La propagande dominante confine la République centrafricaine au rang de pays arriéré, archaïque et miséreux où l’on ne peut rien faire. Les hommes et les femmes y sont encore à se découper à la machette et on n’hésite pas à y manger de la chair humaine. Aucun progrès n’y est possible, dira-t-on. L’instabilité chronique, l’insécurité totale, les guerres et autres coups d’État à répétition viennent corroborer la thèse d’un État immature qui ne peut hélas vivre sans tuteurs. Les hommes politiques centrafricains seraient tout aussi immatures et manipulables à souhait. Ils seraient ainsi interchangeables au gré des intérêts du dominateur temporaire ou permanent.
Au-delà d’un cliché très bien entretenu et surtout d’une propagande savante généralement inspirée par des faits incontestables, il faut reconnaître que la République centrafricaine est comme un pays endormi parce qu’ivre mort de ses propres turpitudes. Elle souffre de mille maux décrits souvent avec beaucoup d’emphase par nombre d’observateurs et dénoncés avec beaucoup de véhémence par les politiques. Il s’agit d’un sommeil hélas très profond souvent parcouru de mille cauchemars.
1 – La République centrafricaine : un pays immensément riche, mais terriblement pauvre
Il y a des données géographiques et géologiques irréfutables qui viennent confirmer l’existence des potentialités immenses avec des ressources naturelles multiples et variées qui font de la République centrafricaine un pays potentiellement très riche. Citons pêlemêle un climat plus que favorable avec une pluviométrie abondante et un réseau hydrographique dense. Des terres très fertiles, mais hélas encore sous-exploitées. Un potentiel agricole énorme, dont seulement une infime partie est mise en valeur.
Voilà un pays qui, en dépit son enclavement, pourrait être en mesure d’atteindre l’autosuffisance alimentaire pour peu que l’on eût voulu s’y consacrer, car il produit la quasi-totalité de l’alimentation de sa population avec le manioc comme la denrée de base. Bien évidemment, certains besoins ne sont encore satisfaits que grâce à des importations en provenance des pays voisins : farine de blé, sucre raffiné et tabac, sel, etc.
La République centrafricaine, ce n’est pas seulement l’agriculture. C’est aussi un pays d’élevage. Seule, la moitié des 16 millions d’hectares de pâturage est exploitée pour l’élevage d’un cheptel qui compte au moins 4 millions de bovins transhumants dont l’élevage est pratiqué de manière traditionnelle par 25 000 pasteurs. Ici encore la marge de progression est énorme, car les pâturages de la République centrafricaine peuvent facilement supporter un effectif de plus de 8 millions de têtes de bovins dans les conditions actuelles.
En plus de l’agriculture et de l’élevage, la sylviculture est un atout de premier choix. En effet, la République centrafricaine dispose d’une grande diversité d’écosystème qui comprend des ressources forestières avec d’immenses potentialités fauniques et halieutiques. Une forêt dense et humide répartie sur 5,6 millions d’hectares avec un potentiel de 3,8 millions d’hectares de forêts utiles dont 2,8 millions sont sous concession d’exploitation.
C’est dit et répété : la géologie de la République centrafricaine est une anomalie positive. Si notre pays est mondialement reconnu comme producteur d’Or et du Diamant, on ne parle pas ou très peu de toutes les autres ressources minières non encore exploitées. En effet, sans être exhaustif l’inventaire le plus récent du sous-sol centrafricain a recensé d’immenses ressources minières avec près de 480 indices minéraux répartis sur toute l’étendue du territoire, dont l’Uranium, le Fer, le Cuivre, le Calcaire, le Manganèse, l’Étain, le Nickel, le Chrome, pour ne citer que ceux-là.
Débutées en 1969, les explorations pétrolières ont abouti en 1972 à la découverte du pétrole dans la Vakaga, plus précisément à Gordil à la frontière avec le Tchad. Le gisement Boromata est découvert par les Chinois en 2009 à la frontière avec la République du Soudan. Le Gisement de pétrole de Carnot plus prometteur intéresse les Sud-africains au premier chef. Des indices concordants montrent qu’il pourrait y avoir dans le Bamingui et probablement dans la Lobaye.
La réalité, il faut le rappeler, c’est que la République centrafricaine est un pays de paradoxes : voilà un pays immensément riche, mais qui est en même temps un pays terriblement pauvre. Le peuple y croupit dans la misère la plus abjecte.
2 – Les ressources naturelles sont-elles source de malédiction ?
De telles richesses suscitent bien évidemment l’appétit dévorant des uns et la cupidité pathologique des autres. La tentation est parfois grande pour certains d’attiser des guerres fratricides pour sinon faire main basse sur les ressources naturelles de la République centrique, du moins les acquérir à vils prix.
Pendant la colonisation, l’Oubangui-Chari était un pays que se sont partagé des sociétés concessionnaires. Les richesses du sol et du sous-sol leur appartenaient d’office. Ils en faisaient ce qu’ils voulaient. Les choses ne semblent pas fondamentalement changer avec l’indépendance même s’il n’y a plus de société concessionnaire à proprement parler. Elles sont remplacées par des sociétés multinationales qui poursuivent les mêmes objectifs et défendent les mêmes intérêts.
Toujours est-il que les ressources naturelles sont aujourd’hui sources de bien de malheurs : braconniers, zaraginas, coupeurs de routes sèment la mort partout et érigent des barrières sur toutes les routes. Séléka et Anti-balakas comme bien d’autres sont installés dans les zones de diamants. Ils exploitent et vendent les pierres précieuses en toute illégalité. Le Bois centrafricain est bradé par les mêmes flibustiers. Par ailleurs, il est intéressant de constater que la guerre, initiée par la Séléka en 2012 et qui perdure encore aujourd’hui, a commencé dans deux zones géographiques précises (frontière avec le Tchad et frontière avec le Soudan) où on a découvert du pétrole. Ce n’est pas du hasard lorsque la velléité de division du pays répond en échos à cette guerre.
Il est grand temps que les ressources naturelles et les richesses de la République centrafricaine profitent au peuple centrafricain. Les ressources naturelles dont elle regorge ne doivent pas être considérées comme sources de malédiction. Bien au contraire, bien gérées, elles peuvent être de puissants facteurs accélérateurs du développement de notre pays. Pour cela, il faut remplir deux conditions préalables : tout d’abord, l’État centrafricain doit exercer sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles et ensuite il doit pratiquer une gestion responsable des ressources naturelles.
3- Exercer la souveraineté permanente de l’État sur les ressources naturelles
Le droit des peuples à l’autodétermination ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe intangible du droit international. Cette norme impérative reconnaît à chaque peuple le droit de déterminer en toute souveraineté la forme de son État et de poursuivre en toute liberté son développement. La résolution 1803 de l’ONU du 14 décembre 1962 consacre le principe de la souveraineté permanente des États sur les ressources naturelles. C’est le corolaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce principe, chaque État a le droit d’utiliser, d’exploiter et de disposer des richesses et des ressources naturelles présentes sur son territoire. Autrement dit, aucun peuple ne peut ou ne doit être privé de ses moyens de subsistance.
Exercer la souveraineté permanente de l’État centrafricain sur les ressources naturelles de la République centrafricaine, c’est dénoncer les accords signés en catimini dans des conditions obscures avec certaines puissances. C’est aussi remettre à plat et renégocier tous les contrats signés dans des conditions qui défient la transparence et plus particulièrement tous les contrats signés dans cette période trouble de la transition. Tout ce qui est faux se fait généralement à l’abri des regards. Pour être maître de son destin, le peuple centrafricain doit redevenir propriétaire de ses richesses.
4- Pour une gestion responsable des ressources naturelles
Les ressources naturelles sont de puissants leviers du progrès de la République centrafricaine. Elles ne sont ni inépuisables ni inviolables. Malheureusement, la gestion opaque adossée à l’anarchie et doublée de la goinfrerie morbide de certains dirigeants qui ne se découvrent l’âme d’hommes d’affaires que dès leur accession au pouvoir a fini par pervertir la réalité.
Les ressources naturelles ne profiteront au peuple centrafricain que si l’État applique une gestion responsable appuyée sur les quatre piliers suivants : planification, rigueur, transparence et résultats.
La gestion responsable des ressources naturelles est une démarche éthique qui privilégie l’utilisation rationnelle des ressources naturelles au seul bénéfice du peuple centrafricain. Elle est faite de rigueur et d’honnêteté, basées sur la volonté de combattre les fraudes, les détournements, la gabegie, la concussion et la corruption. Elle privilégie le contrôle et l’évaluation. Ainsi chaque dirigeant doit rendre compte de sa gestion et le citoyen de base doit avoir un droit de regard et son mot à dire tandis que la société civile doit être impliquée dans les décisions stratégiques.
En guise de conclusion
Le cycle de la misère, de la guerre et de la destruction est sur le point de s’achever. La République centrafricaine va bientôt entrer dans un nouveau cycle de paix, de l’unité et de prospérité. La valorisation des ressources naturelles va contribuer à l’avènement du Centrafrique nouveau.
Il y a 50 ans les Émirats arabes n’étaient qu’un vulgaire pays arriéré qui n’avait ni eau courante ni électricité où les tribus en guerre se décapitaient avec du sabre. Aujourd’hui, Doubaï est devenu le centre du monde où il fait bon vivre et faire des affaires. Cela n’a été possible que grâce à la découverte du pétrole dans les années soixante dont les recettes ont été judicieusement réparties et investies au profit du peuple.
Si le modèle rwandais est fascinant en ce qu’elle est la meilleure illustration de la résilience d’un État après un génocide, le développement économique de Singapour devait nous inspirer. Comment une petite île ne disposant d’aucune richesse comme l’or, le diamant ou le pétrole peut-il avoir une économie si prospère au point d’être plus riche que la France en 2014 (Banque Mondiale) en termes de PIB ?
La République centrafricaine a vocation à être la locomotive du développement de l’Afrique en général à la condition de se réveiller de sa torpeur. En effet, quand la République centrafricaine pacifiée, unie et réconciliée s’éveillera, le miracle s’accomplira et l’Afrique tout entière se réjouira.
Alain LAMESSI