Le contingent de la République démocratique du Congo (RDC) est dans la tourmente. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, souhaiterait son départ de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) après de « multiples exactions », dont des « viols » et des « délits de droit commun tels que le vol et le racket », avait confirmé, le 19 novembre, un haut fonctionnaire de l’ONU basé à New York après que l’information avait fuité sur RFI. La question est épineuse, soulignait-il : « L’ONU n’a jamais renvoyé un contingent officiellement. Il y a toujours eu un accord pour que l’Etat concerné ne perde pas la face. » L’idéal serait donc de se séparer en bons termes.
Mais l’affaire semble mal engagée. Le même jour, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, ripostait : des Congolais ont « peut-être commis des actes répréhensibles », déclarait-il, mais les violences sexuelles demeurent « non avérées ». Plus encore, il s’était étonné qu’un « pays frère » – l’Afrique du Sud, qu’il n’a pas voulu nommer – n’ait pas vu son contingent menacé de retrait de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco) bien qu’il ait dû rapatrier, en septembre, 47 de ses éléments blâmés pour indiscipline. Dénonçant toujours une politique du « deux poids, deux mesures », Lambert Mende a rappelé par la même occasion la présomption d’innocence dont bénéficient les militaires de la force française « Sangaris » soupçonnés de viols en Centrafrique. Une ligne de défense reprise le 27 novembre à Kinshasa par le ministre d’Etat centrafricain chargé de l’énergie et hydraulique, Aristide Sokambi, qui avait suivi les dossiers congolais et français quand il était encore à la justice.
« Quatrième affaire »
La Minusca, dotée d’un budget de 800 millions de dollars (740 millions d’euros), compte 11 600 militaires et civils, dont 850 militaires de RDC. Elle a pour mission, au côté des hommes de « Sangaris », de stoper un cycle de violences intercommunautaires meurtrières qui a commencé fin 2013.
En août, le général Babacar Gaye, chef de la Minusca, avait été limogé après la révélation d’abus sexuels commis sur des enfants par des casques bleus. Peu après, le secrétariat général de l’ONU demandait à la RDC d’enquêter sur trois de ses hommes accusés d’avoir violé deux jeunes femmes et une mineure à Bambari, dans le centre de la Centrafrique. Il soulignait qu’il s’agissait de la « quatrième affaire » du genre, que Kinshasa avait ignoré les précédentes alertes et que des sanctions pourraient tomber.
En septembre, décidé à vaincre le « cancer » des violences sexuelles, Ban Ki-moon a menacé de « rapatrier des contingents entiers » si les Etats ne punissaient pas les coupables. De son côté, après une enquête menée à Bambari, Kinshasa avait blanchi ses hommes. Mais, à la mi-novembre, de nouvelles accusations ciblent ses soldats. Kinshasa dément en avoir été averti d’un non-renouvellement du contingent au sein de la Minusca.
Selon un haut responsable de l’armée congolaise, le contingent de Bambari devait être relevé en octobre, dans le cadre d’une rotation classique des troupes. Mais, dit-il, le département de l’ONU chargé des missions de la paix a « recommandé que la relève attende le contrôle des nouveaux militaires » formés depuis mars à Kisangani (nord-est). Mais leur évaluation s’est révélée « insatisfaisante », explique un fonctionnaire de l’ONU, évoquant « des problèmes dans la préparation » des militaires et « des inquiétudes concernant leurs aptitudes ».
La rupture semble inévitable, mais complexe. « On aimerait que, en cas de relève, que leur retrait puisse être compensé par l’arrivée d’autres soldats, commente le haut fonctionnaire de l’ONU basé à New York. Quel pays acceptera de remplacer la RDC dans le dispositif ? C’est là que ça coince. On tâte le terrain du côté de l’Afrique du Sud… et du sous-groupe austral. »
Kinshasa promet « d’intensifier ses efforts » de prévention
L’Est congolais souffre d’instabilité depuis vingt ans. L’ampleur des violences sexuelles a considérablement baissé depuis la fin de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), mais l’ONU et des ONG rapportent régulièrement que de tels crimes sont perpétrés par des rebelles et des soldats.
La RDC doit « mettre l’accent sur le respect de droits humains et la lutte contre les violences sexuelles dans la réforme de l’armée congolaise », débutée en 2005 et soutenue par des bailleurs étrangers, commente le député d’opposition Juvénal Munubo, membre de la commission permanente défense et sécurité à l’Assemblée nationale.
Pour l’heure, des campagnes de sensibilisation sont organisées jusque dans des zones reculées, quelques hauts gradés ont été condamnés pour viol et le président Joseph Kabila avait nommé, en juillet 2014, une conseillère spéciale chargée de combattre les violences sexuelles, Jeanine Mabunda. Mais beaucoup reste à faire. Exemple récent : le Bureau conjoint de l’ONU pour les droits de l’homme a pu recenser quatorze victimes de viols commis entre les 20 et 22 septembre par des soldats traquant un chef rebelle du Sud-Kivu. Saisie, Kinshasa s’est engagée à poursuivre les coupables et à « intensifier ses efforts » de prévention, indique le bureau.
Habibou Bangré