Le pape François est un homme déterminé. Difficile de lui faire changer d’avis. C’est pourtant ce qu’espèrent le ministère de la défense et l’état-major français, qui voudraient éviter sa venue à Bangui, la capitale centrafricaine, les 29 et 30 novembre. Une discussion est en cours entre le Vatican et Paris pour tenter de le convaincre de raccourcir, voire d’annuler cette visite. « Nous avons fait savoir aux services de sécurité du pape qu’il s’agissait d’une visite à hauts risques », confiait-on dans l’entourage du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, en marge du deuxième Forum pour la sécurité en Afrique de Dakar, mardi 10 novembre.
Le déplacement est prévu à quelques semaines d’élections à hauts risques, dans ce pays déchiré depuis deux ans par des violences entre les milices musulmanes de l’ex-Séléka au pouvoir et les anti-Balaka à majorité chrétienne, et la crainte est grande que les deux camps ne s’échauffent à cette occasion. A Bangui, les autorités de transition, conduites par Catherine Samba Panza, ont le plus grand mal à rétablir le calme dans le pays avec l’aide des 9 000 casques bleus de la force des Nations unies (Minusca) et des 900 soldats français de l’opération Sangaris. Un référendum constitutionnel doit se tenir le 13 décembre, suivi d’élections législatives et présidentielle, afin d’installer un gouvernement. En outre, la visite pontificale devrait attirer des centaines de milliers de croyants venus des pays voisins, dont la venue en masse ne manquera pas de fragiliser durant quelques jours un pays en ruine.
Aucun renfort français
Le message est clair : il n’y aura aucun renfort français pour la sécurité du pape. La force Sangaris, dont l’action est concentrée sur la capitale, « a une mission claire », ajoute-t-on dans l’entourage de M. Le Drian : « c’est sécuriser l’aéroport et permettre l’évacuation en cas de crise. On ne pourra faire plus. » L’état-major a amorcé ces derniers mois un désengagement de ses effectifs, la force étant censée retrouver en 2016 le niveau de l’ancienne force Boali, présente jusqu’à la fin 2013 (autour de 450 hommes). Mais la manœuvre a été contrariée. « Nous avons constaté depuis plus d’un mois un regain de violence », a expliqué le ministre. « Des groupes extrémistes se rendent compte que le processus électoral est en train d’avancer, l’arrivée d’un pouvoir politique élu peut inquiéter ». Sangaris, a précisé M. Le Drian, maintiendra 900 hommes pendant la période électorale. Ensuite, « il appartiendra à l’autorité élue de dire comment elle veut installer son armée, celle de la République centrafricaine ».
« Le pape parle à Dieu, alors ce qu’on peut dire… »
Le pape tient à être présent à Bangui. Dix jours avant le début officiel de l’Année sainte de la miséricorde, le 8 décembre, il veut y ouvrir une « porte sainte » dans la cathédrale Notre-Dame. Ce serait la première fois qu’un jubilé ne serait pas lancé par l’ouverture de la « porte sainte » de Saint-Pierre de Rome. Ce serait le signe, a déclaré le pape le 1er novembre, de « la proximité (…) de toute l’Eglise envers cette nation si affligée et tourmentée ». Franchir ces « portes saintes » permet aux fidèles d’accomplir un parcours pénitentiel pour obtenir le pardon de leurs péchés.
Du côté de la défense française, on évoque plusieurs hypothèses, sans cacher que la dernière est privilégiée : soit François effectue ses deux demi-journées comme il l’a envisagé dans la capitale centrafricaine, soit il limite sa présence à quelques heures, soit il accepte d’annuler. « Mais vous savez, le pape parle à Dieu, alors ce qu’on peut dire… », commente-t-on dans l’entourage du ministre français. Pour l’heure, d’après les informations en provenance du Vatican, le souverain pontife n’a pas changé d’avis.
Nathalie Guibert, avec Cécile Chambraud