Bangui - Le répit aura été de courte durée. Moins de 24 heures après la visite triomphale du Pape François et son appel à la réconciliation en Centrafrique, déchirée par les violences intercommunautaires depuis deux ans, le meurtre d’un jeune musulman a suscité colère et déception dans sa communauté.
Beaucoup voulaient croire que les mots du pape ne s’envoleraient pas trop vite après son départ. Comme en réponse à ses appels, affirmant que chrétiens et musulmans sont "tous frères", le no man’s land qui sépare les quartiers chrétiens de l’enclave musulmane du PK5 - isolée et sous la menace constante de milices armées - avait repris vie, mardi matin.
Taxis et motos circulaient à nouveau entre les deux, et, fait notable, même des piétons arpentait l’avenue Boganda, d’ordinaire silencieuse et déserte. Les commerces avaient ouvert "et les clients venaient nombreux depuis le matin", note un jeune commerçant, Ali.
Mais dans la petite mosquée Ali Babolo, en plein coeur du PK5, l’arrivée du cadavre d’un jeune musulman a douché l’optimisme des fidèles venus prier. Zakaria, 35 ans, était le père de trois jeunes enfants.
"Regardez ce qu’ils nous ont fait! Nous voulons la justice!". Ils sont des dizaines, les yeux remplis de colère, agglutinés autour d’un sac en plastique recouvrant un linge banc, à même le sol.
"Vers 11H00, notre frère était devant la mosquée Ibni Qatab, des malfrats sont sortis avec leurs armes, ils ont tiré sur lui et il est mort", explique le représentant des commerçants du PK5, Issouf Djibril.
Les tireurs étaient postés à quelques mètres de la mosquée, de l’autre côté du canal baptisé "Essayez-voir", qui sépare l’enclave musulmane des quartiers chrétiens de la capitale centrafricaine, selon plusieurs habitants de PK5.
"Le pape François a lancé de bons messages de paix et d’unité. Nous on a pris acte pour sensibiliser tout le monde et bien se comporter, mais ils viennent encore assassiner nos frères", déplore M. Djibril.
Quasi-quotidiennes, les violences entre jeunes musulmans proches de l’ex-rébellion Séléka - qui a renversé le président François Bozizé en 2013 - et milices chrétiennes et animistes anti-balaka ont fait plus de 100 morts à Bangui depuis fin septembre.
- Stop à ’l’impunité’
-
Après le meurtre, l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, inlassable artisan de la paix entre les deux communautés, s’est rendu en urgence au PK5 pour apporter son soutien aux leaders religieux musulmans, appelant à ne pas céder "aux provocations des ennemis de la paix" pour ne pas retomber dans un cycle de représailles.
Chez ce religieux au ton d’ordinaire posé, l’exaspération est palpable. "Nous appelons au calme, mais il faut que l’Etat joue son rôle, dit-il. Il faut ouvrir une enquête, dire qui a tué et sanctionner les coupables. Si on continue avec l’impunité, on envoie un très mauvais message".
"Ce pays appartient à tout le monde, personne n’a le titre foncier de la Centrafrique (...) C’est un piège et nous demandons aux musulmans de ne pas tomber dedans", affirme Ibrahim Hassane, porte-parole de la Coordination des organisations musulmanes de Centrafrique.
Mais parmi les jeunes du quartier, déjà les accusations pointent. "Ce sont des FACA qui ont fait ça", dénonce Issouf en référence aux Forces armées centrafricaines - dont beaucoup ont rejoint les rangs des anti-balaka à la chute de Bozizé. Un autre accuse les "grands commerçants du centre-ville, qui vendent 15.000 francs les articles qu’on vend 5.000, c’est eux qui financent les malfrats" pour tuer la concurrence.
Comme le jeune homme tué mardi, l’immense majorité des quelques 12.000 musulmans vivant encore au PK5 - qui fut longtemps le poumon économique de la ville - sont des commerçants. D’après certains témoignages, Zakaria sortait acheter des médicaments lorsqu’il a été abattu.
"Nous ne pouvons plus mettre les pieds dehors. Même nos morts, nous ne pouvons plus les enterrer dignement, nous n’avons pas accès à notre cimetière", situé à Boeing, en plein quartier anti-balaka, se plaint un vieillard. "Pour l’hôpital, c’est pareil, nos femmes accouchent dans des conditions déplorables".
D’après Moussa, "les musulmans, eux, n’attaquent pas, ils se défendent seulement. Et dès qu’un d’entre nous sort du PK5, il revient ici en morceaux".
Le pape François visite la grande mosquée de Bangui
30/11/2015
Le pape François s’est rendu lundi à la grande mosquée de Bangui, où il a réaffirmé que chrétiens et musulmans "sont frères" et qu’il fallait dire "non à la vengeance, à la violence et à la haine".
En visite en Centrafrique dans le cadre de sa tournée africaine, le pape François s’est rendu lundi 30 novembre à la grande mosquée de Bangui, en proie à des violences communautaires depuis plusieurs mois. Il a rappelé que chrétiens et musulmans "sont frères" et qu’il fallait dire "non à la vengeance, à la violence et à la haine. La veille déjà il appelait les centrafricains à la réconciliation.
Dans l’enclave du PK5, où sont réfugiés les derniers musulmans de Bangui, le Pape a été reçu par le grand imam Nehedi Tidjani, en présence de délégations catholiques et protestantes.
Le pape s’est adressé aux centaines de personnes, dont des déplacés par les violences, venues l’accueillir dans l’enceinte de la mosquée, dans une ambiance détendue. Cette visite était cependant placée sous haute sécurité par la force onusienne (Minusca), qui avait positionné des casques bleus sur les minarets de la mosquée.
"Une victoire (...) contre les oiseaux de mauvais augure"
Pour le pasteur pentecôtiste Jean-Paul Sankagui, cette visite est "une victoire pour le pape et la République centrafricaine contre les oiseaux de mauvaise augure" qui craignaient des violences pendant le séjour du souverain pontife à Bangui.
Le ministre des Finances et du Budget, Assane Abdallah Kadré, musulman, a appelé de ses voeux l’arrivée d’une "cohésion sociale" pour que "les musulmans ne soient plus bloqués dans leur enclave et que la libre circulation dans Bangui soit rétablie".
Le quartier du PK5 fait habituellement l’objet d’un harcèlement et d’un blocus de la part des miliciens chrétiens anti-balakas. Aux abords du quartier, aux entrées des ruelles en terre rouge, des groupes d’auto-défense armés devant des barricades en bois veillaient aussi, craignant d’éventuelles menaces d’anti-balaka.
Dehors, des milliers d’habitants saluaient chaleureusement le cortège papal , qui s’est ensuite dirigé vers un stade de Bangui pour y célébrer une messe.