Du 9 au 13 septembre 2015 s’est tenu à Bangui, le Forum pour la promotion du secteur privé en Centrafrique, conformément à la vision de la Présidente de la transition, Catherine Samba Panza. D’aucuns diraient voilà encore un forum et des recommandations à ranger au placard. » Certes, ce paradoxe est réel, mais la particularité du Forum économique est qu’il s’est achevé sur des notes d’espoir, notamment la mobilisation des partenaires autour des problèmes récurrents de l’économie centrafricaine, le financement, l’environnement des affaires, l’émergence d’une bourgeoisie nationale, une main d’œuvre qualitativement et quantitativement disponible. Afin de préparer, d’organiser ce forum et éventuellement d’en assurer le suivi des recommandations, Samba Panza a fait confiance à un homme, Théodore Jousso, Ministre-conseiller à la Présidence de la République, Chargé des investissements. Jousso est donc ce technocrate centrafricain qui, fort de ses 20 ans d’expérience en tant que Directeur de cabinet du DG de l’ASECNA à Dakar, dans une approche innovante de Partenariat public/privé, a pu lever 70 milliards de F. Cfa en vue de la mise aux normes de la plateforme aéroportuaire de Bangui Mpoko, alors qu’il était Ministre de l’Aviation civile en 2012. Avec lui, Corbeaunews revient sur les enjeux de ce forum.
Corbeaunews Centrafrique (CNC) : D’où est venue l’idée d’un forum économique en cette période de transition?
Théodore Jousso (TJ) : L’initiative du forum provient de Madame la Présidente de la République, Chef de l’Etat de la transition. Vous vous souvenez, dans son allocution à la Nation du 1er décembre 2014, elle annonçait la décision d’organiser un forum des opérateurs économiques. C’est à ce titre justement que le forum qui a été organisé du 9 au 13 septembre dernier a été placé sous son très haut patronage. Alors, le Cabinet présidentiel s’est saisi du dossier et a essayé donc de l’organiser de manière paritaire avec les opérateurs économiques, notamment les organisations patronales (GICA, UNPC, les Associations des commerçants…), puis le ministère du Commerce et de l’industrie a été sollicité pour coiffer l’ensemble de l’organisation.
CNC : Quelle idée a-t-elle guidé les travaux préparatoires de ce forum?
TJ : De manière pratique, on a mis en place des Sous-commissions, à savoir une Sous-commission technique, une Sous-Commission logistique et communication et une Commission finance et budget. Nous avons travaillé en synergie et de manière transversale où à chaque fois en cas de besoin, on tient des réunions à l’occasion desquelles les Sous-commissions font le point de l’avancement des préparations dans chaque secteur d’activités.
Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que très tôt, on s’est rapproché du Ministère de l’Economie, du plan et de la coopération internationale pour voir comment on peut définir une vision économique de notre pays. A ce moment, les experts du Ministère de l’Economie nous ont parlé de la croissance accélérée qui repose sur le développement de trois grappes de croissance : Agriculture, Forêt et Mines. Sur cette base, nous avons pu élaborer les termes de référence de ce Forum ; on a pu définir ensemble les objectifs généraux, les objectifs spécifiques, ainsi que les résultats attendus.
Une fois que l’agenda a été calé, nous avons discuté sur le format du forum en ce qui concerne sa durée, soit en trois jours soit en cinq jours. Mais, les partenaires ont insisté sur cet aspect, indiquant que c’est l’occasion au grand jamais d’approfondir les discussions avec l’administration publique sur le contexte économique qui est étroitement lié au contexte politique. Car, l’économie a été ravagée et qu’il faudrait rentrer dans une phase de reconstruction et de relance des activités économiques qui est inscrit dans le quatrième pilier de la feuille de route du Gouvernement de transition. Cependant, la relance de l’économie que nous avons envisagée s’est opérée avec une forte mobilisation des opérateurs économiques du secteur privé, d’où l’objet de ce forum sur le secteur privé. En de termes simples, nous pensons que le secteur est créateur de richesses et d’emplois et peut impacter directement sur la réduction de la pauvreté, afin de lutte de manière efficace contre le chômage des jeunes. Alors, nous avons estimé que pour stimuler le secteur privé à tirer l’économie à partir des trois grappes de croissance, il faut améliorer le climat des affaires.
CNC : Qu’en est-il de son déroulement?
TJ :
S’agissant du déroulement proprement dit du Forum, nous l’avons construit autour de trois pôles d’activités.
Le premier pôle d’activités concerne les exposés-débats. Ici, nous avons retenu sept thèmes que nous avons débattu avec nos partenaires durant deux jours pleins. Je profite d’ailleurs de vos colonnes pour leur exprimer tous les remerciements du gouvernement, car d’eux nous avons bénéficié des contributions très engagées en termes de contribution financière, matérielle et surtout intellectuelle. Il y avaient plus de vingt (20) experts de plus haut niveau qui sont venus de la Société financière internationale, de la Banque Mondiale, de l’Agence française de développement, de l’Organisation des Nations unies pour le l’investissement industriel, etc. Durant ces deux jours, nous avons examiné successivement les opportunités d’investissements en Centrafrique sous forme de film documentaire ; nous avons revisité toute la politique fiscale du pays, les enjeux d’élargissement de l’assiette fiscale et d’incitation aux investissements à travers la Charte nationale d’investissement tout en soutenant le secteur privé et en maintenant une pression fiscale minimale pour permettre aux opérateurs économiques de se développer. Nous avons aussi débattu sur le dispositif d’accueil et l’accompagnement des PME où la parole a été laissée beaucoup plus aux opérateurs économiques pour exprimer leurs attentes ; l’examen de l’adéquation de l’éducation et de la formation dispensées dans nos écoles et l’emploi où il a été question de voir si les entreprises se retrouvent dans le paysage des étudiants qui sortent de nos instituts de formation, est-ce que ces compétences répondent aux besoins du marché de l’emploi. A partir d’un exposé fait par le Directeur général de l’Agence centrafricaine pour la formation professionnelle et l’emploi, nous nous sommes aperçu que le dispositif aujourd’hui est très faible, il faut le diversifier, le consolider, le construire de manière à former des gens prêts à l’emploi. L’autre thématique abordée concerne la problématique du financement des PME où nous avons organisé un panel qui a regroupé plusieurs institutions de finances et du marché financier de l’Afrique centrale, de la Banque des Etats de l’Afrique centrale, de l’Association professionnelle des banques de la place, les organismes de micro-crédits en présence du Fonds africain de garantie et de coopération économique et des opérateurs économiques représentés par l’organisation patronale. Ce panel a été très riche en débats parfois houleux et chacun a pu exprimer ses attentes et je pense que les établissements financiers ont écouté le message émis par les opérateurs économiques qui souhaitent davantage d’écoute, de proximité au problème de financements de PME. A cet égard, je suis heureux de vous annoncer que l’Autorité des marchés financiers de l’Afrique centrale va organiser ici à Bangui, du 25 au 26 nombre prochain, le premier atelier sur la problématique de financements en termes de mécanismes innovants sur les fonds d’investissement.
La problématique de l’entreprenariat féminin et de l’autonomisation des femmes été abordée, surtout quand on sait que lorsqu’on donne à la femme la possibilité de s’épanouir, elle tire toute sa famille, toute la communauté vers le haut. Cela a été présenté par l’Association des femmes d’affaires de Centrafrique avec des cas concrets de réussites et d’échecs et les femmes ont formulé des recommandations fortes pour qu’on puisse développer les groupements féminins et le réseau d’affaires des femmes en Centrafrique.
Enfin, nous avons abordé le commerce transfrontalier dans le processus d’intégration régionale en zone CEMAC. Un expert de la Commission nous a présentés le commerce intra-régional et comment faire développer les échanges entre les pays d’une même zone monétaire et économique.
Le deuxième d’activités concerne les travaux en petits groupes. Il y a eu trois Ateliers sur les grappes de croissance, notamment les ateliers sur l’Agriculture, la Forêt et les Mines, plus un quatrième atelier qui est transversal et qui s’attaquait donc au climat des affaires. Avec le concours de la Société financière internationale qui a dépêché des experts de haut niveau et qui ont revisité le processus d’évaluation de chaque pays dans le classement Doing Business établi par la Banque Mondiale et concomitamment, quels sont les réformes qu’il faut engager pour améliorer le climat des affaires dans notre pays et surtout le classement de notre pays dans le Doing Business qui est en quelque sorte, la carte d’identité d’un pays vis-à-vis des investisseurs en termes de sécurité physique, juridique, et d’opportunité. Tout cela doit nous permettre d’attirer davantage les investisseurs dans notre pays.
Le troisième pôle d’activités enfin, ce sont les rencontres d’affaires en marge des travaux. C’est-à-dire que les gens se rencontrent dans les salons, ils discutent affaires, ils discutent de la suite à donner au forum. A cet égard, je peux vous dire que la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale va ouvrir très bientôt son bureau de liaison ici à Bangui, notamment dans le cadre de cette recherche de proximité avec les opérateurs économiques. La Société financière internationale elle-aussi, va bientôt rouvrir son bureau en Centrafrique en vue d’ouvrir ses guichets aux opérateurs économiques. Il y a également le séminaire de COSUMAF sur les mécanismes innovants de financements.
Tout cela pour dire qu’il y a une suite à donner à ce forum. Je dirais par exemple que plusieurs sociétés chinoises sont arrivées ici, elles ont rencontré Madame la Présidente de la République et je les ai conduites dans les ministères qui représentaient leur centre d’intérêt, notamment le Ministère de l’Agriculture pour la commercialisation du coton, le Ministère de l’Energie pour pouvoir nous installer plus rapidement une augmentation des capacités de production, puis le Ministre de l’Equipement et des Travaux publics pour ce qui concerne le développement des infrastructures.
CNC : Au-delà du succès organisationnel, quels sont les véritables enjeux de ce forum?
TJ : Parlant de l’enjeu de ce forum, je dirais qu’il y a eu beaucoup d’engouements autour de ce forum. Nous avons prévu d’accueillir 250 personnes dont cinquante personnes venues de l’étranger et deux cent d’ici. Finalement, nous avons distribué plus de cinq cent badges et dans les ateliers, nous avons enregistré presque trois cent personnes de manière permanente durant les cinq jours du Forum. Cet engouement nous rassure non seulement de la suite qu’il conviendrait de donner à ce forum, mais aussi de l’engagement et du sens élevé de responsabilité dont ont fait preuve les opérateurs économiques du pays. Nous avons vu tous les segments depuis les ‘’Wali-gara’’, les ‘’Boubanguéré’’, les toutes petites entreprises et les grandes entreprises qui ont des filiales de taille mondiale et chacun de façon spécifique a pu dialoguer avec l’administration pour faire part de ses préoccupations et les facteurs de blocage qui inhibent le développement de ses activités dans la perspective de construire ensemble un partenariat public/privé.
CNC : Qu’en sera-t-il des gages politique et populaire de mise en œuvre des recommandations de ce forum?
TJ : J’aimerais tout simplement rappeler le passage de l’allocution de Madame la Présidente de la République, Chef de l’Etat de transition à la cérémonie de clôture qui disait en substance, ‘’la graine de l’espérance a été plantée’’. Donc, il nous appartient à nous tous, enfants de ce pays de venir, par nos mains, arroser cette plante de l’amener à maturité, de manière à partager demain les fruits de cette plante. Je crois que c’est l’idée forte de ce Forum. C’est que nous avons posé les bases de la relance des activités économiques de notre pays, lesquelles activités sont basées sur les grappes de croissances que sont l’Agriculture, la Forêt et les Mines, auxquelles il faut ajouter bien évidemment les facteurs de production, notamment l’énergie et les infrastructures.
CNC : Quelles sont les retombées de ce forum pour l’économie centrafricaine exsangue?
TJ : Les retombées sur l’économie nationale sont nombreuses en termes de perspectives et de promesses. Ce sont des promesses qu’il faut maintenant concrétiser par un travail toujours soutenu. C’est-à-dire que le même élan d’efforts qui a prévalu lors de la préparation du forum doit être le même engagement qui doit guider aujourd’hui pour conduire les réformes. Il y a, à cet effet, plusieurs types de réformes, à savoir des réformes immédiates à mettre en œuvre, il y en a à court terme, certaines à moyen terme et d’autres encore à long terme. Il y a des réformes qui nécessitent de mobiliser des ressources financières ; d’autres pas. Donc, celles qui ne nécessitent pas des ressources financières doivent être engagées très vite sous forme de préparation des textes organiques, des décrets d’application.
CNC : Quelles en sont les contraintes possibles et comment les contourner?
TJ : Tout naturellement il y a des contraintes à la mise en œuvre des recommandations de ce forum, qui sont de divers ordres. Il y a des contraintes liées à la mobilisation des ressources financières étant entendu que le tissu économique au niveau intérieur est très faible. Il faut donc penser à l’épargne au niveau de la Sous-région et l’Autorité de régulation des marchés financiers va nous accompagner à mobiliser les ressources au niveau de la Sous-région pour nous permettre de développer un certain nombre d’activités. D’ores et déjà, les partenaires techniques ont vu l’engouement suscité par le forum et nous ont encouragés à continuer à travailler dans ce sens. Je pense qu’avec les bonnes volontés et le travail d’équipe qui a prévalu lors des travaux préparatoires du forum, durant le déroulement du forum et même après le forum, nous pouvons ensemble engager les réformes pour aller vers l’amélioration du climat des affaires dans notre pays.
CNC : Monsieur le Ministre, je vous remercie.
Bangui, Fred KROCK Pour CNC