Par Jean WILLYBIRO SAKO
Ancien Ministre d’Etat
Ancien Ambassadeur
Président de la Commission Electorale Mixte Indépendante (CEMI) de 2005
Magistrat hors hiérarchie à la retraite
Le 18 Novembre 2015,
o Le Centre pour le Dialogue Humanitaire (CDH) et l’Université de Bangui,
Après plusieurs reports, l’Autorité Nationale des Elections (ANE) vient de publier son ultime chronogramme en vue de l’organisation du Référendum Constitutionnel et des Elections Présidentielles et Législatives groupées. D’après ce chronogramme, le Référendum en vue de l’adoption de la nouvelle constitution se tiendra le 13 Décembre2015, les Elections Présidentielles et Législatives groupées se tiendront le 27 Décembre 2015 pour le premier tour et le 31 Janvier 2016 pour le 2ème tour.
Ces élections qui surviendront dans le contexte d’une longue crise qui dure depuis début 2013 et après plus de deux ans de transition, sont perçues comme un défi à relever, aux enjeux multiples et vitaux pour le pays et pour la Communauté Internationale, malgré des contraintes importantes à surmonter.
I – Les enjeux des futures élections
Les élections sont un exercice de la démocratie tel que prévu par les différents textes constitutionnels de notre pays, qu’il s’agisse de la constitution ou de la chartre constitutionnelle.
Les élections permettent aux citoyens de s’exprimer sur les textes qui gouvernent l’organisation de la vie de la Nation (constitution), le choix de leurs dirigeants et des différents élus de la République, (Présidents, Députés, Maires) en leur conférant les mandats qui leur permettent d’exercer en leur nom le pouvoir politique.
Elles permettront aussi, le retour de plus de confiance et de crédit entre les Institutions de l’Etat et les Partenaires Internationaux qui souvent n’aiment pas engager d’importants et longs programmes de développement face à des équipes de transition non élus et de mandats très courts.
Les futures élections sont aussi perçues comme un moyen de rétablissement de la confiance entre la population et leurs dirigeants élus et non cooptés ou désignés et comme un enjeux pour le rétablissement de la paix, de la sécurité et le passage obligé pour la reconstruction de l’Etat sur de nouvelles bases, redonner aux dirigeants toute leur autorité et leur légitimité.
Bien organisées, elles permettront le retour de la cohésion sociale, de l’Unité Nationale, l’amélioration du cadre juridique, social, économique revaloriser la démocratie, l’image et l’existence des Partis Politiques qui ont été très décriés ces dernières années..
Les Centrafricains ont déjà traduit cette prise de conscience citoyenne en allant massivement se faire enregistrer, quelques fois dans des conditions précaires, particulièrement en ce qui concerne les déplacés et les réfugiés. A propos des réfugiés, des débats importants ont eu lieu sur le plan politique et juridique et ont finalement abouti à privilégier la qualité seulement la qualité de citoyen centrafricain de ces réfugiés à qui le droit de faire leur devoir de vote a été reconnu.
Les futures élections sont aussi perçues comme un défi pour les Centrafricains eux-mêmes, capables d’un sursaut patriotique, et pour un peuple qui voudrait s’engager pour prendre en charge sa destinée. Les Centrafricains ne veulent plus vivre dans la violence et la précarité alors que d’autres pays progressent et améliorent les conditions de vie de leurs citoyens.
Elles permettront aux nombreux jeunes qui voteront pour la première fois de relever le défi de la défense et de la garantie de leur avenir par des choix responsables de dirigeants capables de répondre à leurs attentes.
Leurs succès permettront aux différentes Institutions de la Transition de mieux terminer leur mandat.
II - Les défis à relever
Malgré le fait que les textes de base qui régissent les élections sont souvent les mêmes d’une année à l’autre à part quelques amendements, chaque élection est une élection nouvelle, différente des précédentes et dépend souvent du contexte dans lequel elle se tient et représente donc toujours des défis à relever pour les organes chargés de leur organisation et les acteurs divers. Le plus grand défi sera celui de l’organisation d’élections libres, crédibles et transparentes
Ceci reposera avant tout sur les qualités d’organisation technique, juridique, sécuritaire et aussi sur le comportement des acteurs politiques.
Sur le plan technique
Il s’agira de disposer d’équipes motivées, bien formées et conscientes de leur responsabilité devant la Nation et devant l’histoire, qu’ils s’agissent des équipes au niveau national (Bureau de l’ANE) que des équipes au niveau décentralisé (les démembrements).
Ces équipes doivent être capables de bien maîtriser les différentes opérations en amont et en aval des élections. Elles doivent bien gérer les différents matériels en quantité et en qualité et en assurer la sécurisation (listes électorales, cartes d’électeurs, procès verbaux, bulletins de vote, cachets et autres matériels sensibles).
Elles doivent garantir au maximum le libre accès de tous les électeurs inscrits sur toute l’étendue du territoire et à l’étranger au vote pour les récompenser de s’être massivement fait enregistrer.
Les citoyens ont fait leur devoir d’aller s’enregistrer, le Gouvernement, l’ANE et les Partenaires de la RCA doivent faire le leur pour assurer la sécurité, le libre choix des candidats, sans pression, menace ou corruption. Leur responsabilité est encore plus grande pendant les opérations de dépouillement, de collecte des données, le collationnement des résultats et leur centralisation.
L’introduction de l’informatique qui donne déjà lieu à des commentaires divers, doit plutôt contribuer à améliorer le traitement rapide des résultats et non créer la suspicion et le doute sur la finalité de cette option. Dans tous les cas, le contrôle physique des résultats à travers les procès verbaux de vote doit rester la règle finale de contrôle de ces résultats.
Aussi, les reports répétées des différentes opérations ont créée des doutes dans l’esprit des centrafricains qu’il faut convaincre maintenant d’aller voter.
Sur le plan juridique
La gestion des contentieux faite de manière professionnelle et transparente en ce qui concerne les listes électorales, les candidatures, les différentes opérations électorales et leur résultat seront essentielles pour maintenir un climat apaisé et garantir la crédibilité des élections.
Sur le plan sécuritaire,
La situation sécuritaire reste encore très instable sur l’ensemble du territoire. Ce qui se traduit par les difficultés pour les citoyens d’aller voter sereinement et la peur d’être attaqués lors des opérations reste vivace dans de nombreux esprits.
Les actions du gouvernement et particulièrement des Partenaires de la Communauté Internationale pour l’amélioration de la sécurité dès maintenant, fait parti des attentes répétées de la population, des différents organes chargés des élections et des acteurs divers. Que les différentes annonces qui sont faites par des Responsables au niveau national et international soient traduites en actes concrets de désarmement et de DDR et que ces actes soient visibles pour décourager tous ceux qui sont encore sceptiques à la tenue des futures élections.
Sur le plan politique
Les élections permettent de faire diffuser les idées des acteurs politiques, se faire connaître, augmenter son audience sur la vie politique ou les décisions qui seront prises. Elles permettent de relever les critères et conditions de financement des Partis, si les textes sont effectivement mis en œuvre. Cela explique aujourd’hui ce très grand nombre de candidats potentiels aux Elections Présidentielles et certainement plus encore aux Législatives, même si nombreux sont ceux qui ne pourront conquérir le pouvoir, ce très grand nombre compliquera davantage les tâches des organes chargées des élections ou de leur contrôle.
La mobilisation de tous les acteurs politiques à soutenir les élections à venir reste un défi à relever, vu que nombreux sont ceux qui doutent encore de la faisabilité des élections eu égard aux contraintes que nous allons développer plus loin ou à des considérations propres.
L’accès aux médias
Les élections sont rendues plus visibles et compréhensibles grâce à l’action d’accompagnement des médias.
Le rôle que les médias sont appelés à jouer lors des élections est primordiale, dans la formation civique des citoyens, les communications sur les messages des acteurs politiques et les campagnes électorales, la mise à disposition des informations sur le processus électoral.
L’Etat doit garantir autant que possible l’accès à ces médias surtout en ce qui concerne les Médias d’Etat sur un même pied d’égalité à tous les acteurs politiques, ce qui n’est pas toujours le cas en ce moment.
Les médias doivent faire preuve de professionnalisme et pour le contexte actuel de la RCA, les agents de ces organes doivent avoir un esprit d’objectivité et de patriotisme en évitant de véhiculer des informations fausses, des rumeurs ou la publication de sondages imaginaires ou mal maîtrisés. Ils contribueront ainsi à améliorer le climat des élections qui doivent être apaisées.
III – Des contraintes
Si les contraintes d’ordre financier ont connu des solutions ces derniers temps grâce à une plus grande contribution des différents Partenaires, la contrainte majeure reste les problèmes de sécurité qui ont des conséquences directes sur :
– L’environnement des élections
- La sécurité des agents de l’ANE sur le terrain
- La sécurité des candidats lors des campagnes
- La sécurité des électeurs lors des scrutins
- La libre circulation sur toute l’étendue du territoire
De la coordination des différents organes chargés des élections
En temps normal l’organe chargé de l’organisation des élections (CEMI – CEI – ANE) a la plénitude de ses attributions et de son fonctionnement mis à part la tutelle administrative du Ministère de l’Administration du Territoire et l’appui surtout financier du Gouvernement ou de certains Partenaires.
L’ANE, à l’effectif réduit (7 membres de la coordination centrale contre 31 pour les précédentes CEMI et CEI) a certainement des difficultés pour couvrir convenablement tous les postes de responsabilité et les différentes missions qui relèvent de sa compétence.
C’est peut être pour ces raisons que pour les futures élections, un très grand nombre d’organes divers sont chargés de la mise en œuvre du processus électoral aux côtés de l’Autorité Nationale des Elections (ANE) principal responsable de cette mise en œuvre.
Ces organes sont :
- Le cadre de concertation qui est un espace d’échange, d’information et de suivi entre les différents acteurs du processus électoral, autrement dit un organe de gestion politique du processus électoral de part sa composition qui comprend les pouvoirs publics, la société civile, les partis politiques.
- Le G8 qui est composé de l’ensemble des partenaires de la Communauté Internationale qui apportent des appuis financiers, techniques, sécuritaires multiforme et l’expertise au processus électoral.
- Les différents organes d’appui du gouvernement
En particulier :
o Le comité stratégique chargé du suivi du processus électoral
o Le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation qui joue un rôle clé dans la gestion des élections à travers les Autorités Préfectorales, Sous Préfectorale et Communales à travers les démembrements de l’ANE et des centres conjoints de coordination.
Les organes de suivi ou d’appui de la Présidence de la République
C’est le Ministre Conseiller à la Présidence de la République en charge des relations avec la MINUSCA et SANGARIS qui joue un rôle fondamental avec la MINUSCA dans le dossier de la logistique et des matériels lourds.
A première vue, ces organes renforceraient la mise en œuvre du processus électoral. Mais les conflits de compétence, les pressions diverses sur l’ANE ont été source de conflit, et sont certainement l’une des causes de la démission du premier Président et du Vice Président de l’ANE.
IV – Que faire ?
De quelques suggestions
Malgré les défis à relever et quelques contraintes, il a été constaté depuis le FORUM DE BANGUI et après, que les centrafricains tiennent dans leur forte majorité à un retour rapide de la paix et de la reprise d’une vie normale, dans la cohésion sociale, l’unité nationale soutenue par des institutions démocratiquement mises en place pour mieux défendre leurs intérêts.
C’est pour ces raisons que tout doit être mis en œuvre pour satisfaire ces attentes légitimes et donner une chance au pays de reprendre rapidement sa place dans le concert des nattions du monde éprises de Paix et du mieux être de leur population.
Sur le plan sécuritaire
- Poursuivre les sensibilisations diverses en faveur de la paix, de la cohésion sociale, le dialogue intercommunautaire. A cette fin, toutes les ONG Nationales et Internationales, les Associations diverses, les Chefs Traditionnels, les Autorités au niveau nationale et des provinces doivent se mobiliser, aller à la rencontre des divers groupes, des différents Leaders religieux, les jeunes et les femmes pour des campagnes encore plus soutenues et visibles.
- Poursuivre les dialogues avec les responsables des différents groupes armés, SELEKA, ANTI BALAKA, particulièrement ceux qui sévissent encore dans certaines zones de la capitale BANGUI et certaines villes de province pour leur rappeler les divers engagements pris ou les accords signés pour déposer les armes, se cantonner, faciliter le libre accès dans toutes les zones du pays et surtout apporter leur contribution citoyenne, après les opérations de recensement, à la tenue des diverses opérations électorales (déploiements de matériels, campagne des candidats, élections libres) et sécurité des agents chargés de ces opérations électorales. Ces dialogues doivent être soutenus par tous les Partenaires comme certains ont déjà commencé à le faire à Bangui et dans certaines villes de province.
Pour ceux là qui seraient toujours réfractaires à ces actions pacifiques, la force doit être utilisée pour le désarmement forcé ou pour l’exécution d’un début de DDRR.
Afin de renforcer tous ces dispositifs, il ya lieu d’accélérer les programmes annoncés par le gouvernement de formation, d’équipement, de déploiement rapide à Bangui et en province avant les élections, des Forces Armées Centrafricaines (FACA), de la Police et de la Gendarmerie pour des actions de proximité et appuyer ainsi les actions de la MINUSCA et de SANGARIS.
Les contrôles aux frontières devraient être dès maintenant renforcés pour éviter les infiltrations des éléments subversifs provenant des pays limitrophes.
Les Partenaires Internationaux bi et multilatéraux qui ont fait ces derniers temps des déclarations fortes sur la montée en puissance des différentes unités, l’augmentation de leurs effectifs, l’application plus ferme de leur mandat, dans le cadre de la sécurisation des élections doivent aider le gouvernement à tenir ses engagements d’une plus grande sécurisation du pays, et rendre surtout plus accrue, plus visibles et plus efficaces les actions des forces internationales, les seules dotées des moyens les plus modernes et les plus dissuasifs pour traquer et neutraliser n’importe laquelle des forces négatives exerçant sur le pays .
Sur le plan politique
Il s’agit avant tout de la création de cette union sacrée de toutes les Institutions, de tous les leaders d’opinion pour faire de l’aboutissement du processus électoral, malgré les inévitables difficultés à surmonter, un objectif commun.
Que les diverses Institutions de la transition, travaillent plutôt la main dans la main, au lieu d’offrir au peuple centrafricain le spectacle désolant de leur opposition, alors que tous ensemble elles trouveraient ou proposeraient des solutions efficaces à ces crises et que la population sera soutenue dans ses actions de paix et de réconciliation nationale.
Il faut plutôt face à la situation actuelle, une collaboration franche entre toutes ces institutions pour créer la confiance nécessaire à tous les niveaux.
Pour toutes les raisons déjà évoquées et cette volonté manifeste d’aller aux élections, cette union sacrée devrait toucher toutes les forces vives du pays et particulièrement les leaders d’opinion pour que leur divergence ou prise de position individuelle laisse la place à une plus grande mobilisation pour sortir le pays des transitions et de la crise.
Pour tous les acteurs, s’il faut faire quelque chose pour le peuple centrafricain c’est maintenant qu’il faut le faire et ne pas remettre à demain.
Aussi, comme il l’a été fait de manière efficace pour les opérations de recensement, la reprise des campagnes de sensibilisation pour appeler les populations qui se sont massivement fait recenser, à aller accomplir leur devoir de citoyen, c’est-à-dire aller voter.
Pour les candidats aux futures élections, l’adhésion claire et spontanée à un code de bonne conduite à signer sera aussi un gage pour aller de manière apaisée à ces futures élections électorales. Aussi à cette fin, qu’ils ne proposent que ce qui tienne compte des vrais attentes des Centrafricains
L’accompagnement du processus électoral par des observateurs chevronnés des opérations électorales, tant nationaux qu’étrangers aiderait à plus de transparence et à éviter les fraudes et les contestations qui guettent souvent les différentes élections.
Les consultations référendaires du 13 Décembre 2015, bien que moins sensible dans leur nature seront un test grandeur nature de ces futures élections et permettront les corrections et recadrages nécessaires.
MERCI