"Après tout ce qu’on a vécu...Je n’ai pas les mots.Il l’a vraiment fait, il est venu jusqu’à nous !" La voix secouée par les sanglots, Rachel n’arrive pas à y croire : au milieu d’une foule survoltée, la jeune Centrafricaine a pu toucher la main du pape.
C’est dans le petit camp de déplacés de Saint-Sauveur, qui accueille plus de 3.000 personnes en plein centre de Bangui, que le pape François a choisi de se rendre en premier dimanche.Un lieu symbolique dans ce pays miné par deux années de violences intercommunautaires qui ont contraint des centaines de milliers de personnes à fuir leur foyer.
Alors, l’arrivée de François dans cette modeste paroisse en briques et en béton a déclenché des cris de joie, des larmes et de nombreuses prières.Accompagné par des chants et des danses traditionnelles, au rythme des tam-tams, le souverain pontife, tout sourire, tient à bénir la ribambelle d’enfants qui lui tend les bras.
Ils sont des centaines de bambins, alignés en haie d’honneur, brandissant des panneaux sur lesquels sont inscrits au crayon des mots symboliques, "Joie", "Miséricorde" ou encore "One together".
"Les papas pleurent, les mamans pleurent ainsi que nous les enfants.On a trop souffert" : cette triste poésie, Aminata, 7 ans, qui vit avec sa famille sous une petite tente de fortune l’a apprise par coeur pour cette occasion.
La plupart de ces déplacés sont arrivés ici après une vague de violences dans la capitale courant septembre, entre milices chrétiennes anti-balaka et musulmans proches de l’ex-rébellion Séléka.
Depuis, ces chrétiens dorment sur des nattes, cuisinent et mangent à même le sol de latérite, et n’ont souvent pour seul bagage que leur foi et les vêtements qu’ils portaient le jour de leur fuite.
Sans ressources, la plupart ont pourtant fait leur possible pour être sur leur 31 en ce dimanche très spécial.Les femmes surtout, parées de pagnes aux couleurs flamboyantes à l’effigie du pape ou de la paroisse, tandis que d’autres brandissent des portraits encadrés du pape, espérant les faire bénir.
Une réconciliation difficile -
François, qui se rendra lundi dans l’enclave étouffante du PK5, où vivent retranchés les derniers musulmans de Bangui sous la menace constante des anti-balaka, est venu avec un message de paix qu’il n’a cessé de répéter toute la matinée.
"Nous sommes tous frères", a-t-il insisté devant les familles déplacées de Saint-Sauveur, appelant à bannir les différences, qu’elles soient ethniques, religieuses ou sociales.Le pape s’exprimait en italien et sa traduction en langue locale sango par un prêtre centrafricain était reprise par des acclamations.
"On doit manger ensemble, on doit dormir ensemble, on doit vivre ensemble...avec les musulmans", assure Clarisse Mbai, une maman qui dit avoir retenu l’essentiel du message papal."Ils ont tout pillé, ils ont brûlé ma maison, je n’ai plus rien mais je suis prête à oublier, il faut commencer maintenant", dit-elle.
Mais après deux années de chaos et d’affrontements sanglants entre les deux communautés, les rancunes sont tenaces, dans ce camp dont la plupart des occupants habitaient Castor, Yakité ou encore Sarah, des quartiers voisins du PK5 touchés par les violences et les représailles quasi-quotidiennes depuis deux mois.
"Ils ont tué mes voisins, j’ai fui avec ma femme et mes enfants", raconte Alphonse."J’ai déjà essayé de revenir chez moi à plusieurs reprises mais à chaque fois, ils nous ont chassés.Comment on peut faire ?".
Nicole Ouabangue, qui tente d’élever seule sept enfants après la mort de son mari tué à la machette, veut pourtant y croire : "Nous avons entendu beaucoup de discours depuis le début de la crise.Mais là, c’est différent.Le pape François a plus d’influence, si quelqu’un peut résoudre nos problèmes sur terre, c’est lui".