Depuis deux ans, les miliciens anti-balaka, appuyés par d’anciens soldats des Forces armées centrafricaines (FACA) imposent un véritable blocus aux musulmans retranchés du quartier PK-5 de Bangui
Tout autour de ce dernier bastion musulman de la capitale centrafricaine, où le pape François entend se rendre pendant sa visite à Bangui, dimanche et lundi, plusieurs dizaines de quartiers sont aujourd’hui déserts: seules restent les décombres de centaines de maisons incendiées au cours des cycles d’attaques et de représailles de septembre et octobre entre musulmans du PK-5, assimilés à l’ex-rébellion Séléka, et miliciens chrétiens.
Depuis les massacres inter-communautaires de fin 2013-début 2014, c’est depuis ces quartiers que sévissent les miliciens, bloquant toute sortie et entrée du PK-5.
"Personne ne peut aujourd’hui quitter le PK-5 et emprunter l’avenue Boganda sans être lapidé, kidnappé ou abattu par des groupes d’individus souvent armés. On a tous peur", affirme Aziza une jeune musulmane.
"Nous manquons de tout: les légumes, l’eau, l’électricité, les soins de santé. C’est une asphyxie à laquelle on nous soumet. Nous demandons aux autorités, à la Minusca (force de l’ONU) et à la force (française) Sangaris de nous sortir de cette situation", ajoute Ashta Babayéro, commerçante.
Plus d’argent, de nourriture, d’essence
Un autre commerçant, Ahmat Moussa constate, amer: "Avant, des patrouilles de la Minusca assuraient l’escorte de ceux qui sortaient, ce n’est plus le cas. On ne peut même pas aller à la banque pour retirer un peu d’argent. Les denrées alimentaires se font rares et comment allons-nous faire sans argent?".
"Au début du mois, mon frère s’est rendu à la banque pour un retrait. Des individus armés l’ont attaqué à son retour. Ils l’ont enlevé, torturé et assassiné, son corps a été affreusement mutilé", raconte sous couvert d’anonymat le frère de Alioune Sissoko, un jeune commerçant du PK-5.Dimanche encore, au moins deux personnes, dont un militaire, ont été tuées par balle, plusieurs blessées dans des affrontements autour du PK-5, selon une source policière. Ces affrontements se sont ensuite étendus aux quartiers Moustafa, Malimaka, Ngbenguéwé, faisant fuir des centaines de personnes.
Pour le chercheur en Sciences politiques Roland Marchal, contacté depuis Libreville, "l’implication d’une partie de l’armée aux côtés des miliciens est préoccupante". Les FACA – officiellement désarmés par les forces internationales – sont essentiellement composées de soldats choisis par le camp de l’ancien président François Bozizé, renversé en mars 2013 par la rébellion musulmane Séléka, après 10 ans au pouvoir.
"Ils ont récemment basculé dans le camp des anti-balakas, ce n’est pas un bon signe avant les échéances électorales", la présidentielle et les législatives prévues fin décembre et auxquelles ne peut participer Bozizé, sous le coup de sanctions internationales.
Sécuriser la visite du pape
C’est dans ce contexte de blocus permanent et explosif que le pape François est attendu ce dimanche à Bangui. Il doit notamment se rendre dans la grande mosquée du PK-5, comme l’avait fait le secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon en 2014.
Des entretiens ont lieu entre les dignitaires religieux musulmans du PK-5 et l’archevêque de Bangui pour sécuriser au maximum les lieux dans l’optique de la visite du Pape.
Pour l’instant, les miliciens qui assiègent les musulmans n’entendent pas relâcher la pression, dressant des barricades dans les rues, ponctuellement enlevées par la Minusca et vite remises après le passage des véhicules de l’ONU.
"Ceux du PK-5 tuent, égorgent, mutilent, hommes femmes et enfants. On les laisse faire!", accuse Hervé Ngoté, habitant du proche 6e arrondissement. "Nous allons maintenir le blocus jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Autrement dit, nous allons braver les musulmans armés du PK-5 et la Minusca", clame-t-il.
Les Nations unies, accusées d’inertie par les deux camps, se défendent: "les forces internationales continuent à faire des patrouilles dans tous les arrondissements et une attention particulière est portée sur les 3e, 5e et 6e arrondissements", proches du PK5, affirme le lieutenant-colonel Adolphe Manirakiza, porte-parole de la Minusca.