Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a entamé lundi 7 juillet une visite de deux jours en Centrafrique. Dans un entretien accordé mardi à la radio nationale centrafricaine, il a notamment déclaré qu’« il n’y a pas d’avenir pour la Centrafrique s’il n’y a pas de cessez-le-feu » entre les groupes armés qui s’affrontent depuis des mois. Dans un pays torpillé par la violence, la présidente par intérim n'est toujours pas parvenue à reconstituer un véritable État.
JOL Press : Onze soldats français ont été blessés la semaine dernière à Bambari et Bangui, et plusieurs personnes sont mortes ce week-end à Dékoa. À quoi est dû ce regain de violence qui frappe la Centrafrique ?
Philippe Hugon : Il y a en effet un regain de violence. Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian est d’ailleurs présent en ce moment dans ces zones touchées. Depuis l’intervention de la Séléka qui a conduit à la chute de l’ex-président Michel Djotodia [en janvier 2014, ndlr], la Centrafrique est toujours dans une situation extrêmement précaire. Ce que l’observe, c’est le fait que les ex-Séléka, qui sont essentiellement originaires du nord ou liés au Tchad et qui sont constitués en partie de militaires de l’armée centrafricaine, sont très présents sur le terrain et notamment dans le nord et l’est du pays. Les affrontements avec les anti-balaka prennent des formes interreligieuses depuis des mois, et notamment depuis l’intervention de la force française Sangaris en décembre 2013. On peut dire qu’il y a effectivement une recrudescence de la violence, mais que celle-ci ne s’est jamais arrêtée.
JOL Press : Quel est le but de la visite de Jean-Yves Le Drian en Centrafrique ?
Philippe Hugon : C’est la 7ème visite du ministre de la Défense dans le pays. Il est présent à la fois pour des questions militaires – il doit notamment rencontrer les forces françaises qui sont intervenues à Bambari – mais également pour des questions politiques. Il doit ainsi rencontrer le chef d’État, Catherine Samba-Panza, pour voir comment renforcer progressivement l’armée centrafricaine et faire en sorte que des élections puissent avoir lieu dans un délai assez proche. Il y a donc évidemment, à l’issue de cette crise, une solution qui est d’ordre politique. Une des questions majeures en ce moment est de savoir si les ex-Séléka peuvent être davantage représentés au sein du gouvernement.
JOL Press : Pourquoi la présidente de transition Catherine Samba-Panza est-elle actuellement critiquée ? Et pourquoi les autorités centrafricaines n’ont-elles pas réussi à enrayer la violence ?
Philippe Hugon : C’est vrai qu’il y a actuellement une critique assez forte de Mme Samba-Panza par rapport à la politique qu’elle mène depuis qu’elle a été élue chef d’État par intérim. Ces critiques viennent à la fois de la France et de l’Union africaine. Il faut savoir que la situation centrafricaine est extrêmement complexe : le pays n’est pratiquement plus contrôlé, les deux forces qui s’affrontent – ex-Séléka et anti-balaka – contrôlent l’essentiel des ressources du pays, c’est-à-dire l’or et le diamant. Il n’y a pas eu de véritable reconstitution politique, et l’armée et les forces de sécurité centrafricaines sont totalement en situation de délabrement. Il y a donc un nombre considérable de défis et, quelles que soient les qualités de Mme Samba-Panza, elle est dans l’incapacité de reconstruire véritablement un État et de faire en sorte que la sécurité soit à minima assurée.
JOL Press : En septembre prochain, la mission de l’ONU doit prendre le relai. Pensez-vous qu’elle sera efficace ?
Philippe Hugon : C’est vrai que la MISCA [Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine] va se transformer, le 15 septembre prochain, en MINUSCA. Il y aura des forces des Nations unies, et les forces africaines interviendront sous le contrôle de l’ONU. Ces forces sont évidemment indispensables – il y aura vraisemblablement plus de 10 000 hommes – mais il suffit de voir le pays voisin, la République démocratique du Congo (RDC) avec la MINUSCO pour savoir que les forces des Nations unies ne sont pas suffisantes pour pouvoir assurer la reconstitution d’un État. La question est à la fois interne à la Centrafrique (comment reconstituer un État) et externe, afin de savoir si les forces étrangères peuvent avoir des mandats plus importants pour assurer la sécurité en attendant que les forces centrafricaines ne l’assurent.
JOL Press : Quels problèmes ce conflit pose-t-il sur l’exploitation illégale des ressources (diamant, or...) ?
Philippe Hugon : Il y a d’une part le fait que les groupes armés s’autofinancent par le contrôle de ces ressources naturelles. Il y a également le fait que ces ressources sont évidemment contrôlées hors de toute légalité, donc par la contrebande, et le fait qu’elles ne permettent pas de reconstituer l’appareil d’État puisqu’elles échappent ainsi aux potentielles ressources budgétaires. Or la Centrafrique doit reconstituer son armée et son administration mais pour ce faire, il lui faut des ressources, et notamment naturelles, dont le pays est riche (diamants et or, mais aussi pétrole et d’autres ressources pourraient être exploitées). Actuellement, la Centrafrique est dans une économie qui fonctionne de manière totalement illégale, par la contrebande et par le contrôle de ces ressources par les groupes armés.
JOL Press : Selon vous, les forces françaises sont donc destinées à rester encore longtemps ?
Philippe Hugon : Je pense que ces forces ont été absolument indispensables pour éviter un chaos encore plus grave, et elles sont hélas présentes encore pour un long moment à mon avis.