelle à majorité musulmane qui était arrivé au pouvoir suite au coup d’Etat de mars 2013. Les attaques commises par les membres de cette coalition contre les civils qui avaient fui la capitale ont déclenché des représailles des milices anti-balakas à majorité chrétienne ; les violences revêtaient en général un caractère religieux).
A qui la faute ?
D’après le gouvernement, les derniers événements ont été orchestrés.
« Au moment même où nous sommes venus annoncer aux Nations Unies les résultats encourageants du processus de la transition qui tend à sa fin, par l’organisation des élections d’ici la fin de l’année 2015, les ennemis de la paix ont une fois de plus porté un coup dur au processus par des violences aveugles, des assassinats et des crimes odieux », a dit Samuel Rangba, le ministre des Affaires étrangères.
La Présidente est allée plus loin, en déclarant que les affrontements qui ont secoué la capitale étaient une « tentative de prise du pouvoir par la force ».
Le premier jour des violences, Dominique Said Paguindji, ministre de la Sécurité publique, s’est entretenu avec les journalistes d’IRIN. Il les a imputées « aux groupes armés qui n’adhèrent pas à la logique de désarmement et veulent diviser le pays » et à « certains acteurs politiques qui sont exclus des prochaines élections ». Il a pointé du doigt l’entourage de l’ancien président, François Bozizé, qui a été chassé du pouvoir par le coup d’Etat de 2013 et qui était à la tête d’un groupe rebelle quand il a accédé aux plus hautes fonctions.
« Tous ces individus ont des intérêts communs, à savoir déstabiliser l’Etat, empêcher la tenue des élections et retarder la transition », a dit M. Paguindji.
Mais l’administration provisoire a également été accusée d’avoir une part de responsabilité dans les violences ; un ancien ministre a évoqué son incapacité à tenir ses engagements concernant le désarmement de la myriade de groupes armés qui sévissent à travers le pays.
Le parti politique de M. Bozizé s’en est pris à la mission de paix des Nations Unies et au contingent de soldats français déployés en RCA, en les accusant « de complicité et d’impuissance », bien que le Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies confère à la mission de paix un pouvoir d’intervention important.
L’aversion de la population à l’égard de ces forces extérieures apparaissait clairement sur les pancartes brandies lors des manifestations de lundi, à Bangui. Certains manifestants ont jeté des pierres sur les véhicules des Nations Unies qui passaient dans les rues.
Un pas en avant, deux pas en arrière
Les violences de la semaine dernière sont intervenues au moment où le pays semblait tourner la page de trois années de conflit ; le calme était revenu dans plusieurs zones, des progrès étaient enregistrés dans la réconciliation, bon nombre de personnes déplacées étaient rentrées chez elles et la préparation des élections avait débuté. Tout cela est menacé.
« Cette situation montre que la paix et la réconciliation sont encore fragiles et qu’il faut un soutien plus solide et durable pour que le pays ne retombe pas dans un cycle de violence généralisée », a dit M. Rangba, le ministre des Affaires étrangères.
Charles-Armel Doubane, ancien ambassadeur de la RCA aux Nations Unies et candidat à l’élection présidentielle, n’y est pas allé par quatre chemins. « Deux années de dur labeur en faveur de la cohésion sociale et de la reconstruction nationale sont parties en fumée », a-t-il dit à IRIN.
Concernant les élections présidentielles et législatives, qui doivent se tenir le 18 octobre et le 22 novembre, Mme Samba-Panza a reconnu lors de son séjour à New York qu’elles risquaient d’être reportées. Rares sont les Centrafricains qui parient sur le maintien du calendrier électoral.
Discours trompeur
Les chefs religieux ont appelé les citoyens à ne pas accepter la présentation trop simpliste de la crise qui secoue la RCA, une présentation souvent reprise par les médias et selon laquelle il ne s’agit que d’une lutte fratricide entre des communautés rivales, les musulmans et les chrétiens.
« Tout le monde sait qu’il suffit d’enlever un individu, de le tuer, de lui donner l’apparence d’un musulman et de le ramener ici (dans le PK5) pour que tous les habitants du PK5 se soulèvent », a déclaré Ali Ousman, coordinateur des organisations musulmanes du pays, lors d’une grande manifestation qui a eu lieu dimanche.
Telles sont les tactiques cyniques employées par les individus responsables des violences, a-t-il expliqué, avant de dire que ces personnes sont des « ennemis de la paix et de ce pays, des politiciens nostalgiques du pouvoir, qui ont perdu le pouvoir et veulent le reprendre par la force ».
L’Archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapailianga, qui est l’homologue de M. Ousman au sein de la Plateforme interconfessionnelle pour la paix en RCA, a tenu un discours identique à l’hebdomadaire catholique La Croix.
« La crise que nous traversons n’est pas une crise religieuse », a-t-il dit au magazine. « Des individus profitent de ces problèmes pour attiser les braises. Ils sont toujours prêts à en découdre et à descendre dans la rue avec des armes. [Les armes sont] omniprésentes à Bangui, car le désarmement n’a pas été efficace ».
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Et maintenant ?
Presque tout le monde en RCA sait que la priorité la plus imminente est le désarmement de tous les groupes non étatiques. La question est : comment y arriver ? Après tout, il y a déjà eu plusieurs tentatives infructueuses au cours de ces dernières années.
A son retour de New York, la présidente Samba-Panza a dit que le processus devait se faire sans discrimination et qu’il ne fallait pas employer la force contre les individus récalcitrants à rendre leurs armes.
M. Doubane, un candidat à l’élection présidentielle, a dit à IRIN qu’il était « de la responsabilité du chef de l’Etat de réunir les principaux acteurs du pays, quelles que soient nos différences, pour parler et trouver les moyens de restaurer la sécurité en RCA immédiatement.
« Cela inclut le désarmement, qui ne peut pas attendre et doit être mené par la communauté internationale représentée par [la mission des Nations Unies et la mission française] et nos propres forces de défense ».
L’organisation réussie des élections et une participation satisfaisante au scrutin « offriraient à notre pays une chance de revenir à la normalité, de retrouver sa stabilité et de mettre en place des institutions crédibles », a-t-il ajouté.